dimanche 8 mars 2009

Nouvelle publication



Le 26eme festival des Migrations des cultures et de la citoyenneté aura lieu au Luxembourg-Kirchberg les 14 et 15 mars. Il sera marqué par la sortie du livre « Nous sommes tous des migrants » de Giulio-Enrico Pisani, œuvre épistolaire fruit d’un échange entre Giulio-Enrico Pisani (Luxembourg) et Jalel El Gharbi, (Tunisie), Anita Ahunon Munoz (France), Laurent Mignon (Luxembourg-Turquie) et Afaf Zourgani (Maroc) sur le thème de l’émigration clandestine. Impuissants à changer les rapports économiques nord-sud et les lois, les auteurs donnent toutefois tant aux émigrants qu’aux sédentaires les bonnes raisons d’accorder à ces héros du voyage estime et admiration.
En l’absence de ses coauteurs dispersés autour de la Méditerranée, Giulio-Enrico Pisani signera l’ouvrage ces 14 et 15 mars.

4eme de couverture :
"Vous tenez en main un échange poignant qui va droit à l’essentiel, beaucoup plus d’ailleurs que les comptes-rendus journalistiques et les analyses des spécialistes universitaires. On est pris à témoin et après la lecture des textes, qui jouent évidemment avec la commisération, on ne saura plus détourner le regard des drames humains qui accompagnent les migrations. "
Mario Hirsch Directeur de l’Institut Pierre Werner

Pour commander l’ouvrage,
mail aux editions@schortgen.lu ou mireille.weiten@schortgen.lu (Tél. 00352.546487)
ou fax : **352.530534 Editions Schortgen, M. Manuel Schortgen ou M’me Mireille Weiten
ou lettre : Editions Schortgen / 108 rue de l’Alzette / BP 367 / L-4010 Esch-sur-Alzette

vendredi 6 mars 2009

Jean Ziegler : La Haine de l’occident

Photo Philip Seelen
Giulio-Enrico Pisani présente Jean Ziegler : La Haine de l’occident


Lorsque notre bonne vieille Zeitung publia il y a près de 4 ans mes articles «L’eau et le péril libéral»(1) et «L’empire de la honte»(2), personne ne crut un instant que les dénonciations et avertissements de Jean Ziegler changeraient quoi que soit aux crimes et monstruosités du capitalisme. Jean Ziegler non plus, évidemment. Mais au moins eût-il pu espérer – et nous l’eussions pu avec lui – que l’on tire quelques enseignements du scandale des rapines, injustices et autres impairs du capitalisme qu’il stigmatisait. Il n’y a hélas pas plus sourd de qui ne veut entendre. Aussi, est-il évident (…) que, sans remise en question fondamentale du système, même des personnalités aussi bien-intentionnées et évoluant aussi près de l’Olympe que Ziegler ne pourront rien y changer.
Sans doute, Jean Ziegler le souhaite, ce changement. Cependant, devoir de réserve ou doutes, il ne l’exprime pas de manière vraiment constructive. Reste néanmoins que son dernier livre, «La Haine de l’occident»(3) va bien plus loin qu’un sévère état des lieux de la société contemporaine globalisée. Livre témoignage, objectivement technique, livre spécialisé et manuel (Sachbuch) à la fois, «La Haine de l’occident» se lit comme un "roman" d’aventure, de l’aventure humaine depuis les premières prédations coloniales au 16ème siècle jusqu’à nos jours. Cette sanglante épopée, retracée à partir du constat des innombrable tragédies résultant de la colonisation jusqu’au présent néocolonialisme capitaliste, n’hésite pas à remonter le temps et à chercher puis à expliquer les causes de cet immense sentiment de haine des deux tiers des peuples de la terre pour le monde occidental.
Ziegler montre comment cette haine n’est pas seulement le fait des masses du Sud, souvent plus misérables, souffrantes, exploitées que le prolétariat d’Europe en 1848. Mais il voit comment elle s’empare de plus en plus des parasites et des profiteurs locaux. Haine mêlée d’envie, d’admiration souvent, de fausse humilité parfois, d’opportunisme presque toujours, parmi les classes dirigeantes flattées, gâtées et corrompues par le capitalisme. Complices, certes, mais pour combien de temps encore? Ziegler ne le dit pas; travaille dans le présent, voyage, observe, constate, stigmatise, effectue parfois de brefs travellings arrière, revient, impitoyable, mais impartial et objectif. Pas besoin d’en rajouter, de romancer, d’affabuler. L’horreur des faits suffit.
Ziegler ne manipule pas l’histoire, comme tant de rapporteurs politiques, il observe; il compatit, certes, mais ne tire aucune véritable conclusion. Quant aux solutions, n’en parlons même pas. Constat de gâchis, et de quel gâchis! Dans son bref épilogue, plein de réalités connues (peut-être pas assez) et de chiffres qui devraient l’être, connus, il se réfère notamment à la 2e guerre mondiale. 16 à 18 millions d’hommes morts au combat, des dizaines de millions mutilés, amputés, défigurés, plusieurs centaines de millions de blessés civils! Son terrible constat: «Dans l’hémisphère Sud, les épidémies, l’a faim, l’eau polluée et les guerres civiles dues à la misère détruisent chaque année presque autant d’êtres humains que la Seconde Guerre mondiale en 6 ans.(4)».
Ziegler illustre parfaitement ses propos autant par l’expérience personnelle qu’en se référant à des sources historiques, statistiques ou politico-économiques reconnues. De Fernand Braudel,(5) par exemple, il retient que «L’Occident se définit essentiellement par son mode de production, le capitalisme. Plus que jamais, celui-ci reste rivé à son rêve de conquête planétaire». Ne croirait-on pas entendre Karl Marx un siècle plus tôt? Quoiqu’il en soit, Ziegler en appelle aussi à I. Wallerstein, l’un des principaux élèves de Braudel, qui «développe la pensée du maître...» et affirme: «... les dirigeants du monde euro-atlantique prétendent défendre et, au besoin, imposer sur toute la surface du globe les "Droits de l’homme" et cette forme de gouvernement qu’ils appellent la démocratie...»(6). Derrière ces drapeaux aussi hypocrites qu’élastiques, brandis quand ça les arrange, marchent en rangs serrés les champions des lois "scientifiques" du marché vendues comme lois "naturelles"... «C’est cette prétention qui suscite la haine (...) Elle exprime le rejet radical d’un système mondial de domination...».
Sous couvert de bonnes paroles, affirmations d’amitié et d’aide au développement à double tranchant et souvent plus profitable au donneur qu’au bénéficiaire, la colonisation des états du sud par ceux du nord se poursuit sans trêve. Elle est aujourd’hui plus dure que jamais pour bien de pays sous-développés qui s’enfoncent toujours davantage dans la misère. Cela se passe souvent dans les salles de réunion feutrées des grands complexes hôteliers ou administratifs à grand renfort de poignées de main, sourires et photos "de famille". À croire que Charles Baudelaire songeait dans son "Invitation au voyage" aux déplacements ruineux de ces "grands" touristes de la politique qui évoluent là où «... tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté...». Mais Ziegler, pourtant coutumier des salons internationaux, n’en a rien f. de ces bonnes manières. Il refuse de regarder le monde par la lorgnette rose des diplomates et des grands commis; n’hésite pas à appeler un chat un chat et va jusqu’à citer certains des plus hauts responsables par leur nom. Car «le moment», écrit-il, «... vient toujours, où les masques tombent...».
Exemple : Bruxelles, siège de la Commission européenne, négociations EU – ACP,(7) 1er mars 2007. Je cite l’auteur: «Tout à coup, le jovial Louis Michel, commissaire pour le développement, perdit toute contenance. Il menaça de représailles économiques les Africains, leur rappelant que les fonds de développement pouvaient être (...) coupés...». Réaction violente du président nigérian, «... furieux de voir les Africains traités "comme des gamins" et comme des "mendiants" (...) Il est certain», conclut Ziegler ce paragraphe, «que le cynisme et l’arrogance avec lesquels Peter Mandelson, Louis Michel et Pascal Lamy tentent de briser la résistance des peuples du Sud, contribuent puissamment à la montée de la haine de l’Occident».
Ce qui précède peut paraître – je l’admets – anecdotique, confronté aux tragédies que Ziegler dépeint ailleurs, mais n’en est pas moins significatif de ce rapport dominant–dominé qui rend à terme toute entente franche et honnête impossible. Tout comme le macho qui tyrannise sa femme doit s’attendre à la voir se révolter avec violence ou bien devenir une béni-oui-oui fausse et rusée, l’"Occident", comme on l’appelle, ne doit pas s’attendre à autre chose: aversion et terrorisme chez l’un, ou opportunisme, tromperie et trahison chez l’autre; ce qui ne lui évite pas toujours de récolter les deux à la fois. Loin de n’être que purs débats de salon bien élevés, ces conférences d’"assistance" au Tiers monde peuvent avoir des conséquences graves pour les Peuples du Sud. Bonne part d’entre eux se voient notamment privés par la PAC (Politique Agricole Commune européenne) et la concurrence déloyale des produits subventionnés UE qui en découle (sans même parler des USA), par les règles de l’OMC, par les multinationales et les spéculateurs sur produits agricoles, des bases même de leur agriculture. Conséquence: paupérisation des agriculteurs, abandon des sols, désertification et diminution des surfaces exploitables, explosion des bidonvilles, du chômage, des révoltes et... émigration clandestine! Tiens, tiens...
Mais restons en là pour aujourd’hui, amis lecteurs! C’est à vous de découvrir le reste et – croyez moi – cet ouvrage est aussi prenant que n’importe que thriller.

1) Le 6 avril 2005, article largement inspiré des enquêtes et rapports de Jean Ziegler, haut fonctionnaire suisse à l’ONU, rapporteur pour le droit à l’alimentation.
2) Le 14 avril 2005 sur Jean Ziegler: «L’Empire de la honte», Fayard 2005.
3) Jean Ziegler : «La Haine de l’occident», Albin Michel 2008, 303 pages.
4) Note de Jean Ziegler: Cf. Jacques Dupâquier, La Population mondiale au XXe siècle, Paris, PUF, p.44 et suiv.
5) Fernand Braudel (1902-1985) est considéré comme l'un des plus grands historiens du XXe siècle.
6) Un peu comme pour les conquistadores de naguère la "Vraie Foi". On connaît la suite.
7) ACP : Afrique, Caraïbe, Pacifique.
Article paru le - ici le 4.3.09 dans "Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek".
Giulio-Enrico Pisani
Luxembourg, mars 2009

jeudi 5 mars 2009

Evelyne Boix-Moles

Photo Philip Seelen.

Une des satisfactions que me donne la fréquentation assidue des Lettres françaises est d’en connaître les grands poètes qu’elles ne reconnaissent pas. Voici par exemple, une des voix les plus authentiques qui méritent d’être lues : Evelyne Boix-Moles, publiée surtout en revues ; elle est auteur, entre autres, de ce recueil inédit "Ce peu de Mots" (fin 2005)

Nous qui sommes voués à l'éclair,
nous avons mesuré, à longueur de brûlures,
l'agonie où le blanc refuse de mourir.

A même les heures violées par les heures,
nous avons reconnu,
à son incandescence,

la voile.

C'était la nuit.
Le ciel était noir,
plus noir encore l'océan.

L'incandescence,
imperturbable,
cinglait vers l'horizon.