jeudi 26 novembre 2009

Van Gogh, Rimbaud et Françoise Lalande


Françoise Lalande
Van Gogh : 1853-1890. Rimbaud : 1854-1891. Un poème que voici :
Depuis huit jours, j'avais déchiré mes bottines
Aux cailloux des chemins. J'entrais à Charleroi.
- Au Cabaret-Vert : je demandai des tartines
Du beurre et du jambon qui fût à moitié froid.


Bienheureux, j'allongeai les jambes sous la table
Verte : je contemplai les sujets très naïfs
De la tapisserie. - Et ce fut adorable,
Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs,


- Celle-là, ce n'est pas un baiser qui l'épeure !
-Rieuse, m'apporta des tartines de beurre,
Du jambon tiède, dans un plat colorié,


Du jambon rose et blanc parfumé d'une gousse
D'ail, - et m'emplit la chope immense, avec sa mousse
Que dorait un rayon de soleil arriéré.
De ce poème se dégage une impression de bonheur diffus. Et le poème se permet des enjambements audacieux. C’est dans cette taverne de Charleroi que Françoise Lalande, corrigeant une erreur de la vie, fait se rencontrer Van Gogh et Rimbaud. Ils avaient tout pour fraterniser. Tout les rapprochait sauf la vie. Ils avaient les mêmes yeux bleus et la même barbe rousse et les mêmes soifs de soleil et d’images. Tous deux avaient le cœur gros.
Ils sont nés et sont morts à une année d’écart.
Un lien invisible semble relier les deux destinées. Les parentés du génie et du Nord appelé par le Sud.
Les deux hommes parlaient français avec accent, ils rêvaient de Paris, tous deux moururent mutilés. A Londres, ils sont dans le même quartier mais ils ne se rencontreront pas. A leur mort, ils avaient chacun 37 ans et les stigmates de l’incompréhension.
Toujours au Nord. Une poétesse, Françoise Lalande, née quasiment à la lisière des Ardennes. Elle écrit dans le pays de Van Gogh au village de Waterlandkerkje (petite église du pays de l’eau). Comme Rimbaud et comme Van Gogh elle est requise par les images. Elle aussi, elle vient du Nord
Evoquant les deux hommes, Françoise Lalande se portraiture un peu dans ce beau livre ou tout au moins elle ne parle pas d’étrangers. Voici un extrait de ce livre consacré aux deux génies du Nord :
Le bonheur aussi
Mystérieux lorsqu’il déboule sur l’artiste comme une soudaine avalanche, quand le poète trouve la musique étonnante, et se relit, un instant émerveillé par lui-même, le bonheur, bref comme un spasme, avant de renouer pour longtemps avec l’inquiétude, le doute, et même le dégoût, le bonheur aussi, quand le peintre a lardé la toile de coups de couleurs, comme s’il l’avait lardée de couteau ou de baisers furieux, et qu’il recule pour embrasser d’un seul regard ce qu’il vient de créer, avant de retrouver les voix méchantes et les critiques aveugles.
Françoise Lalande : « Ils venaient du Nord » ouvrage traduit en arabe par Jalel El Hakmaoui. Editions Marsam( Maroc)

samedi 21 novembre 2009

Gamal Ghitani comme par lui-même


أمنيتي المستحيلة أن أمنح فرصة أخرى للعيش ...أن أولد من جديد لكن في ظروف مغايرة...أجيئ مزودا بتلك المعارف التي اكتسبتها من وجودي الأول الموشك على النفاذ ...أولد وأنا أعلم أن تلك النار تلسع...وهذا الماء يغرق فيه من لا يتقن العوم...و تلك النظرة تعني الود ...وتلك التحذير, و تلك تنبئ عن ضغينة... كم من أوقات أنفقتها لأدرك البديهيات ... وما زلت أتهجى بعض مفردات الأبجدية. جمال الغيطاني
Mon impossible rêve est d’avoir une autre chance dans la vie, de renaître mais dans des conditions autres. Je viendrais muni des connaissances que j’ai acquises d’une première existence quasiment épuisée. Je naîtrais sachant que ce feu brûle et que quiconque ne sait pas nager se noie dans cette eau, que tel regard signifie l’affection, tel autre l’avertissement et tel autre la rancœur. Que de temps n’ai-je pas perdu à saisir les évidences. Aujourd’hui encore, j’annone certains mots de l’abécédaire. Gamal Al Ghitany

jeudi 19 novembre 2009

Premier salon des écrivains méditerranéns


Premier salon des écrivains méditerranéens à Marseille.

Les 21 et 22 novembre se tiendra à Marseille le premier salon des écrivains méditerranéens sous la direction littéraire de l'écrivain Pierre Assouline.

Je participerai à la table ronde qui sera organisée le 22 novembre. Et surtout je couvrirai en direct cet événement dont le commissaire est Elsa Charbit.

Rendez-vous les 21 et 22 novembre à Marseille ou sur ce blog.
Pour plus d'informations : http://www.salonecrimed.fr/

mardi 17 novembre 2009

Le mur de Nefta جدار نفطة



Du bon usage des murs
Jalel El Gharbi


Aux portes du désert, dans cette oasis où l’on vénère le savoir, l’érudition, la poésie et la grammaire, il y avait, jusqu’au début du vingtième siècle, un mur. Et il y avait dans ce mur, des fentes, des fêlures, des failles et des fissures qui faisaient une belle paronomase en [f]. Ces lézardes étaient assez profondes pour contenir des poèmes, des récits de voyage, des commentaires érudits ou des traités de grammaire. A Nefta, il n’y avait pas de bibliothèque publique. Il y avait juste les failles du mur. Tout lecteur qui trouvait un texte intéressant se devait de l’y déposer. Tout lecteur désireux de cheminer dans un texte intéressant pouvait venir l’emprunter aux failles du mur. Les étudiants qui revenaient de Tunis y déposaient les meilleurs cours qu’on donnait à l’Université : théologie érudite mais aussi pages de poésie, la plus permissive. Ceux qui revenaient du pèlerinage, prêtaient au mur des textes glanés au Caire ou à Damas. On ramenait aussi de belles pages de Fez la féerique. Et d’autres déposaient leur propre création. J’imagine un poème interminable où l’auteur languit d’amour pour une femme de son Nord. Poème interminable comme la constance d’une douleur ou d’un mur interminables. Il devait y avoir un enfer dans cette bibliothèque: traités d’amour érigeant les ébats érotiques en apologie de l’âme incarnée dans un corps angélique et des poèmes de cette tribu lointaine où on ne mourrait que d’amour. La leçon du mur est que le savoir est un don anonyme. La bibliothèque du mur n’est pas une institution. Aucun maître n’y trône. Et l’on n’est redevable qu’à son cheminement. Tel un palmier, le savoir n’a pas besoin de tuteur. Il suffit de longer le mur (l’arabe dit littéralement: «marcher et le mur», comme si le mur marchait, lui aussi). Et le mur longe l’oasis et le désert. Et il faut toute une vie pour «faire» ce mur. Lire, se lire: longer son mur. Mesurer l’étendue du désert qu’il cache, la profondeur de l’oasis qu’il protège.

lundi 9 novembre 2009

Giulio-Enrico Pisani présente le nouveau recueil de Laurent Fels

Laurent Fels
Dans sa dernière livraison, le journal Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek publie ce texte de notre ami Giulio-Enrico Pisani présentant la dernière publication du pôète Laurent Fels :
Le nouveau recueil de Laurent Fels
« Arcendrile » suivi de « Nielles »

Voilà une réédition bienvenue, que ces deux petits recueils réunis en une élégante plaquette éditée par les éditions Rafaël De Surtis et tirée à deux cents exemplaires numérotés ! (1) Il est vrai que « Nielles », je vous l’ai déjà présenté le 7 janvier 2009 (2) en même temps que « Cadastres du Babel » de Paul Mathieu, les deux parus en coffret chez Estuaires, mais entre-temps épuisé. Raison de plus donc de nous réjouir de cette réédition. Mais il y une raison supplémentaire à cette reprise de « Nielles ». Ce recueil vient en effet à se situer quelque part dans le prolongement d’« Ar-cendrile », mot valise combinant les concepts allégoriques « argile » et « cendre ».
L’argile symbolise la création, la naissance/animation par quoi tout commence (mythes incas et judaïques de la création à partir d’une ou plusieurs figurines d’argile). La cendre évoque la disparition, la mort, la crémation, la dispersion et le retour à la terre en quoi tout finit (mythes védiques, germano-nordiques, chrétiens ou autres mazdéens de purification par le feu). Commençons donc par le commencement et, plus précisément, par
« Arcendrile »,
qui, bien plus qu’être le titre du premier recueil, représente outre l’irréversible cheminement – qui pour le poète devient démarche – de la glaise vers la poussière, de la pierre vers le cristal, de l’épanescence vers l’évanescence (3), la passerelle entre l’ami présent et l’amie absente : de René Welter vers José Ensch. Vu ainsi, Arcendrile ne serait pas seulement un mot valise, mais aussi un titre valise : tout à la fois le titre du livre comprenant « Arcendrile » et « Nielles » et celui du premier recueil. Recueil ? Long poème plutôt, essentiellement dédié à l’ami, au poète, professeur et éditeur René Welter, que je vous présenté le 28 mars 2009 dans mon article du 29.3.2009. (4) Et c’est bien avec une citation de René, que Laurent ouvre le bal... des mots : « arrive le jour / où confier / un prénom / suffit »
Ne dirait-on pas que Laurent, à la fois musicien, peintre et photographe, demande à René de prendre à la fois la pose, de saisir son instrument et de lui donner le La ? Et, une fois l’accord trouvé, voici l’ouverture : « assis / il était // au fond / en train // de remplir / la pièce // d’un souffle » .
Rien de grandiose, de multicolore, tonitruant, non, plutôt solo de flûte, pizzicato de violon ou ébauche... Un portrait ? Même pas. Je songerais plutôt à quelque rapide croquis, un peu comme celui que Courbet dut esquisser de Baudelaire assis sur une petite table, avant de commencer à composer son monumental « L’atelier du peintre ». (5) Sauf qu’ici, Laurent ne prépare nullement quelque scène remplie de personnages et saturée de formes et couleurs. Le croquis, précis, lapidaire, ou, comme l’écrit avec justesse l’écrivain Bernard Noël dans sa préface, vertical, suffit. Le reste appartient au lecteur. Et Noël de préciser, quant à l’ascétique laconisme de Laurent :
« ... On oublie le bref au profit du rapide, qui permet des précipitations, des sauts qualitatifs, des collisions pensives (j’ajouterais : des développements imprévisibles). Cette vitesse s’impose comme la caractéristique première de ce livre, mais elle doit sa force au choix, toujours, du mot le plus simple, le plus direct. Il n’y a pas ici, comme trop souvent, une fabrique d’images poétiques : c’est la sobriété de la verticale, sa gravité, qui produisent à la fin des éclats dont le vif fait image ou éclaircie... »
En effet, Laurent est un poète à lire au grand galop, ou, compte tenu de sa verticalité, à la façon d’une fusée – Ariane, Thésée, Atlas ou Apollon qu’importe – à l’ascension fulgurante : « ne crains / celui // qui part / déjà // s’approche / de toi // dans la / finitude // de l’autre / tu te // reconnais // cette fin / cruelle // où l’on / ne dit // plus / rien » . Au galop ? Et pourquoi pas, à condition d’y revenir, encore et encore. Dans le livre les vers sont placés bien sûr à la verticale, disposition qui contribue beaucoup à la dynamique du poème. De plus, pourrait-on imaginer ci et là dans l’esprit du surréalisme felsien un retour sur terre en inversant l’ordre des vers, c’est-à-dire en commençant par la fin ? Rassurez-vous, je ne me le permettrais pas... sauf en mon for intérieur. Cependant, c’est fou, ce que ce genre de lecture vous permet, amis lecteurs, de pénétrer le sens que les lemmes peuvent revêtir dans l’esprit du poète et qui n’apparaît pas d’emblée, ainsi que la contribution des mots à la construction du poème.
Ces jeux de l’esprit doivent cependant céder à l’irrévocabilité des derniers vers : « cette fin / cruelle // où l’on / ne dit // plus rien » et « un verbe / à l’imparfait // me rappelle / qu’il / était / aussi // pour moi » . Suit la réponse de la bergère au berger. « j’ai failli te confier que je connais le bois et la cendre », concède i.a. José Ensch en introduisant
« Nielles ».
écrit en son honneur et à sa mémoire. Pour ceux qui n’auraient pas lu mon article il y a dix mois, voici un bref rappel : « Véritable élégie anamnésique dépouillée de tout lyrisme, ce bouquet de poèmes évoque en mots clés savamment distillés la présence sempervirente et le souvenir de cette dame de poésie, dont la modestie et la discrétion innées dénient au poète tueur d’oubli ne fût-ce qu’un embryon de dithyrambe ».
Ce que j’écrivis ensuite vaut aujourd’hui également pour « Arcendrile » : « Sobre jusqu’au dépouillement, minimaliste au point de penser que l’encre pourrait lui venir à manquer, l’auteur de « Nielles » nous livre plein d’incrustations précieuses sur un travail de ciselure verbale dont tout excès ou gaspillage sont bannis. José Ensch, à la fois maîtresse, égérie et muse de tant de jeunes poètes, on la retrouve dans chaque mot de Laurent Fels, dans ses sous-entendus et même dans le jardin de la poétesse, à tout bout de phrase... Je pense notamment à l’évocation felsienne « au fond / du cœur // l’étoile / scintille // devant / l’étincelle // éteinte / que restera-t-il // du souffle / suivre // le chemin... » , ainsi qu’à ces vers, où Laurent hypothétise tristement : « j’aurais / cru // à l’exérèse / de la // première lettre / d’un prénom... » » .
Da capo ! (6)
***
1) Rafael de Surtis Éditions, 7, Rue St Michel, F-81170 Cordes sur Ciel. En vente à Esch/Alzette chez Diderich et à Luxembourg chez Libo Gare.
2) Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek, en ligne sub www.zlv.lu/spip/spip.php ?article30
3) épanescence : néologisme antinomique d’évanescence (comp. épanouir – évanouir) du poète Michel Deguy, cité par Jalel El Gharbi dans son essai “Le poète que je cherche à lire”
4) Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek : René Welter « Feuil-lets de plomb », suivi de « À main courante » paru chez Estuaires, en ligne sub www.zlv.lu/spip/ spip.php ?article425
5) Paris, Musée d’Orsay, aile gauche. Peut être visualisé sur www.rmn.fr/gustavecour bet/06autour/04.html. On reconnaîtra Charles Baudelaire tout à fait à droite
6) c’est-à-dire retour à la première citation de René Welter : « arrive le jour / où confier / un prénom / suffit »
Giulio-Enrico Pisani

vendredi 6 novembre 2009

حول محمود المسعدىEn relisant Messadi


En relisant Mahmoud Messadi

En pensant à Messadi, s’impose à moi l’incipit de son Sindbad ou la pureté[1] et surtout la première phrase.
كانت الليلة مأساة قلقا قلبا دويا يتصارخ فيها الدمار و الكيان وينبو كل شيء عن القرار كأن عدما يجهد إلى الوجود أو كأن حياة تجهد إلى فناء
Phrase d’une haute teneur poétique où les mots grondent. J'en tente ici une traduction approximative :
« La nuit était de drame, d’angoisse, de trouble et de vacarme ; l’être et l’anéantissement y criaient ; tout rebiffait à l’apaisement, comme si un néant s’employait à être, comme si une vie s’employait à disparaître » Cette phrase qui a comme écho toute la thématique de l’orage structurant La Naissance de l’oubli a toujours constitué pour le lecteur de Messadi que je suis le meilleur seuil pour entrer dans une œuvre à la langue admirable car Messadi est avant tout sa langue soutenue, raffinée et lumineuse. Ma phrase développe une allitération en [q] qui, à elle seule, dit l’orage dont il s’agit. Mais l’orage de Messadi est un prétexte pour l’allitération. Ce que dit la phrase, c’est la proximité entre son et sens. L’orage chez Messadi est un archétype de la naissance ou de l’extinction, envers et endroit d’une même réalité car chez l’auteur du Barrage, la parenté entre la chose et son contraire est érigée en étymon spirituel, pour reprendre ce vieux motif de la stylistique de Spitzer. Tout vient sans doute de cette proximité entre avènement et extinction, de cette proximité entre distance et proximité. Je décline ce thème de la parenté en une proximité entre Orient et Occident. Cette proximité se voit dans la culture de l’écrivain, une culture bilingue qui donne à ses œuvres des veines se rattachant aussi bien à Tawhidi qu’à Claudel. En cela, il ne faut pas se fier à ce que dit Messadi dans sa réponse à la lecture de Taha Hussein. Comme il le dit lui-même au début de sa réponse[2], une fois publiée, l’œuvre vit du souffle qu’elle insuffle au lecteur et qu’elle lui inspire. C’est pourquoi il ne faut pas se fier totalement à ce que dit Messadi de Messadi : il y a souvent un écart entre l’auteur, l’œuvre et la lecture que l’auteur fait de son œuvre. Il n’est pas malaisé de montrer qu’il y a moins de Céline dans l’œuvre de Messadi que de Camus (oui, bien que Messadi ait affirmé que Camus n’était pas l’auteur qu’il lisait le plus) et surtout qu’il y a moins d’Ibsen que de Claudel, surtout celui des Souliers de Satin. Je cherche à dire que si Taha Hussein avait lu Le Barrage en français il l’aurait compris dès la première lecture. Une étude comparative attend d’être faite qui montrerait que As Sod cache mal Le Barrage dans la première version, en français, que Messadi a écrite du As Sod. Malheureusement, d’aucuns ont estimé que cette version était inutile. Je ne ferai pas de leçon sur la critique génétique mais je dis tout simplement ceci : je ne suis pas sûr que les textes qu’on écarte d’un auteur ne présentent aucun intérêt.. D’autres rapprochements sont à oser : avec Ahmed Faris Alshidyaq, par exemple. Je parle du Alshidyaq réactualisant les maqamat[3]. Le propre des maqamat est d’accorder la toute première importance à la langue même. Tout est prétexte au dire. C’est au dire que le dire se destine. Si de nouvelles lectures de Messadi sont à espérer, c’est parce que ce que nous ressentons comme le signe même de la modernité est ressenti par la critique traditionnelle comme signe de décadence, cette prose assonnée (Messadi a soutenu une thèse sur ce thème, thèse rédigée en français).
L’œuvre de Messadi revoit la typologie des genres. Son théâtre n’est pas théâtral, son roman n’est pas romanesque. En cela, Messadi prolonge l’œuvre de Faris Alshidyaq et annonce le roman actuel où la part de la diégèse rétrécit comme peau de chagrin pour laisser pour laisser place à l’évocation autobiographique, à la note de lecture, au journal de voyage éclaté, à l’anecdote et à l’aphorisme. Il est heureux que la modernité rejoigne un type d’écriture que nous connaissons et dont Messadi est l’une des figures les plus illustres.
Aujourd’hui la question est de savoir comment le lire. La première tentation serait celle d’une critique « isolationniste » : Messadi est à nous (ou à moi dirait le critique attitré) et cela présente l’avantage de ne pas trahir notre ignorance. Ou alors ceci : Messadi n’était pas que Tunisien. Et son œuvre est traversée d’échos. Bien entendu mon propos ne s’adresse pas à qui croit que l’intertexte est honteux. Une telle approche montrerait que Sod a d’abord été Le Barrage et surtout que le texte écrit en français demandait à être réécrit en arabe.
J.E.G
[1] Œuvre complète, Tome I, p.329 Sud Editions
[2] Œuvre complète, Tome III, p. 51 Sud Editions
[3] Ahmed Faris Alshidyaq : Al Saq ala al saq... Dar Maktabat al-Hayat. Beyrouth d’après l’édition parisienne de 1855.

lundi 2 novembre 2009

خسرو و المعرىKhosrau et Maari


Khosrau et Maari خسرو و المعرى

Voici un extrait du Sefer Nemeh (Livre du voyage) de Nassir Khosrau dans lequel il évoque le grand poète Abu-l-Ala-Al-Maari. (Pour en savoir plus sur Khosrau, voir le site de Pier Paolo-dans mes liens)
Le Sefer Nameh, relation du voyage de Nassir Khosrau en Syrie, en Palestine, en Egypte, en Arabie et en Perse, pendant les années de l’Hégirte 347-444 (1035-1042), a été publié, traduit et annoté par Charles Schefer en 1881 :

Un homme du nom d'Aboul Ala el Ma'ary, qui était aveugle, gouvernait la ville. Il était fort riche et possédait un grand nombre d'esclaves et de domestiques.
Tous les habitants de la ville semblaient être ses serviteurs. Pour lui, il avait embrassé la vie ascétique, il portait des vêtements de bure et ne quittait jamais sa maison. Il s'était assigné pour nourriture journalière la moitié d'un pain d'orge et il ne mangeait pas
autre chose. J'ai entendu dire que la porte de sa demeure était toujours ouverte et que ses délégués et ses gens s'occupaient de régler les affaires des habitants; on n'avait
recours à lui que dans des cas importants. Il ne refusait à personne une part de ses biens, il jeûnait continuellement, veillait la nuit et ne s'occupait jamais des affaires de ce monde. Ce personnage a atteint dans la poésie et dans les belles-lettres un tel degré de perfection que
les littérateurs de la Syrie, du Maghreb et de l'Iraq reconnaissent unanimement que, dans ce siècle, personne ne s'est élevé et ne s'élève à une hauteur pareille à la sienne.
Il a composé un ouvrage auquel il a donné le titre de Foussoul ou Ghaiat et dans lequel il a introduit des phrases énigmatiques et des allégories exprimées en un style si éloquent et si merveilleux que l'on ne peut en comprendre qu'une faible partie et qu'il faut lire ce livre devant lui pour entendre ses explications. On lui a reproché d'avoir voulu, dans cet ouvrage, faire la critique du Qoran. Il est toujours entouré de deux cents disciples venus de différents pays et qui se livrent, sous sa direction, à l'étude de la littérature et de la poésie.
J'ai entendu dire qu'il avait composé plus de cent mille distiques. Quelqu'un lui dit : «Dieu (qu'il soit béni et exalté!) t'a donné la richesse et de grands biens; pourquoi les distribues-tu aux autres et n'en jouis-tu pas toi-même?» «Je ne possède rien de plus que ce qui m'est
nécessaire pour vivre», répondit-il.

Lorsque j'arrivai à Ma'arrah, Aboul Ala vivait encore