vendredi 28 mai 2010

Giulio-Enrico Pisani présente Salah al Hamdani


Dans le dernier numéro de la Zeitung Vum Lëtzebuerger Vollek, notre ami l'écrivain Giulio-Enrico Pisani présente le poète irakien Salah al Hamdani :


Salah al Hamdani ou...
« L’exilé (qui) se couche seul entre les lignes de l’histoire »

Grâce à l’interview que Brigitte Giraud (1), écrivaine et artiste bordelaise, a mis en ligne, j’ai découvert le poète, acteur et dramaturge irakien Salah al Hamdani. Vous en faire partager les points forts et les commenter de mon mieux c’est bien sûr tout un. Quant à l’original, écoutez & voyez-le donc sur http://paradisbancale.over-blog.com/article-une-rencontre-avec-salah-al-hamdani-ma-video-49744167-comments.html ! Encore un de ces poètes et écrivains au génie passerelle entre sud et nord, orient et occident ! Un de plus, en fait, parmi ces esprits qui, attachés à leurs racines, à leur argile, comme dit Salah, savent pourtant voir et « empathiser » bien au-delà de leur pré carré. Je vous en ai déjà présentés quelques-uns dans ces colonnes, des Jalel El Gharbi, Amin Maalouf, Tahar Bekri, Abdellatif Laâbi, Mahmoud Darwich, Laurent Mignon, Hamid Skif, Boualem Sansal, Jean Ziegler et autres Tawfiq Zayyad, ces hommes dont se nourrit l’espoir.
Né en 1951 à Bagdad, Salah s’oppose à la dictature et aux guerres de Saddam Hussein, est exilé 30 années durant en France et s’oppose toujours... à l’occupation anglo-américaine de l’Irak. À l’instar de son « ancêtre »( ?) (2) Abu Firas al Hamdani, il commence à écrire en prison... politique. Il a 20 ans. Aujourd’hui, acteur et metteur en scène, il a joué dans plusieurs films, dont « Bagdad on/off » de Saad Salman, dont il a coécrit les dialogues et a interprété divers rôles au théâtre, dont L’épopée de Gilgamesh au Théâtre National de Chaillot et Kofor Shama, tournée européenne avec la troupe El Hakawatti de Jérusalem. (3) Il écrit et publie en arabe et en français de nombreux récits, nouvelles et poèmes. Certains de ses textes furent même publiés en arabe dans des journaux interdits en Irak à l’époque de Saddam.
« Je suis d’une famille modeste et nombreuse du centre de Bagdad », nous dit Salah, « et je me rappelle toujours mon père... Il disait : “Si tu sors et si tu n’as même pas dix centimes, ce n’est pas la peine de revenir à la maison.” C’est-à-dire qu’on est un enfant embarqué directement dans la vie ; on ne sait pas quoi faire. Alors il y a l’angoisse de l’enfant qui ne sait comment rentrer. Il n’avait pas de violence, mais c’était un lâche. J’ai commencé à travailler pratiquement à l’âge de sept ans. Avec insistance, je pleurais, je disais à mon père que je voulais aller à l’école... Puis je suis allé à l’école... »
Et voici quelques extraits des réponses de Salah al Hamdani à Brigitte Giraud, qui nous le présente comme « le Poète entre deux rives » et précise qu’elle a filmé l’entrevue au théâtre « La Boîte à jouer » de Bordeaux le 24 mars 2010. C’était juste avant le spectacle “Au large de douleur”, mis en scène par François Mauget du Théâtre des Tafurs d’après le livre de Salah, dans le cadre de « Demandez l’impossible - Le Printemps des poètes ».
Lorsque Brigitte lui demande : « Qui est-tu vraiment, Salah : écrivain, poète, certes, mais « au large de quelle douleur ? » (4), pense-t-il seulement à son poème « …Tant de jours / où Bagdad glisse dans un raz de douleur / qui recouvre / d’éloignement / les remous du deuil./ Et aujourd’hui, / l’Euphrate berceau des voiliers / dans les mains d’un pirate./ Tant de nuits / à écouter les gémissements des palmiers / comme un parjure à toutes les souffrances./ Il est tant de blessures à te dire encore : / Je veux que la vie soit aux habitants de Mésopotamie / ce que leur bourreau est à la tombe… », qui sera dit dans quelques instants ? Qui sait ? Quoiqu’il en soit, il sourit et précise modestement :
C’est important pour un écrivain de venir écouter les autres dans son propre texte. On a un autre écho. J’ai (...) quelques ouvrages parce que je ne peux pas tout amener, donc c’est à moi de trimballer mes livres, un vendeur de tapis, quoi ! Je suis un ancien exilé du régime de Saddam Hussein ; en fait c’est ça. (...) on parle des exilés d’aujourd’hui, des gens qui fuient l’Irak parce qu’il y a des problèmes catastrophiques, mais des vrais exilés de Saddam, on n’en parle plus, comme si on n’était plus des victimes. Pourtant on a souffert avec ce régime.
Dans ta chair, tu as souffert ?
J’ai été torturé, j’ai été condamné.
Ce qui fait que lorsque tu es venu en France, tu t’es plus ou moins sauvé, il fallait sauver ta peau ?
Oui, un exilé, sa tête est mise à prix, c’est pour ça qu’il est exilé. Il n’est pas immigré (...) l’exilé a un projet politique pour son pays, c’est pour cela aussi qu’il est exilé et qu’il reste une menace. (Plus tard, à deux pas de là, les spectateurs d’« Au large de douleur » entendront : « L’exilé se couche seul / entre les lignes de l’histoire / tandis que les larmes de sa bien-aimée / elles aussi / montrent la noyade du fleuve. »)
Et depuis la France, tu as une façon de résister, d’entrer en résistance ?
Oui, j’ai été engagé jusqu’à aujourd’hui. Je me suis engagé dans des partis politiques contre le régime, j’étais responsable de la Ligue des artistes irakiens démocratiques en France (...) Je suis à visage découvert, je n’ai pas de cagoule, et donc c’est une menace à la fois sur ma vie et sur ma famille en Irak. C’est un risque à prendre à un moment donné et que j’ai pris, bien évidemment. J’ai milité, j’affichais la nuit pour dénoncer le régime, là où on sait que se trouvaient les services de renseignements de Saddam Hussein. C’est une bataille de toutes les nuits (...), de toutes les saisons. Il y a des militants en France qui militent contre les fachos, contre les ambassadeurs, ou des ministères.
Mais ici, on risque moins ?
Non, ils peuvent nous tuer, ce n’est pas caché. Ils ne se cachent pas (...) les fachos. Je me rappelle qu’un jour, devant l’ambassade de l’Irak, un policier français a été tué et après, Saddam a payé...
Mais comment est-ce qu’ils voyagent en Irak, tes livres ?
Ils ne les connaissent pas.
Même sous le manteau ?
A une certaine époque, mes textes passaient en arabe, pas en français, bien entendu. Certaines radios libres, dans le nord de l’Irak, (...) Kurdes, passaient mes textes, et les gens les écoutaient... Après trente ans, arrivé à Bagdad, je n’ai rien reconnu. (...) J’arrive. Il y a une maison. Je suis je ne sais où. En trente ans, les gens ont vécu, ils ont fait le deuil aussi, ils ont fait le deuil de toi, tu n’existes plus. Donc tu réveilles toute cette histoire ancienne et du coup toute la douleur remonte. Dans ce livre, “Le retour à Bagdad”, j’explique comment la porte s’ouvre, et les gens sont venus courir vers moi comme si une flamme était dans leur vêtement. C’était ça. On attrape l’autre, on a tellement d’amour à lui donner, on ne sait plus quoi faire, on le mord, on l’embrasse, on lui tire les cheveux, on ne sait pas... Quand après trente ans d’exil, il y a la rencontre avec la mère, elle ne sait pas quoi faire, cette pauvre femme, moi non plus d’ailleurs. Donc les larmes, cette lamentation, les pleurs... On pleure pendant une demi-journée. Après, tu te dis, bon, qu’il faut arrêter, que la vie continue... »
(Un très beau poème de Salah, « Seul le vieux tapis fleurissait le sol » évoque ce moment d’égarement et de bonheur : « La maison avait changé d’adresse / ma photo avait changé de place / la table avait été pliée derrière la porte / la chaise de mon père, aussi,/ seul le vieux tapis fleurissait le sol // Je t’ai trouvée enfin / dans un jardin nu / avec ton grand châle noir / l’esprit en dérive / enfilée dans tes prières / l’âge cousu sur le visage // J’ai cru serrer un palmier agonisant / Puis dans mes bras,/ j’ai reconnu ma mère. »).
Le rapport avec la terre est très fort, non ?
Oui, bien entendu, l’Irak est un rapport direct avec l’argile. L’Irak est une terre d’argile, une terre fertile. La Mésopotamie... bien entendu, c’est une relation avec la terre...
L’entrevue prend fin, car la rencontre avec le public commence. Brigitte nous avoue : « Moi, j’aurais aimé prendre dans ma boîte à images et à mots, ce qu’il dit de sa rencontre de lecture avec Albert Camus, qui est à l’origine du choix de sa terre d’exil. “Un pays qui avait porté un tel homme ne pouvait pas être mauvais. C’était là, en France, où je devais aller.” » Camus ? Et pourquoi pas ? Quand je pense qu’il y en a pour comparer son « ancêtre » Abu Firas à Edgar Poe !
***
1) Brigitte Giraud a publié aux Éditions Le Bord de l’eau « L’anorexie, un mystère galvaudé » ; chez Pleine Page « La Nuit se sauve par la fenêtre » et « Des ortolans et puis rien » ; chez l’Harmattan « L’éternité, bien sûr » et anime plein de choses, dont le blog paradisbancale.over-blog.com
2) Ancêtre ? Qui sait ? Parent en poésie de prison comme Villon, de Viau Marot, Chénier, Apollinaire, Pellico, en tout cas. Peut-être aussi de nation, car né à Mossoul (Iraq) en 932 et mort à Homs (Syrie) en 968, Abu Firas al Hamdani est un poète de la grande famille des Hamdanides (Haute Mésopotamie). Capturé par les Byzantins lors d’une bataille, il écrivit notamment les « Rûmiyyât », son recueil de poèmes le plus connu.
3) La troupe El Hakawatti est attachée au Palestinian National Theatre (PNT), association non lucrative oeuvrant pour la vie culturelle de Jérusalem avec des programmes artistiques, pédagogiques et ludiques, qui reflètent les aspirations du peuple palestinien.
4) Allusion à l’ouvrage « Au Large de douleur » de Salah al Hamdani, L’Harmattan, Paris, 2000, dont est inspiré le spectacle et sont extraits ces vers. Autres publications en français : voir encadré !
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Gorges bédouines, Le Cherche Midi, Paris, 1979
Les Hauts Matins, L’Escalier blanc, Paris, 1981
Mémoire d’eau, Caractères, Paris, 1983
Traces, Editions Spéciales, Paris, 1985
Au-dessus de la Table, un Ciel, L’Harmattan, Paris, 1988 et 2001
Le Doute, Caractères, Paris, 1992
Mémoire de braise, L’Harmattan, Paris, 1993
L’Arrogance des jours, L’Harmattan, Paris, 1997 *
Ce qu’il reste de lumière, L’Harmattan, Paris, 1999
Au large de Douleur, L’Harmattan, Paris, 2000
J’ai vu, L’Harmattan, Paris, 2001
Le cimetière des oiseaux La traversée, L’Aube, France, 2003
Le Cimetière des oiseaux (récits), suivi de Bagdad mon amour (poèmes),
Éditions de l’Aube, 2003, avec la collaboration d’Isabelle Lagny.
Le retour à Bagdad, Les points sur les i, 2006
Bagdad à ciel ouvert, L’Idée bleue / “Les Écrits des Forges”, 2006
Bagdad mon amour, Les Ecrits des Forges - FIP (2008)
Le balayeur du désert, Editions Bruno Doucey (2010)
Giulio-Enrico Pisani

jeudi 27 mai 2010

Musée de Salakta (suite et fin)


Stèle votive
Musée de Salakta
Cette stèle, j’ai envie de la baptiser « stèle de la symétrie » : deux dauphins de part et d’autre d’un trident, attribut de Neptune. Plus haut, deux disques. Vraisemblablement la lune (luna) et le soleil (sol) ou Séléné et Hélios mais sans aucun de leurs attributs, impossibles à identifier sans doute parce que la question du genre importe peu : les principes mâle et féminin sont pacifiés. La lune et le soleil ne sont que leurs disques, ils ne sont plus que comparants. Sans doute un mode stylisé pour dire figure, visage. Ou mieux encore, ils ne sont plus que deux yeux. Un regard venant de loin.
Tout en bas, comme pour faire pendant à ces deux disques le visage du dédicant, très stylisé. Il est dans la droite ligne du trident. Il est représenté sous un arc de lauriers qui joue, géométriquement, le même rôle que le trident puisque tous deux introduisent des subdivisions dans la stèle, horizontale pour l’un, verticale pour l’autre. Le tout se présentant comme un écu, comme un cœur stylisé.

dimanche 23 mai 2010

Eros funèbre


Musée de Salakta.

Eros funèbre.
Musée de Salakta. Des deux côtés d’une stèle funéraire, on peut voir sculptés deux Eros funèbres reconnaissables à leur torche renversée. C’est Eros sous les traits d’un génie de la mort. Tout semble indiquer que celui qui présidait aux joies de la défunte est affligé de la voir partir. On a cru y voir également une figuration du défunt sous les traits de la divinité espiègle. En réalité, il est difficile de comprendre la nature de cet Eros funèbre sans invoquer l’influence grecque. La mort, épousailles funèbres, n’est que le retour vers les temps liminaux. Selon Hésiode, le monde est né de la rencontre entre Eros et Chaos. Dans cette perspective, chaque étreinte amoureuse serait l’actualisation de la parenté entre Eros et Thanatos. Et il semble que chaque mort soit la répétition de cette rencontre liminale. Les Romains ont emprunté aux Grecs cette « erophanie » comme on peut le voir dans cette statuette funèbre qu’expose le musée Carnavalet (statuette libyenne),



comme on peut le voir à Salakta et comme on peut le voir dans les nécropoles grecques d’Asie mineure.
Ici, malgré les sévices du temps qui rendent illisibles les détails, on peut avancer qu’Eros ne semble pas très affecté par le départ de la défunte. On ne voit pas chez lui les signes de la douleur : la torche n’est pas écrasée, il n’est pas voilé, il n’a pas la tête inclinée et il a ses deux ailes. Tout se passe comme s’il se réjouissait à la perspective d’une rencontre éternelle. La flamme semble prête à reprendre feu. Eros funèbre mais presque ravi.

vendredi 21 mai 2010

La mosaïque d'Ostie de Salakta


Une journée à Salakta
Salakta, près de Mahdia. Selon Procope, ce fut la première étape de Bélisaire dans sa marche sur Carthage qu'il reprend aux Vandales en 533.
Une mer turquoise, un village paisible et un petit musée d’une grande richesse. Présentons d’abord sa mosaïque d’Ostie. C’est ainsi que sont appelées les mosaïques en noir et blanc. Au premier blanc, deux dauphins se faisant face et séparés (ou réunis) par un poulpe dont la pêche faisait la richesse de la ville. Au milieu faisant pendant aux deux dauphins, deux navires l’un à trois mâts, l’autre à deux mâts avec une cabine centrale. A l’arrière plan, un phare qui fait penser à celui d’Alexandrie, d’Ostie ou –vraisemblablement de Salakta, l’ancienne Syllectum. Il n’y a aucune trace de ce phare aujourd’hui. Des fouilles marines demandent à être menées. Elles révéleraient des richesses inouïes.
Sur le plan épigraphique, on peut lire : « M F » pour « multum feliciter » « avec beaucoup de bonheur/de chance ». Ces lettres « MF » sont également visible sur la première voile du navire de droite. En dessous, on peut lire « Naviculari syllecticini » c’est-à-dire « armateurs de Syllectum ».

mercredi 19 mai 2010

De l'avant-goût


كتاب الرازي الخاوي في الطب L'oeuvre de Rhazès : Liber Continens
Voici un extrait de ma communication au colloque "Le Goût" qui s'est tenu de la Faculté des Lettres de la Manouba les 13 et 14 mai :

Tout se passe comme si l’avant-goût était le substitut d’un autre mot « prélibation » dans le sens que lui donnait l’Antiquité « action de prélever les prémices, en libation aux dieux ; action de prélever quelque chose sur un tout ». On sait que le mot a été perverti par la féodalité qui en a fait un synonyme de « droit de cuissage ». Notons que le mot « prélibation » de « prelibare » (goûter une boisson auparavant, entamer, faire une libation) a évolué autrement en italien. « Prelibato » désigne une boisson ou un plat délicieux préparé avec amour.
Chez Rhazès, on trouve cette évocation dans son ouvrage traduit en latin sous le titre Liber Continens d’une sensibilité de la langue telle que le sujet éprouve des saveurs qui n’existent pas. « Il arrive également que l’on éprouve un certain goût dans la bouche sans avoir rien goûté et cela est dû à l’excellente qualité de perception de la langue »
وقد يعرض أيضاً أن يكون الإنسان يجد طعم شيء في فمه من غير أن يذوق شيأ وذلك يكون من جودة حس اللسان.
الرازي الحاوي في الطب
On trouve à peu près ce même motif d’un goût se passant de ses conditions habituelles dans l’hagiographie chrétienne. S’agissant de Saint Roman d’Antioche, René François Rorhbacher écrit dans sa monumentale Histoire universelle de l’église catholique (Volume VI, p. 38) : « le juge le condamna à avoir la langue coupée. Un médecin, nommé Ariston, qui, par faiblesse, avait renié la foi, se trouva présent. Comme il avait sur lui les instruments nécessaires pour cette opération, on le contraignit malgré lui à couper la langue du martyr ; mais il la garda comme relique précieuse. Le martyr fut envoyé en prison. En entrant le geôlier lui demanda son nom. Il le dit, et parla encore depuis à toute occasion, prononçant mieux qu’il ne faisait avant qu’on lui eût coupé la langue, car naturellement, il bégayait ». Cela se passait en l’an 303.
Perdre la langue est ici la condamnation du martyr. Saint Roman d’Antioche devient éloquent suite à ce châtiment qui aurait dû le réduire au silence.

dimanche 9 mai 2010

De la cuisine relevée par la poésie par Henri Deluy. ( Suite et fin)


Le « lait de lion »
Plus connu sous le nom de « raki », une eau de vie parfumée à l’anis, comme on la trouve, sous différentes formes, tout autour de la Méditerranée, et qui précède et accompagne l’arrivée des « mézès », qui ne sont pas des « amuse-gueule », ni même des « hors d’œuvres », plutôt des « entrées » qui n’en finissent pas, et peuvent recouvrir de larges tables…Petits plats, bols, assiettes, minuscules casseroles, saladiers, verres, truelles, raviers, soucoupes, toute une vaisselle de circonstance présente des dizaines et des dizaines de préparations chaudes ou froides (ou en train de refroidir…), des assortiments dans lesquels on peut retrouver les restes d’un repas antérieur, les « chiche-kebabbs », les brochettes, les papillotes d’agneau, le poulet au miel…
L’aubergine
Mais les mézès, ce sont surtout les aubergines, les pansues et les naines, farcies ou frites, en purée, en confiture, en tranches, avec oignons et tomate, aux fines herbes, et les petits légumes en saumure, les salades au yaourt (piment rouge, menthe…), les feuilles de vigne (ou de choux) farcies au yaourt, au fromage, les taramas, les œufs durs, les poissons du jour (anguille, dorade, maquereau, sardine, thon), en boulettes, ou grillés, poêlés, pochés, très cuits ou presque crus, les coquillages, les crustacés, les viandes séchées (pasterma), les langues de bœuf émincées, les purées de fève, les champignons marinés, les haricots blancs en sauce, les concombres (« chorba », soupe, au yaourt…) hachés ou non, les saucissons coupés, les fines courgettes accommodées, les olives, toutes les olives, et aussi, les calamars, les feuilletés divers, les pois chiche, les tripes à la cuillère…
Et il y faut aussi, il y faut encore, les pâtisseries, les « kadayf » aux pistaches, les « halva », les « rahat loukoum » (« repos de la gorge »), les fruits secs, les fruits frais (melons, pastèques…)
Et s’attendre à ce qui va suivre (mais allez donc reprendre du pied de mouton à la crème d’anchois, après ça !)…
Car il faut, bien sûr, l’appétit, et la force de vivre…

samedi 8 mai 2010

De la cuisine relevée par la poésie. 1


Le poète Henry Deluy publie ce texte gourmand dans le dernier numéro de la revue Action Poétique

Henry Deluy,
Les mézès
La Méditerranée, La Mer Egée, la Mer de Marmara, la Mer Noire, le Bosphore, et, de l’Anatolie au Capadoce, de grandes villes, Ankara, Istanbul, Antioche, Pergame, Smirne, Trébizonde, où se plonge la rumeur de très antiques cultures et d’une très vieille histoire.
Et aussi de petits ports, des villages de montagne, des populations diverses…Des façons de vivre.
Des cuisines.
Des cuisines qui se fondent en une cuisine à la fois méditerranéenne, asiatique, américaine, européenne, ouralienne, caucasienne, arménienne, égyptienne, indienne, kurde, musulmane, orthodoxe, chrétienne, juive, roumaine, italienne, libanaise, portugaise, et même française !
Une cuisine du hachis, du mélange, de la farce, de la macédoine, du panaché, du ragoût, une cuisine de la diversité et de l’exubérance, et de fortes saveurs, le miel, le sucre, le piment, les miels, les sucres, les piments, les épices…
Les grands classiques
Les ragoûts de mouton, qui n’économisent pas le gras, les ragoûts de poulet (cuit, désossé, avec des noix…), les « mulets pilaki », gratin de muge tranché épais, à la sauce rouge relevée, les salades de moules (aneth…), les « délices de l’imam » (« imam bayildi »), l’imam évanoui, aubergines farcies – oignons, tomates, ail, sucre, persil, pas de viande…), et les aubergines farcies telles qu’elles nous sont parvenues, et les moules farcies (cannelle, pignons, raisins secs…), et les pilafs de riz, les fromages blancs, les « chiche-kebabs » (viandes marinées, agneau, bœuf, poulet, tranches d’aubergine, de poivron, de tomate…), et les « böreks », sortes de « briks » comme on les connaît dans le Maghreb, fourrés de fromages ou de viande, ou de légume, les omelettes superposées, les crèmes de raisin, les gâteaux aux amandes, sans oublier le « khâviar », rare sur les marchés, mais dont le nom est incontestablement turc.
Et le café, le « café turc », qui ne s’oublie pas…

mercredi 5 mai 2010

Voyage de Giovanni Dotoli


Giovanni Dotoli
Universitaire, traducteur et poète, Giovanni Dotoli est une des figures les plus marquantes de la francophonie en Italie. Dernière publication en date : Le Sang du sel aux éditions du Cygne. Je reprends ici un poème que Le Courrier de la Francophonie de Constantin Frosin, vient de lui publier :


Voyage
1
Je cherche l’infini
Entre le soleil et la lune
Le matin
Au balcon du ciel
2
Gonflé de sang
J’échange l’éclat
Avec le vide du temps
Les mains ailées
3
Ta figure passe en cortège
De points d’or au jasmin
Tu gardes le silence de la pierre
Ouverte depuis mille ans
4
Viens je t’attendais
Un oiseau de l’Océan
M’a indiqué la route du vide
Face-à-face avec la tige du mystère
5
Le couchant s’ouvre sur le monde
Un instant d’azur
La terre a la couleur de la vie
Elle est bleue
Sur le chemin de Vénus
6
Je redis le cours de tes veines
Le ciel recommence son chemin
Où va-t-il ?
7
Nous nommons étoiles et planètes
Naissance du monde
L’arc atteint le point invisible
Inscrit au centre
Entre l’ici et le là-bas
8
Plus de nuits
C’est le lieu de l’ Aube
C’est le lieu de la Parole
C’est le lieu de l’Amour
C’est le lieu de la Poésie
C’est le LIEU

lundi 3 mai 2010

Nouvelle page dans la littérature carcérale en Tunisie


Un nouveau récit autobiographique vient enrichir la littérature carcérale en Tunisie. Il s’agit de l’excellente autobiographie de Mohamed Salah Fliss « ‘Am Hamda Al ‘Attel عم حمدة العتال», un texte poignant, à la langue savoureuse.
Aucune haine, mais de la clairvoyance. Aucun ressentiment, mais de la poésie. Aucune mièvrerie, mais de la fermeté. Voici un extrait traduit pour vous. L’auteur est en prison à Borj Roumi dans les années 1970, on lui apprend le décès de son père :
L’espace n’était plus celui d’une prison pas plus que le temps n’était celui de l’arrestation. La trame n’était plus celle d’un prisonnier politique sous un régime dont la marge de tolérance est réduite à zéro… Je n’étais plus rien que celui-là qui a perdu son père et j’étais séparé de lui par des murs d’intolérance, des barbelés de réjouissance à me voir dans la peine ainsi que d’autres vilenies émanant d’esprits obtus et sectaires…
Mes trois compagnons cherchent à me faire parler ; je me suis enfermé dans le silence, perdu dans d’autres mondes où ils ne pouvaient m’atteindre. Renfermé sur moi-même, je déniais leur présence.
Le regretté Docteur [Ayed] n’eut de cesse de me provoquer et d’exiger que je parle de peur de me voir sombrer dans un sérieux traumatisme. N’y étant pas parvenu, il se mit à me gifler fébrilement et à me crier de répondre à des questions que je n’avais pas entendues moi qui tenais bon dans mon silence renfermé.
Le regretté Nourredine Ben Khedhr ne put s’empêcher d’éclater en sanglots et de crier : « Voilà que je pleure à ta place ». On l’entendait pleurer, alors que j’étais silencieux et que je n’avais pas versé une seule larme comme si la scène n’était pas d’abord la mienne et comme si le drame n’était pas précisément le mien. Nourredine me serra chaleureusement dans ses bras et de toute la force de la fraternité, il m’invita à pleurer. Mais toutes mes larmes avaient disparu au loin, emportant ma perception de l’espace et du temps ainsi que ma conscience de la présence de ceux qui étaient venus pour me soutenir et que j’avais délaissés subrepticement me rendant très loin, au plus profond…