samedi 27 décembre 2014

Adam Martinakis par Giulio-Enrico Pisani

Les «Univers parallèles» d’Adam Martinakis 

(Zeitung vum Lëtzeburger Vollek)

Certes, les expositions collectives, où l’on présente de nombreux artistes, ont l’avantage d’en faire connaître davantage au cours d’une même visite. Mais comment vraiment apprécier chacun d’en­tre eux ? Comment approfondir la vision de chacun, l’esprit de son travail, l’âme de son art, quand dessin, peinture, photographie ou composition digitale se côtoient en une sorte de concurrence cacophonique confrontant l’incomparable et poussant le visiteur à être simple passant ? Imaginez donc mon plaisir, amis lecteurs, lorsque Madame Gila Paris, la directrice de la Cultureinside gallery1, m’invita à ce vernissage solo. Plaisir qui se mua en une joie profonde, lorsque je vis que l’artiste exposé n’était autre que le génial Adam Martinakis, dont j’avais pu admirer il y a cinq ans2 quatre compositions digitales exceptionnelles. Je pense à «Crystal Nightmare», symbiose et interpénétration entre un nu féminin et les carreaux d’un palais de verre surréaliste, ou «Blurred» où l’homme se bat contre l’architecture (autoportrait, symbole ?), ou «Where is Love ?», intérieur d’immeuble fou incluant un homme nu dans sa folie...
J’écrivis à l’époque «Espérons que ce jeune prodige et déjà grand artiste garde un bon souvenir du Luxembourg (...) et nous présente un de ces jours une exposition en solo...». Cinq longues années, et dire que j’avais failli l’oublier, pendant que son «confrère» Giacomo Costa, cet autre magnifique graphiste et peintre digital, ne cessait d’exposer chez nous. Le digital ! Oui, mais la comparaison s’arrête là. Lorsque Costa s’est rendu célèbre par ses grandioses paysages urbains et industriels post-apocalyptiques dont l’être humain est exclu, chez Martinakis tout tourne autour de l’être humain. C’est autour de l’homme et de la femme qu’il conçoit et réalise ses oeuvres et affirme construire son travail comme «un mélange de futurisme post-imaginaire et de symbolisme abstrait». Quant à moi, je pense que ses créations tiennent moins d’un symbolisme abstrait que surréaliste, voire transréaliste, ou même uchronique ». L’art digital permet de donner vie à des mécanismes de création illimités. L’artiste explore sans cesse l’inconnu, la lumière, les ténèbres... Propose-t-il une passerelle entre matière et esprit, vivant et absent, personnel et universel ?
Artiste visionnaire, féru de numérique et de nouvelles images, il s’est tourné après ses études de design industriel vers l’art numérique. Ses «sculptures» sont des images de synthèse avec un rendu 3D. Elles représentent des ê­tres à la vigueur vulnérable, empreints d’une puissance fragile, d’une énergie qui semble toujours prête à se briser. Conçues en tant que sculptures numériques, elles sont ensuite ramenées par cet avatar de Faust qu’est Martinakis à des projections bidimensionnelles — appelez-les images ou tableaux — où la troisième dimension reste omniprésente, et même la quatrième, sans doute, n’est pas très loin. Projeté sur feuilles (panneaux) Diabond3, l’univers imaginaire et visionnaire de l’artiste, accroche le spectateur — il n’est plus simple passant curieux dès son entrée dans la galerie — par ses multiples facettes. Chacune d’entre elles projette dans l’espace et par-dessus les distances une autre vision de la créativité de l’artiste, dont les seules limites semblent être l’esthétique, la beauté, l’élégance et l’harmonie des volumes, des formes, des corps et de leurs chorégraphies. Et Martinakis de l’exprimer en quelques mots : «J’imagine l’art comme un pont, une connexion entre l’esprit et la matière, le vivant et l’absent, le particulier et l’universel. Mon but est d’explorer l’inconnu, la lumière et les ténèbres d’une coexistence qui formerait l’horizon évènementiel de la création. Je compose des scènes de ce qui doit encore naître, qui est mort, qui est vivant et qui est absent, immergé dans la métaphysique de la perception»4.
«Eh bien, voilà qui est ambitieux», me direz-vous : «Se prendrait-il pour un démiurge?» La réponse est non. Il n’en est que l’explorateur qui aspire, grâce aux horizons quasi-illimités de son art, à découvrir tous les univers possibles. Il suffit en effet de plonger sans réserve dans son «Cassandra-complex»5 pour se voir transporté dans un monde où les adjectifs deviennent dérisoires. Hommes et femmes au corps nu, dignes de Michel-Ange ou d’Antonio Canova, s’y débattent et s’interpénètrent en un ballet de membres aspirés par un futur tragique, dont les mains de Cassandre brisant le mur du présent essaient en vain de les préserver. C’est gé-ni-al ! Presqu’aussi impressionnant : «City men», où quelques hommes minuscules voient leurs semblables format géant essayer de maîtriser, en y pénétrant façon passe-muraille, les constructions d’une cité futuriste. Dans «Golden boy», l’être humain — ici réduit à un torse — hurle sa souffrance façon cri de Munch ; mais semble moins souffrir de la dispersion de son or, que de sa déchirante métamorphose. «Last kiss», le dernier baiser, c’est la tendresse pure tressée en une arachnéenne filigrane de fils évoquant un peu ces sphères virevoltantes qui roulent à travers les déserts d’Amérique du Nord ou de Sibérie6. J’en reste là, car il m’est impossible de détailler ici toutes les oeuvres exposées.





 Chacune est une féerie unique, mais toutes sont extraterrestres, dans la mesure où, poèmes visuels régurgités par son subconscient, puis façonnés et mis en scène par ce magicien du numérique, elles explosent le connu, dépassent le magique et flirtent avec l’inimaginable.
Né à Lubań, en Pologne en 1972, Adam Martinakis émigre en 1982 avec sa mère, polonaise et son père, grec, à Athènes. Là il s’inscrit au TEI, Institut Éducationnel technologique, où il étudie architecture d’intérieur, arts décoratifs et design industriel. Après son diplôme, il entre aux Beaux-arts à Thessalonique. Mais ses études sont traversées, voire saturées par un énorme travail personnel dans de nombreux autres domaines artistiques. A partir de 2000 il travaille et expérimente sur l’art numérique lato sensu, c’est-à-dire la sculpture et les images digitales en 3 dimensions, l’animation, la vidéo digitale et les nouveaux médias. Aussi se considère-t-il avant et par-dessus tout comme un autodidacte. Mais quel autodidacte ! Car Adam Martinakis a reçu des muses bien plus que l’habileté, qu’un goût très sûr, que du talent, que du savoir-faire ; il a été touché par le génie. Membre de la Chambre grecque des Beaux-arts, il a également enseigné l’art et le design digital, le graphisme, la décoration d’intérieur et le design céramique dans de nombreux instituts et écoles d’art. Il vit et travaille en Grèce, en Pologne et au Royaume Uni et expose dans le monde entier. Voilà, amis lecteurs, vous en savez à présent autant que moi. A vous de jouer !
Giulio-Enrico Pisani
(1) Cultureinside gallery 8, rue Notre-Dame (coin rue des Capucins) Luxembourg centre, Tél. 621241243, expo Adam Martinakis jusqu’au 31 janvier 2015, du mardi au vendredi de 14h30 à 18h30, samedi de 11 à 17h30.
(2) Galerie Clairefontaine, juillet 2009
(3) Le Diabond, ou ACP (Aluminium Composite Panel) est un panneau en PVC de 3 mm, revêtu d’une feuille d’aluminium
(4) Traduit de l’anglais: «I imagine art being a bridge, a connection between the spirit and the material, the living and the absent, the personal and the universal. My aim is to explore the unknown, the light and the darkness of a supplementary coexistence that forms the event horizon of the creation. I compose scenes of the unborn, the dead and the alive, immersed in the metaphysics of perception».
(5) Tableau représentant le syndrome, complexe ou malédiction de Cassandre, qui avait reçu le don de la prophétie, mais n’était jamais crue (mythologie grecque).
(6) Tumbleweed en anglais (herbe culbutante)
 Freitag 19. Dezember 2014

jeudi 25 décembre 2014

Mahmoud Darwich Ce qui sera advint. Traduction Jalel El Gharbi





 Child Hassam : Fifth avenue in winter 1919.
Ce qui sera advint
I.m. Rachid Hassin
Cinquième avenue, il m’a salué. Il a pleuré. Il s’est penché sur la muraille en verre mais il n’est point de saule à New York.
Il m’a fait pleurer. Il a remis l’eau dans son fleuve. Nous avons pris un café. Puis nous nous sommes séparés en quelques secondes.
Cela fait vingt ans que je le connais
Il en a toujours quarante
Il était grand comme un chant côtier et triste
Il  venait nous voir telle une épée de bière. Puis repartait comme les fins d’une
Prière
Il jetait sa poésie au « Christo »
et tout Saint-Jean D’Acre se réveillait
Et marchait dans l’eau
Lui, c’était une semaine pour la terre et une journée pour les conquérants
Et maintenant ma mère peut bien lancer un Ah
Les roses et les chaînes sont pour ses mains. Et derrière le mur,
Seule sa blessure souveraine l’a égratigné. Des amoureux
Viennent et jettent des rendez-vous
Nous avons hissé le bras tendu, nous avons étrenné les grappes et nous nous sommes mêlés dans
 les cris de la rue officinale. Nous avons brisé les chants et nous nous sommes mêlés
dans les yeux noirs. Nous nous sommes battus, nous avons été tués puis battus. Des chevaliers
Viennent et s’en vont
Et dans chaque vide
Nous verrons le silence du chanteur si bleu qu’il en est absent.
Cela fait vingt ans
Qu’il jette sa chair aux oiseaux et aux poissons dans toutes les directions
Et maintenant ma mère peut bien lancer un Ah
Fils de fellah né de la côte de la Palestine
Homme du Sud
Triste comme un moineau
Fort
D’une voix claire
Il a de grands pieds
Il a de grandes paumes
Il était pauvre comme un papillon
Il était basané jusqu’à l’effondrement
Et il était large d’épaules
Il voyait plus loin que la porte de la prison
Il voyait plus près que la thèse portant sur l’art
Il voyait une nuée dans le casque d’un soldat
Il nous voyait et voyait la carte de réfugié
Il était simple dans le choix de ses cafés et de ses mots
Il aimait le naï et la bière
Il n’a retenu que les mots les plus simples
Il était élémentaire comme l’eau
Simple comme le repas des pauvres
Il était un champ de pommes de terre et de maïs
Il n’aimait pas l’école
Et il aimait la prose et la poésie
Peut-être que la plaine est prose
Peut-être que le blé est poésie
Et les samedis, il rendait visite à ses parents
Il se reposait alors de l’encre divine
Et des questions de la police
Il n’a publié que les deux volumes de sa première poésie
Et il nous a donné le reste
Il y a dix ans, on aperçut ses pas à l’aéroport de Lod
Puis il disparut
Et advint ce qui sera
L’épi m’a dénoncé
Et l’hirondelle m’a offert
Aux yeux des assassins
Pâle comme le soleil à New York :
Par où le cœur peut-il passer ? Y a-t-il dans la forêt de béton des plumes de pigeon ?
Ma boîte aux lettres est vide. Et l’aube ne darde pas
Ni l’étoile ne brille dans cette cohue
Mon soir est exigu, le corps de mon amour est en papier et personne vers mon
Soir ne « souhaite être le fleuve et la nuée »
Par où le cœur peut-il passer ? Qui ramassera le rêve tombé
Près de l’opéra et de la banque ? Un torrent d’épingles emportera
Les plaisirs que je porte.
Maintenant, je ne rêve plus de rien
Je désire désirer
Je ne rêve que d’harmonie
Je désire
Ou
Je m’achève
Non, ceci n’est pas mon époque
Pâle comme le soleil à New York
Donnez-moi mon bras que je puisse étreindre
Et mes vents que je puisse marcher
Et de café en café, je cherche l’autre langue
Je cherche la différence entre le feu et le souvenir
Je cherche la qualité première de mes organes
Et donnez-moi mon bras que je puisse étreindre
Et mes vents que je puisse marcher
Et de café en café,
Pourquoi la poésie fuit-elle le cœur chaque fois que Jaffa s’éloigne ? Pourquoi
Jaffa disparaît-elle lorsque je l’étreins ?
Non ceci n’est pas mon époque
Et je cherche la qualité première de mes organes
Et donnez-moi mon bras que je puisse étreindre
Et mes vents que je puisse marcher
… Et il disparut à la Cinquième avenue, ou ce portail du Pôle
Nord. Et de ses yeux, je ne garde que le souvenir de villes qui s’en viennent et s’en vont
Et  il se dissipa, se dissipa…
Puis nous nous sommes rencontrés un an après à l’aéroport du Caire
Trente minutes après, il me dit : 
« Que n’étais-je pas libre
Dans une des prisons de Nazareth »
Il a dormi une semaine. Il s’est réveillé pour deux jours. Il n’est pas allé à la campagne avec le Nil.
Du café, il n’a pas que la couleur
Il n’a pas vu d’Egyptiens en Egypte
Et il n’a interrogé que des livres sur la forme que prend la lutte des classes
Puis il fut interpellé par la sempiternelle question, l’aliénation rocailleuse
« De quel prophète mécréant te vient cette dimension ultime ?» ai-je demandé
Il a pleuré pour une indolence dans mon regard. As-tu changé ?
Oui, j’ai changé et ma vie ne s’est pas écoulée
En vain
Il s’est penché sur le Nil, puis il demanda : « le Nil oublie-t-il ?»
« Non, il n’oublie pas comme on le pensait », ai-je dit
Puis nous nous sommes rappelé nos rythmes d’antan
Et les flots d’hirondelles sur une paume frappant au mur
Et la terre que nous portons dans notre sang comme des insectes
Et nous nous sommes rappelés nos rythmes d’antan et la mort des amis.
Ceux qui ont partagé nos jours puis se sont dispersés
Ne nous ont pas aimés comme nous l’aurions voulu
Ils ne nous ont pas aimés mais ils nous ont connus…
Il délirait quand il était réveillé et se réveillait quand il pleurait
Il marchait comme les tentes dans le lointain arabe
Ma vie est partie en fumée
Et j’ai perdu l’essentiel
Et il disparut près du coucher du Nil
J’ai préparé pour lui un autre thrène et un mémorial en palmes
O mon suicide permanent
Arrête la vie qu’on recommence à partir de n’importe quel départ
Et flamboie comme les plantes de Galilée
Et rougeoie comme un mort assassiné
Tiens-toi debout à la crête du rêve et bats-toi
Car c’est pour toi que sonnent encore les cloches
Et c’est pour toi que  sonne encore l’horloge
Et il se dissipa encore une fois
Et les branches m’ont trahi
Ce qui sera advint
L’épi m’a dénoncé
Puis les hirondelles m’ont offert
Aux épées des assassins
Et dans son sarcophage officiel New York nous y invitait
Cinquième avenue, il m’a salué. Il a pleuré. Il s’est penché sur la fontaine
En ciment. Pas un saule à New York. Il m’a fait pleurer.
Il a rendu à la maison son ombre. Nous nous sommes cachés dans l’écho. L’un de nous
Serait-il mort ? Non. Ai-je un peu changé ? Non. Le voyage est-il
Encore le voyage et le port au cœur ? Oui.
Il était loin, loin et d’une absence infinie
Il a fumé son verre…
Il s’est dissipé
Comme une gazelle qui se dissipe
Dans des prairies qui se dissipent dans le brouillard
Il m’a jeté son mégot au cœur et il s’est reposé
Il n’a pas regardé l’heure
La lune qui se tenait sous le dixième étage de Manhattan
Ne l’a pas volé. Il s’est drapé dans son souvenir… la sonnerie secrète
L’a enveloppé. Entre nos paumes de petits oiseaux passèrent ainsi qu’une mort
Familiale. Ceci n’est pas mon époque. Un autre hiver est revenu. Les femmes
Aux chevaux sont mortes dans un champ lointain. Le temps ne sort pas de moi
Dit-il.  Alors, j’ai échangé, avec mon cœur, des villes qui s’effondrent depuis le début de cette
Vie jusqu’à la fin du rêve…
Resterons-nous ainsi à passer vers le dehors par cette journée couleur d’orange
Pour ne toucher que l’obscur dedans ?
D’où est-ce que je viens ?
Un oiseau a transpercé une lance
Je me suis dit : il a découvert mon cœur
Resterons-nous ainsi à passer vers le dedans par cette journée couleur d’orange
Pour ne toucher que la police portuaire ?
Il délire en dehors du souvenir : moi qui porte le fardeau de la terre
Et qui sauve de cette déperdition[1], les filles ont chaussé mon âme
Et elles se sont mises en marche. Au-dessus de ma voix, les oiseaux ont bâti un nid , ils m’ont traversé
Et se sont envolés dans le lointain
Rien n’a changé
Les chansons m’ont expatrié, expatrié
Ceci n’est pas mon époque
Ceci n’est pas ma patrie
Ceci n’est pas mon corps
Ce qui sera advint
L’épi l’a dénoncé
Et l’hirondelle l’a offert
Aux vents des assassins. 
Traduction Jalel El Gharbi




[1] Allusion à un titre de Abu Hamed Al Ghazali.

lundi 22 décembre 2014

Naissance d'une démocratie, ميلاد ديمقراطية

تونس تدخل عهدا جديدا عهد الديمقراطية
La Tunisie entre dans une nouvelle ère, celle de la démocratie.

jeudi 18 décembre 2014

Paul Klee, Auguste Macke et Louis Moilliet au musée du Bardo

Le somptueux musée du Bardo abrite jusqu'au 14 février 2015une belle exposition commémorant le centenaire du voyage de Paul Klee, Auguste Macke et Louis Moilliet en Tunisie.
Je comprends maintenant que Klee et ses compagnons de voyage appelaient lumière ce que nous appelons douceur.
A ne pas rater. 



Paul Klee Maisons rouges et jaunes à Tunis (Rote und gelbe Häuser in Tunis), 1914.

Louis Moilliet : Saint-Germain, près de Tunis (St. Germain bei Tunis)                                               
 Auguste Macke : Mille et une nuits (Aus 1001 Nacht)