dimanche 17 janvier 2010

Le livre du soufi. Liliane Wouters



Liliane Wouters vient de publier un recueil remarquable intitulé Le Livre du soufi, éditions Le Taillis Pré. Décembre 2009. A lire.

Ici, le soufisme est à entendre comme l’épreuve de la distance, cette expérience par quoi on éprouve le vertigineux écart entre la conscience et l’être dans l’effeuillement qui rapproche du néant.
Le recueil aime à répéter cette phrase « Mais elle est en Irak et moi au Khorasan ». Tout porte à croire qu’on n’écrit, qu’on n’aime que pour abolir la distance sans quoi nous n’écririons pas, sans quoi nous n’aimerions pas.
La distance est un autre nom de la fixité, de l’implacable irréductibilité du réel à quoi on ne peut opposer que la propension aérienne de l’esprit. Résumons : tout corps est pesanteur ; tout esprit est ailé. Et tout se passe comme si l’humanité de l’homme l’empêchait d’être plus humain (ou même d’être). C’est sans doute pourquoi la poésie mise tout sur l’amour. Et l’amour est d’abord un regard, la fulgurance d’un éclair :
« Il suffit d’un regard, dit-il,
Comme autrefois sur l’Arno
Quand Béatrice croisa Dante Alighieri. »
L’amour est tout autant cheminement du corps et de l’esprit. Il est surtout ce qui donne un corps à l’esprit (allégorie) et ce qui donne un esprit au corps (image). La spiritualité engage le corps et l’esprit : le premier dans sa finitude et le second dans cet infini qui est aussi synonyme d’extinction. Et le soufisme est avant tout une poétique. Nous le savons depuis les premiers maîtres.
Dans cette relecture de la spiritualité, les grands noms du soufisme musulman (Roumi, Al Halladj, Ibn Arabi) s’allient aux grandes figures bibliques (Job, Jésus). L’errance du soufi ou de l’amoureux ou mieux encore du soufi amoureux le porte de contrée en contrée, de texte en texte dans une quête qui fait du multiple un biais pour trouver l’un. Aucune illusion n’est permise en l’occurrence : on sait que la quête est vouée à l’échec. Le poème est dès lors le moyen d’accoster la fin :
« Même si tout s’arrêtait là,
Au dernier souffle, à la fosse, à la cendre,
Même s’il me fallait descendre
Ces escaliers qui ne conduisent nulle part,
Cela valait la peine d’être né,
D’avoir connu des joies et des douleurs intenses,
D’avoir aimé, d’avoir lutté, d’avoir pleuré. »
Pourquoi toute évocation de la sphère soufie prend-elle les allures d’une incursion dans les sites du silence alors que le propre du soufisme –je pense surtout à Roumi- est de s’apparenter à la vie, aux images du monde et au monde des images.

4 commentaires:

  1. Pourquoi, Jalel, ce soufi me fait-il penser à Orphée? Régurgitation mnémonique incontrôlée? L'ADN du soufisme aurait-il puisé quelques gènes dans l'orphisme?

    Peut-être mon subconscient a-t-il ajouté à "ton" dernier vers "... et d'avoir dû laisser là celle pour qui j'étais venu...

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  2. Cher Giulio : Oui au rapprochement avec Orphée. Par le chant, la passion, le désir. (excepté celui de revenir)
    Amicalement

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  3. RAQS'N'RAGGA

    Le bruit est une morsure
    De silence épanoui
    La variation d'un parfum
    Taillé sur mesure
    Tel un costume d'arlequin

    Soyons Polichinelle
    Ou Sganarelle
    Les bosses sont les reliefs
    D'un repas de prince
    On danse sur des ponts
    Au milieu des sabres
    Et des lances d'argent

    Polissons l'arc-en-ciel
    Et ses chrêmes mordorés
    Vertus du chrome
    Et de ses dérivées
    Rien ne subsiste
    Que des alliées
    Du rêve séminal

    Des chevaux et des trains
    Des voyages immobiles
    Comme le battement de paupières
    Peint par des cils insolents

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  4. @ GMC : c'est un plaisir de vous retrouver, cher poète.

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