dimanche 30 novembre 2008

Du côté de Fez

Fez la féerique
Fez comme sous le règne des Mérinides. Les mêmes ruelles, les mêmes médersas, les mêmes allégories. Je traverse les ruelles où pleuvent les cris des muletiers aux quatre saisons criant gare. Et j’ai pu écrire ce poème. Le voici comme il a été publié, traduit et annoté par Emauela Frate dans un recueil bilingue français , italien :


Des Esperluettes


Un jour
Je me suis perdu dans ses ruelles
Et tu passais près des couleurs fruitières

Voici les cerises
Voici la pomme

J’ai heurté un passant
Un muletier m’a crié gare
J’ai failli tomber sous les sabots sonores

Je t’ai suivie
J’ai pensé
A qui connut les soleils de Konya,
Les neiges d’Ispahan
Et le chemin de Damas qui mène ailleurs
Je t’ai suivi buvant à la cascade
De ta chevelure
Mes yeux escaladaient ton corps
Callipyge
Me suis agrippé à la chute des reins.

Traduit par Emanuela Frate :

Urla di disperazione

Un giorno
Mi sono perso per queste stadine
Et tu passavi vicino ai frutti colorati

Ecco la ciliegie
Ecco la mela

Ho urtato un passante
Un mulattiere m’ha gridato attento
Ho rischiato di cadere sotto zoccoli sonori

Ti ho seguita
Ho pensato
A chi conobbe i soli di Konya,
Le nevi di Ispahan
Et la via che conduce altrove
Ti ho seguita bevendo alla cascata
Della tua chioma
I miei occhi scalavano il tuo corpo
Sinuoso
Mi sono aggrappato ai tuoi fianchi


Jalel El Gharbi
Urla di Disperazione (recueil bilingue)
(traduzione e note critiche a cura di Emanuela Frate)
Edizioni Kimerik
ISBN:88-89030-84-4

mardi 25 novembre 2008

La vie est une science erronée, un chef-d'oeuvre illisible

Georges de La Tour : Marie Madeleine en pénitence.

Je trouve sur le blog du poète québecois Robbert Fortin un texte que je lui ai consacré. Voici le texte. Robbert Fortin est décédé en avril 2008. Son blog est figé, froid http://leclairdelarose.blogspot.com .


Les dés de chagrin:
Robbert Fortin (Canada): Les dés de chagrin.Hexagone 2006.
Dans ce recueil, Robbert Fortin procède à une impitoyable confrontation entre le réel et ses images, entre la conscience de vivre et le vivre même, qui relève toujours de l’inconscient. Dans cette confrontation, Fortin interroge toutes les modalités de l’être : du rêve au vivre ensemble. Aiguillonné par une lancinante conscience de finitude, le poète est attentif à tous les signes de l’être. Sa poésie dit l’impérieuse nécessité d’entretenir le feu de la vie. C’est sans doute pourquoi les références à l’élément igné abondent dans ce recueil. Or le feu, signifie aussi cela qui consume une vie car « il y a des limites où le feu abolit l’inspiration qu’il éclaire. » Tout se passe comme si l’hymne à la vie confinait au thrène dans cette synonymie entre « pleurer » et « chanter » que nous connaissons si bien depuis Maâri.Il y a quelque chose d’ineffable dont se nourrit cette poésie. Une blessure irrigue le poème, y irradie : « Pour émouvoir je te dis il faut laisser la poésie traquer une certaine beauté de la blessure ». Donc, « beauté de la blessure » dit Robbert Fortin. De quelle blessure s’agit-il ? De quelle plaie, de quelle lésion, de quelle meurtrissure ? ? Celle d’être répond le recueil çà et là. Et cela donne au recueil sa beauté insoutenable. Relisons : « Etant donné l’état du monde/l’éventrement des roses/Je voudrais me rapprocher/de ce qu’on voit d’un regard/qui veut habiter ses rêves/en puisant au poème/cet invisible son qui vient/de ce qu’il y a de plus pur en moi/et fait appel à ce qui recommence? »« Le temps d’apprendre à vivre il est déjà trop tard » écrit Aragon. Et en écho, l’on peut lire ici cet aphorisme si exact : « la vie n’est pas une science exacte ». En marge de ce poème, j’ai noté au crayon noir : « la vie est une science erronée » et me suis promis de faire l’éloge de l’erreur. Et aujourd’hui, j’ajoute : un chef-d’œuvre illisible.Pour Robbert Fortin, la poésie est pensive. Elle pense le monde, transitivement et pronominalement : ici la poésie pense la pensée même. Comme le font les philosophes et des poètes comme Char. Lisant Robbert Fortin, je pense à Heidegger autant qu’à Char que le poète aime citer et réécrire comme pour un dialogue entre les deux poésies. Au verset chardien « la lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil » fait écho ce verset de Robbert Fortin : « la blessure est la flèche la plus rapprochée de la nuit ».Fortin est une voix puissamment lumineuse. A lire.

mardi 18 novembre 2008

Une autre histoire de bleu

Renoir : Le Bal du Moulin de la Galette.

Il faut croire que le bleu est inépuisable. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à penser au Bal du Moulin de la Galette de Renoir ou plus près de nous au recueil de Jean-Michel Maulpoix intitulé Une Histoire de bleu et encore plus récent ce nouveau recueil de la poétesse française Elisa Hutin,Bleu intense, que les éditions Poiêtês viennent de publier. Une autre histoire de bleu qui reprend sous un autre jour les mêmes thèmes que les poètes ont depuis toujours développés. Cela signifie qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil et pourtant tout est à redire. Rien n’a été dit de l’essentiel. Il convient de citer dans cette perspective André du Bouchet que le poète Laurent Fels cite dans sa préface au recueil : «Tout est dit, mais il faut le répéter sans cesse, comme on respire…» Et Laurent Fels de préciser: «Encore faut-il préciser qu’Elisa nous présente ces topoï sous de nouvelles facettes». Il s’agit surtout d’un topos comme celui de l’écoulement du temps. Faut-il renoncer à s’en plaindre parce qu’il y a Les Méditations et Les Nouvelles méditations lacrymales de Lamartine?Je pense qu’il n’y a qu’un scandale : ne plus être jeune. Comment dire la lancinante angoisse de voir passer le temps ? Quels détours emprunter pour que les échos d’antan se perpétuent ? Quelle couleur attribuer aux choses ? La polysémie du bleu semble convenir. Le Bleu intense ou tout autre comme l’insinue ce poème qui décline à l’envi le bleu : «Bleu dur, bleu tendre. /L’air est bleu à t’attendre, le monde est bleu à t’attendre. /Mais as-tu bien entendu ? // Rêve bleu, fleur bleue, /Rire jaune pourquoi pas bleu ?/Je voudrais tant une rose bleue. /La vie en rose et en bleu/Tendre de préférence». Pour faire face au temps qui passe, la poétesse se souvient, aime à se souvenir du temps où elle ne savait rien «De la suie, de la cendre, de la boue, des ornières.» Et c’est dans les interstices du langage que la poétesse situe le sens. Sens : tout à la fois «orientation» et «signification». Le poème est le lieu du souvenir, le lieu d’une méditation sur le temps et sur le langage.

dimanche 16 novembre 2008

Correspondance

Vermeer : La Jeune femme en bleu.

Une lettre trouve sa justification dans la distance. Le propre d’une lettre, c’est qu’elle permet de s’adresser à une personne absente sans verser dans cette figure que la rhétorique appelle « prosopopée ». L’essence de l’art épistolaire est dans cette négation de la rhétorique de l’absence. Une lettre réfute la distance ; elle insinue la présence. Elle ne cesse de répéter : tu es là. C’est sans doute pourquoi toute lettre (celles des huissiers mises à part) a quelque côté pathétique. Quant il s’agit de « lettre à un poète », la missive se trouve surdéterminée par le sens qu’elle transporte. Bien entendu, nous pensons dans cette livraison aux lettres précédentes, celle que Maâri écrivit pour complimenter un poète « Si le vers était habitable, vous en auriez été l’habitant » écrit le penseur de Maârat Al-Nau’man. Nous pensons à la lettre que Vigny écrivit en «conseil à jeune homme inconnu », celle de Rilke, de Virginia Woolf , celle que Michel Deguy m’adressa en postface à mon essai « Le Poète que je cherche à lire » ou encore celle qu’il m’est arrivé d’adresser par voie de presse à Marianne Catzaras. Mais de toutes ces lettres, c’est surtout à celles de Rilke que j’ai pensé. La leçon du poète dans ces lettres est que parlant d’une chose, le poète signifie tout autre chose, parce qu’un poète parle poétiquement.
A la rédaction de ses lettres, Rilke avait 27 ans et son destinataire 20 (presque autant que lui). Les lettres de Rilke ne sont pas des lettres sur l’art d’agencer les vers, sur l’art de se faire une carrière quand on est un jeune taquinant les muses. C’est l’un des meilleurs traités sur l’amour qu’il m’ait été donné de lire. Bien sûr, Rilke laisse entendre que le destinataire ferait mieux de s’occuper d’autre chose que de poésie mais peu importe. De la poésie, on peut en faire sans forcément composer des vers.

mercredi 12 novembre 2008

Un peintre suisse



Portrait de Mimosa telle que rêvée après sa mort.

La distance est implacable. Elle est abîme préfigurant le grand abîme. Ce n’est qu’hier que j’ai appris sa disparition qui remonte au mois de mars.
Je ne l’ai jamais rencontré.
Je n’ai jamais vu que des reproductions de ses œuvres.
Je n’ai eu qu’un bref échange avec lui, qui a commencé je ne sais plus comment et que je n’ai pas voulu prolonger de peur de l’importuner dans son travail.
Il n’est pas mon peintre préféré mais sa démarche est exemplaire. Il est l’archétype de l’artiste.
Victor Ruzo, de son vrai nom Victor Rutz est un peintre suisse né le 22 décembre 1913 et décédé le 26 mars 2008, comme je l’ai appris hier). En 1997 sa maison est ravagée par un incendie. 5000 tableaux partent en fumée. Plus grave encore, sa fille Mimosa, qui est handicapée, y périt. Elle avait vingt ans, l’amour de ses parents. Une tendresse qu’on voit dans tous les portraits d’enfant réalisés par le peintre.
Il est inconsolable. Tentation de suicide. Un an après, il se résout à se donner une raison de vivre, retrouve le goût de peindre et le dégoût de faire face au temps. Il peint sans relâche. De jour et de nuit. Il peint contre le temps qui passe, contre le temps qu'il n'a plus. Il veut refaire son oeuvre. Il dort peu, ne sort pas. Il peint avec frénésie, ferveur, fougue, fureur, fièvre et flamme. Démarche emblématique de ce qu'est l'art. De 1997 à 2008, il œuvre contre le temps.
Il m'invite à une expo en Russie mais mon erreur est de ne pas avoir des ailes de sterne ou de mouette.
Il est mort en mars dernier non sans avoir reconstitué son musée. A Montreuil où je ne suis pas encore allé.

mardi 11 novembre 2008

Still falls the rain/ أنشودةُ المطر/ Pluies

Photo Luigi Morante
Pluies
Soleil, soleil, soleil. Au Maghreb, il ne pleut guère en été. Soleil, soleil, soleil. Chems règne en dieu sans partage jusqu’à ce que les premières pluies d’automne viennent laver les meules de foin. La « laveuse de meules », comme on l’appelle du côté de Tunis, s’abat sur les régions septentrionales. Pluie, pluie, pluie, Matar, matar, matar comme dans le poème de Seyyeb ou alors : Still falls the rain, comme dans le poème d’Edith Sitwell ou encore comme dans le poème d’Emile Verhaeren :
La pluie
Longue comme des fils sans fin, la longue pluieInterminablement, à travers le jour gris,Ligne les carreaux verts avec ses longs fils gris,Infiniment, la pluie,La longue pluie,La pluie.
Chaque année, la laveuse de meules nous surprend, nous submerge, nous prend au dépourvu. Le lendemain, cela est dans les journaux : « Pluies bénéfiques sur le nord ».
Chez moi. Sur ma terrasse. Le mont Ichkeul ne relève plus du visible. Et ses eaux s’assombrissent. Et de lourds nuages venus de je ne sais où s’y mêlent. Et les éléments donnent libre cours aux affinités électives qu’ils entretiennent secrètement entre eux.
Still falls the rain
Pluie, pluie, pluie.
L’Atlas est un immense serpent assoiffé.
Ce sont surtout les villes qui en pâtissent : à Fez, à Alger ou à Bizerte, les rues ont d’étranges velléités vénitiennes sous la laveuse de meules.
Chaque année, la voirie révèle sa complicité avec les pluies.
Chaque année, une pensée pour Noé.
Pluie, pluie, pluie
Still falls the rain
Les premières pluies surprennent toujours. Nous en pâtissons sans que personne ne songe à s’en plaindre.
Still falls the rain.
Que de métamorphoses ! Que de destinées tragiques dans ces flots !
C’est un scarabée qui perd le nord et le sud !
C’est un nid de poule emporté par les flots !
C’est la terre devenant de la boue !
C’est la saison où les villes nous donnent leur boue dont nous ne savons que faire !
Les enfants aiment cette pluie torrentielle et toujours inattendue
Et nous faisons semblant de les gronder
Comme nous avons été grondés naguère.
Aujourd’hui, naguère est devenu jadis.
Et pluie, pluie, pluie
« Rendons grâce à Dieu » dit le paysan, dit la speakerine, dit l’ouvrière, dit l’enfant qui patauge dans les flaques d’eau, dit le commerçant, dit l’instituteur.
Et cela fait des siècles que nous craignons le déluge.
Pluie, pluie, pluie
Et l’orage continue.
Ce ne sont pas les pluies de mars, les dernières de l’année. Elles sont douces, elles. Elles n’ont rien de wagnérien, rien de verlainien. Ce sont des pluies d’inspiration impressionniste. Elles diluent le paysage dans une aquatique luminosité. Elles tempèrent l’ardeur solaire. Après, ce ne sera plus que soleil, soleil, soleil.
Les pluies de mars, tant souhaitées, ont des accointances avec la richesse, elles : elles l’entraînent. Elles promettent de bonnes récoltes : olives, oranges, figues et surtout des meules bien fournies que les laveuses de meule viendront dépoussiérer.
Pluie, pluie, pluie.
Cette année, il n’y aura pas de prière pour la pluie. Les riches cultivateurs n’égorgeront pas de moutons en sacrifice pour qu’il pleuve comme dans le poème de Seyyeb. Et les enfants ne sortiront pas avec cette mystérieuse effigie de « Mère Tangho» pour demander la clémence du ciel. Cette année, il a déjà bien plu. Les prières se renouvelleront en mars.
Matar, matar, matar


jeudi 6 novembre 2008

Le livre des abeilles

Brahmari, déesse des abeilles noires. illustration du Bhagavatam, livre X, Chapitre 13.

Gaspard Hons : Les Abeilles de personne. Editions Le Taillis Pré Belgique

Voici un recueil où des abeilles butinent d’un poème à l’autre, comme Pindare le disait de ses poèmes voltigeant d’un thème à l’autre. Elles transportent avec elles les connotations que les anciens livres leur ont données et celles que nos désirs peuvent leur attribuer. Sous la plume de Gaspard Hons, les abeilles sont allégorie. Elles donnent à voir ce grand pan d’invisible qui fait le monde. Le poète leur délègue un désir : donner à voir l’invisible ; permettre de connaître l’inconnaissable, de cette connaissance qui est avant tout jouissance silencieuse.
Reprenons : les abeilles sont leurs connotations, leur connaissance, leur jouissance.
Mais les abeilles sont aussi l’occasion de poser cette même question que l’on trouve chez les grands poètes depuis Ovide jusqu’à Darwich : qui suis-je ? Question à décliner à l’envi et d’abord en : qu’adviendra-t-il de nous ?
C’est donc la quête ontologique qui aiguillonne le poète. Cheminer est cet impératif qui se passe de finalité. Il est incursion dans ce qui est l’au-delà par excellence et qui est en même temps le propre de l’homme : « le sentier est sentier, le chemin des dieux n’est étranger qu’aux dieux… » Je soupçonne les abeilles de Gaspard Hons d’avoir des accointances avec le sacré ou même d’être une âme. Mieux encore, je les soupçonne de vouloir mettre du transcendant dans ce qui est par définition immanent.
Comme notre amie commune, José Ensch (je ne me consolerai jamais de l’avoir perdue), Gaspard Hons dote l’anodine présence des choses de significations transcendantes. Il sait trouver l’infini dans le fini d’un carré de verdure, comme José Ensch :
« Déployant un paysage mental, j’approche le non visible, l’évidence d’un potager absent, d’un jardin très sobre, où l’horizon reste à naître ». Mais qu’on y prenne bien garde, chez Gaspard Hons, « naître » s’écrit aussi « n’être ». Le calembour signifie que le lieu de l’avènement est aussi celui de la disparition et de la disparition dans la disparition dont l’emblème serait la faucille, peut-être.
Ailleurs, c’est le chant de l’alouette qui signifie tout à la fois poésie et tristesse, élan vers la vie et nostalgie de ce qui n’est plus. Poésie et tristesse comme dans la rhapsodie de George Enescu faisant mieux que l’alouette qu’elle imite. Chant, musique parce que le monde est, nonobstant toutes les séparations et toutes les distances, une somme de fruits, un verger.

dimanche 2 novembre 2008

Nudité ?

Francis Picabia : "Coup de soleil, nu au maillot". Photo Philippe Migeat.

Soit encore l’huile sur isorel de Francis Picabia (73,5 x 51,5 cm): Coup de soleil, nu au maillot (1942) tableau qu’on pouvait voir au musée Beaubourg (je ne sais pourquoi il n’y est plus). Elle se grille au soleil de Camassade. La fournaise ne la hâle pas. Elle la cuit à point. Son corps est semblable à un pain, malheureusement la photo ne le montre pas clairement. Appétissant. Non mangeable et appétissant. La femme ici : comme une dévoration, le tableau : comme une femme (i.e. comme une dévoration). Je dévore le tableau des yeux. Métaphoriquement. Je dévore la femme dans le tableau. Je dévore la dévoration. En cela ma dévoration n’a rien de lycanthropique. Encore plus métaphoriquement. Le “ nu ” de Picabia n’est pas nue pas plus que sa Femme Blonde n’est blonde. La blonde est peut-être tapie sous la peau de la rousse. On peut donc, si on en croit le discours de l’œuvre de Picabia, étreindre une blonde en étreignant une rousse, ou peut-être habiller une rousse en déshabillant une blonde.
Comment t’étreindre même dans d’autres bras ? serait-ce le vœu de qui aime ?
La blonde de Picabia est blonde métaphoriquement.
Le “ nu ” n’est pas nu tant qu’il est métaphorique. La nudité est couverte d’images. La métaphore habille. Qu’est-ce que la nudité ? C’est l’absence d’image. “un mur nu ” dit-on. Le nu serait-il un mode d’habillement. La nudité : être perceptible, vu. Tout regard dénude, plus ou moins. Toute lumière dénude. Etre nu, c’est être sous le soleil. Nu à portée de main et toujours comme impossible à atteindre. Le nu serait-il impossible à atteindre. Je prosopoïse un amoureux : te déshabillant, je ne vois rien et je me déleste de l’image que j’avais de toi et je ne te vois plus et j’attends la fin du désir pour me rendre compte de l’imperfection de mon désir, de son échec. Les imperfections sont toujours ultérieures, pour la récidive.

samedi 1 novembre 2008

Berthe Morisot



Edouard Manet : Portrait de Berthe Morisot.

Soit l’huile sur toile de Manet : Berthe Morisot au bouquet de violettes (1872). Berthe y est plus que Berthe. Autre chose que Berthe. Dans une beauté, une image de la beauté cherche à se dire, allégoriquement. L’image appelle la lecture. L’image est comme un mot ; “ça me dit quelque chose ” dit la langue de tous les jours. Le mot, le tableau me disent quelque chose. Ce quelque chose réside du côté de la connotation. Qu’est ce qu’une connotation ? - le savoir que j’apporte à un mot. Et Berthe Morisot fait qu’on lui apporte tant : Berthe Morisot au bouquet de violettes est riche en connotations. Le mot et le tableau sont des auberges espagnoles. La frange du chapeau qui va jusqu’à l’épaule droite, c’est le plein d’un aleph ou tout autre lettre de tout autre langue calligraphiée. Le chapeau est inscrit dans le tableau, comme écrit. Son noir se prolonge sur la robe. Le visage est image de ce qui contraste. La bouche surtout. Elle est peintre comme Manet ; elle est sa parente. Quelle différence y a-t-il entre une beauté et son image ? Elle est, dans sa beauté, plus qu’une parenté : “ Mon enfant ma sœur… ” ou alors “ Mon semblable… ” (Baudelaire). Est-elle Manet ? Au musée d’Orsay. Pour Berthe, elle-même peintre de grand génie.

Berthe Morisot : Eugène Manet à l'île de Wight. (1875)

Pour l’image.
J’essaie de me portraiturer en prenant le détour de ce que j’ai essayé de lire, de voir.
J’essaie de me portraiturer en prenant le détour de ce que je n’ai pas essayé de lire, de ce que je n’ai pas essayé de voir.
Le souci de l’image n’est pas simplement angoissant ; il est signe d’une angoisse essentielle (du mot “ essence ”).