lundi 11 octobre 2010

Among strangers I’ve Known all my life. Americain poetry

Among strangers I’ve Known all my life
Sanford Fraser
The poetry of the New York poet Sanford Fraser uses images from life to show life. It catches the ephemeral instant to express thirst for the eternal. It’s a poetry in which, as in Cummings or François de Cornières…, the insignificant suggests that nothing in life is insignificant. Sanford Fraser snaps pictures that by themselves say the world is what it is : an impure thing. He let us hear the immensity of solitude – a solitude olmost ontological : we appear and we disappear alone. For years I have attentively followed the poetic development of my friend Sanford Fraser and I can say that he says something essential : social realities are truly the expression of antological realities because existence gives us every other minute allegories of being and nothingness. It is sufficient to look. One of his collection is called Tourist because it defines the tourist, this passenger, this passer-by, is what he sees. The tourist : a witness who passes. His last collection Among stangers I’ve known all my life is both powerful and gentle, tender and defient. Here, the poet seems to say that the Outsider is person other than himself. And the reader feels so close to the poet and to the strangers.
Parmi les étrangers que j’ai connus toute ma vie
Sanford Fraser
La poésie de Sanford Fraser, poète new-yorkais, choisit des images de la vie pour dire la vie. Elle se saisit de l’instant éphémère pour dire sa soif d’éternité. C’est une poésie qui, comme chez Cummings ou chez ce poète François de Cornière (il y a longtemps que je n’ai plus entendu parler de lui), l’anodin insinue que rien n’est anodin dans la vie. Sanford Fraser happe des images qui, par elles-mêmes disent que le monde est ce qu’il est : chose immonde. Il laisse entendre l’immensité de la solitude. Une solitude quasiment ontologique : nous apparaissons et nous disparaissons seuls.Cela fait des années que je suis attentivement le cheminement poétique de mon ami Sanford Fraser et je puis dire qu’il dit quelque chose d’essentiel : les réalités sociales sont plutôt l’expression de réalités ontologiques car l’existence nous offre à chaque instant des allégories de l’être, du néant. Il suffit de regarder. Un de ses recueils s’intitule Tourist car ce qui définit le touriste, ce passager, ce passant, c’est qu’il voit. Le touriste : un être du regard qui passe. Son dernier recueil Parmi des étrangers que j’ai connus toute ma vie est à la fois un recueil puissant et doux, tendre et intraitable. Ici , le poète semble dire que l’étranger n’est personne d’autre que lui-même et le lecteur se sent si proche du poète et des étrangers.
Sanford Fraser : Among strangers I’ve Known all my life Parmi les étrangers que j’ai connus toute ma vie. bilingual collection NYQ Books, 2009

dimanche 10 octobre 2010

Patricia Guenot par Giulio-Enrico Pisani




Mégalographie de la Villa des mystères. Pompéi


Notre ami Giulio-Enrico Pisani vient de publier cet article dans le Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek :




C’est grâce à mes recherches internautiques sur des poésies pouvant enrichir une nouvelle anthologie thématique, que j’ai découvert une poésie d’une finesse rare, mais dont l’auteur m’était absolument inconnu, en fait une poétesse : Patricia Guenot. Conséquence : re-fouille Internet et – bingo ! – je tombe sur... son épitaphe. « Patricia Guenot est morte bêtement, comme elle a vécu, dans un stupide accident de la route. Hélas son talent d’écrivain n’éclate au grand jour que depuis sa mort, et elle a vécu dans le plus complet dénuement (...) Heureusement, il nous reste ses superbes poèmes, dont vous pouvez admirer quelques fragments sur son site http://patricia.guenot.free.fr/ »
Et là, tenez-vous bien, amis lecteurs, s’ouvre devant mes yeux un gisement poétique fabuleux. À peine en ai-je parcouru quelques strophes, que je m’essuie une petite larme. Ce n’est vraiment pas de chance, me dis-je, découvrir pareil trésor et apprendre du même coup que sa créatrice est décédée. Cependant, étrangement, et contrairement à d’autres sites conçus « à la mémoire de... » comme celui du sculpteur René Iché ou du peintre poète Philippe Trouvé, rédigés, illustrés et entretenus par un proche parent, sur le site en question l’auteur s’exprime entièrement à la 1ère personne. Nous y lisons : « Les mots sont une passion dévorante, à laquelle je me consacre entièrement depuis octobre 2002. J’écris essentiellement de la poésie, j’ai commencé spontanément, presque par hasard (...) Je présente ici quelques-uns de mes textes. Certains sont autobiographiques, d’autres non. J’espère qu’ils vous plairont… »
Serait-ce un artifice destiné à rendre la défunte aussi vivante que de son vivant ? De plus en plus intrigué, je poursuis me recherches sur le net et écris à tout hasard un mot à l’adresse guenot-patricia@wanadoo.fr indiquée sur le site, curieux de voir si quelqu’un m’y répondra, et qui. Eh bien, canular, humour macabre ou intention suicidaire abandonnée, c’est une Patricia bien en vie qui me répond. Presque en même temps, je découvre un autre site qui lui est dédié, celui des Éditions du Vent des Rives, qui a publié en ligne « Nuits urbaines », un petit recueil de ses poèmes. Pas encore 100% matures, mais fascinants. Le contraste y est omniprésent entre gaieté ambiante et tristesse intérieure, entre l’ailleurs joyeux et le moi triste, voire tragique, sinon suicidaire ; il y a sans doute un zeste de poète maudit en elle. Quoique très classique, à la limite du pétrarquisme, elle se fût merveilleusement acclimatée entre Baudelaire, Verlaine et autres Rimbaud :
« Dans Paris arborant son costume estival,
Je flâne en solitaire, portée par la musique
D’un orchestre de jazz, dont les accords magiques
Lézardent la paroi de mon rempart mental.
Sur la place enflammée par un soleil lustral,
Complice flamboyant de bruyantes boutiques
Où se presse une foule aux rires prolifiques,
J’émerge doucement de mon chagrin létal... »
Ouf ! Elle en émerge donc. Nous voilà rassurés. Et il y a de quoi, car outre ces beaux vers non dénués de quelques rares maladresses, Patricia écrira à peu près 6000 poèmes, dont un grand nombre (ceux que j’ai lus) sont d’une finesse, d’une musicalité et d’une dramaturgie exceptionnelles. En voici trois, qu’elle m’a autorisé à citer dans l’ouvrage que je prépare, des sonnets offerts donc en avant-première :
« La passante
Dans la rue obscurcie, une femme s’avance
À petits pas discrets vers le grand boulevard
Où son manteau grisâtre et son morne foulard
Disparaîtront bientôt parmi la foule immense.
De son masque fripé s’échappent des souffrances,
Un amour dévasté qui ternit son regard
D’un voile de regrets noyés dans le cafard
Au rythme de ses bras qui marquent la cadence.
Solitaire blessée par d’âpres cruautés,
J’accorde ma tristesse à sa sombre beauté
Dans un rêve furtif conjuguant nos visages.
Sourde à mes songeries, la passante s’enfuit
Dans la ville endormie jusqu’au lointain rivage
Où d’anciens souvenirs illuminent sa nuit.
Errance citadine
Dans la ville glaciale, insensible à mes pleurs,
Je marche sans répit, sous les lueurs chagrines
D’une lune pressée que la nuit se termine
Pour s’éloigner d’un monde habillé de laideur.
Au hasard des trottoirs, je traîne mes douleurs
Qu’attisent les regards de filles qu’illumine
Une gaieté fleurie de promesses mutines
Dont la vivacité me déchire le cœur.
Dans le lacis bruyant des rues où je chemine,
J’observe le ballet de poupées citadines
Au visage embelli d’un sourire charmeur.
Quand l’aurore répand sa lumière opaline
Sur les murs constellés de graffitis vengeurs,
Je fuis dans un sommeil aux rêves rédempteurs
Passions éphémères
Je surfe sur la vie ainsi qu’un courant d’air.
Mon esprit assoiffé de nouveauté m’entraîne
À plonger de tout cœur vers ma lubie prochaine
En vouant au bûcher ce que j’aimais hier.
Mes élans de l’été ne passent pas l’hiver.
Ma passion du lundi meurt en fin de semaine.
Je voudrais m’envoler vers des contrées lointaines,
Voyager sans répit au sein de l’univers.
Un démon facétieux distille dans mes veines
Un philtre d’impatience, afin que rien ne freine
Mes pas vers l’inconnu brillant comme un éclair.
Parfois, quand je m’allonge à l’ombre d’un grand chêne,
Qui demeure impassible autant qu’un pieu de fer,
Je rêve d’étouffer la flamme qui me perd. »
En fait, le pessimisme de Patricia Guenot finit toujours par céder à la pugnacité. Pas tant poète maudit que ça, après tout, elle en revient toujours à vouloir vaincre l’imaginaire malédiction. Par le rêve ? Celui « Où d’anciens souvenirs illuminent sa nuit », ou bien quand « Je fuis dans un sommeil aux rêves rédempteurs », ou si « Je rêve d’étouffer la flamme qui me perd », ou bien est-ce par la force intérieure qu’engendre la poésie ? Nos chances de le découvrir son minces, même en lisant ses quelques six mille poèmes, amis lecteurs, car notre poétesse à la prolixité plus que généreuse ne me semble retenir aucun des deux remèdes. « ... Écrire est dévorant », affirme-t-elle en effet « J’ai enfin réussi à ne plus écrire. Je n’écris plus, car pour moi la poésie mène au suicide, à l’internement, ou à arrêter d’écrire ». Espérons qu’elle change d’avis et qu’au lieu de se considérer comme une sorte d’éphémère de l’écriture poétique, elle en retrouve bientôt le chemin.
Née en 1964 à Paris, Patricia Guenot partage son enfance entre la capitale et la campagne franc-comtoise et se passionne pour la lecture, les arts et la poésie, en particulier pour celle de Rimbaud, Baudelaire, Mallarmé et Verlaine. En janvier 2003, elle remporte deux prix dans la catégorie “poésie classique” au concours de l’association littéraire “Oeil sauvage”. À quand Le prix Mallarmé ? Elle a également écrit un roman, des contes et des nouvelles. Mais c’est sa poésie qui fait d’elle à mon avis l’une des poétesses majeures de ce 21ème siècle pré-pubère. Et le fait qu’elle soit méconnue, sans doute à cause de ses carences en marketing et en auto-encensement, n’y change rien. À vous donc de la découvrir ! Et voici quelques fenêtres qui vous faciliteront la tâche :
www.edveri.com/.../patricia.guenot.htm (site des Éditions du Vent des Rives),

Giulio-Enrico Pisani

lundi 4 octobre 2010

Philippe Trouvé, le peintre et le poète par Giulio-Enrico Pisani

Philippe Trouvé: Nu au pendentif

Le Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek vient de publier cet article de notre ami Giulio-Enrico Pisani :

En quelques années à peine, Internet est devenu le thésaurus et l’encyclopédie universelle de presque tout le savoir du monde, mais aussi son fourre-tout et melting-pot. On y retrouve le meilleur et le pire. Plus que jamais la responsabilité individuelle et le savoir choisir, sélectionner, trier, la prudence et la clairvoyance de l’être humain sont sollicités, exigés même par ce gigantesque gisement de savoir, de spéculation, de science et d’inconscience, d’art et d’arnaques, de pensées et d’absurdités. Il faut déplacer des tonnes de boue et de pierraille pour découvrir l’utile et le précieux. De temps à autre, avec beaucoup de patience et l’emploi de mots-clefs adroitement choisis, voilà pourtant le fiat lux, la lumière qui brille, le diamant qui étincelle au milieu des alluvions terreuses !
C’est la surprise, la joie, l’Euréka. Mais il n’y a pas de joie véritable sans partage. Aussi, suis-je persuadé qu’aucun des galeristes dont je présente dans ces colonnes peintres ou sculpteurs, ni des éditeurs dont je conseille livres et auteurs, ne m’en voudra d’exceptionnellement quitter le matériel pour aller partager le virtuel. Attention, amis lecteurs, virtuel, le peintre poète Philippe Trouvé, l’est pour moi, pour vous et pour une blogosphère tentaculaire et tellement immense qu’un million de chattes auraient du mal y retrouver un seul de leurs petits. Mais il est loin d’être virtuel pour son fils Florent, blog master du site www.philippetrouvepeintrepoete.net/, le diamant dont je vous parlais plus haut.
Le plus étonnant est que l’extraordinaire parcours artistique et poétique de Philippe Trouvé ne lui ait pas valu une plus grande renommée. Né à Lisieux le 3 mars 1936 (le même jour que le poète André Laude), cet immense artiste de la parole et de la peinture mourut trop tôt à Caen le 2 août 2005. La chance, sans doute, ce plus fantasque des agents publicitaires, ne doit pas l’avoir eu trop à la bonne. De plus – modestie ou indifférence au succès ? – sa propre mise en valeur et le marketing ne devaient pas être ses points forts. Pourtant il a commencé à peindre tôt, fréquente, adolescent, les ateliers de Serge Poliakoff à Paris et de Nicolas de Staël à Antibes et rencontre au début des années soixante à Saint-Paul de Vence Marc Chagall, dont il dira qu’« il m’a appris à peindre le paysage qui habite mon âme ». Directeur de la maison des jeunes d’Epinal en 1963-64, Philippe Trouvé rencontre aussi le peintre et graveur André Jacquemin, qui viendra à son tour titiller son esprit boulimique de culture et de beauté et parfaire son savoir-faire.
Voilà de quoi composer tout un programme, mais ni prédéfini, ni jamais complété, car l’esprit de Philippe Trouvé est un paysage sans limites. Aussi, tout en s’enrichissant des recherches, combats, découvertes et horizons de ses prédécesseurs et confrères – quel authentique artiste ne peut-il en dire autant ? – notre peintre poète n’appartient à aucun courant. Ainsi qu’on peut le lire dans l’encyclopédie Wikipedia, « Toute sa vie, il aura exploré, cherché, expérimenté. Ses dernières oeuvres sont la symbiose de tous les courants picturaux qu’il a traversés, et rendent hommage, par petites touches savamment digérées, aux grands maîtres qui l’ont influencé ». (1)
La profusion de pensées, poésies, prose et tableaux que vous pourrez découvrir au cours de votre exploration du site est incroyable et je n’en suis pas encore arrivé à bout moi-même. Chronologie inversée : sa dernière plaquette ouvre le bal. Après quelques vues sur cubisme expressionniste « matissé » aux pages 1 à 5, l’artiste nous confie page 6, avec son « Nu rouge » sublimé, que «
Abstraire les détails ne signifie pas abstraction quand l’effort d’un corps peut se résumer à des membres à la chromie saillante. Le fond n’est plus un faire valoir mais la valeur pleine de couleurs en recouvrant d’autres. Relief des muscles. Tension des teintes ». Page 7 c’est « La joueuse de flûte » qui joue sa petite aria champêtre dans un impressionnisme aussi dense que poétique et charnel. Page 8 c’est « La tentation du froid », deux nus féminins qu’il faut « “décoder” si une seule teinte sait être toute une palette. Epurer le superflu pour ne garder que le souffle de vie : la lumière ».
Vous pourrez ensuite poursuivre votre visite d’un clic sur l’image à côté de « Galeries » qui vous ouvrira un monde enchanteur, où se succèdent en profusion des créations plus fascinantes et originales les unes que les autres. Il m’est bien sûr impossible de détailler ici toutes les merveilles de cet extraordinaire trésor. Un gros volume n’y suffirait pas. Aussi est-ce à vous de partir à sa découverte et de profiter de cette merveilleuse visite muséale virtuelle que vous offre Florent Trouvé, le fils de Philippe, sur l’oeuvre de son père. Une heure ou deux auront passé. Suivent les textes, en fait ses poésies, car ses proses ne le sont pas moins, poésie. Jugez-en donc vous-mêmes en lisant ces extraits de « La fleur du citronnier », où l’auteur nous mène dans « une rue à arcades à l’aube d’un jour d’été. En Italie bien sûr. La Piazza fut lavée dans le petit matin. La pierre en est humide encore (...) Exhalaison d’agrume dans le froissis des linges et les effluves des corps épars dans la Via. Senteur qui sourd des pores de ce qui est féminin dans cette ville si fraîche et si chaude à la fois. La peau même des visages en semble toute imprégnée,et les gorges dénudées pétries de son odeur. Est ce le Profumo di Donna dont parlait le capitaine aveugle en son film symbolique ?... »(2)
Autre chef-d’oeuvre : « La Traversée du parc Montsouris », où, loin du désir qu’elle suscite chez Baudelaire, « la passante » de Trouvé fait penser à celle de Ronsard et « dit » ce que chaque passante porte en elle : le temps. Saisons et générations s’enchaînent, se fondent et dansent de concert, comme les corps d’instruments d’un même orchestre. Le temps vit, frémit, fuit et engendre. Voyez donc : « Ce sera en Décembre un Dimanche de neige / Juste avant l’heure du thé / Vous marcherez pensive un peu lasse et rêveuse / Dans l’allée d’un grand parc / En songeant à ses vers que vous disiez alors / Quand savaient rire vos yeux et que moi j’en pleurais / Dans la fourrure noire enfouis sous votre col / Vos doigts se sont posés vous restez immobile / La belle enfant qui chante et retient votre bras / La brune adolescente qui danse dans vos pas / Qui pose ses bottines où vous placez vos bottes / Rêvant ailleurs ... Là où vous n’êtes pas / C’est votre fille n’est-ce pas ? » Deux à trois heures de plus pour ne rien rater et nous voici à cliquer sur l’Univers de Philippe Trouvé avec toutes sortes de ramifications géographiques, historiques, généalogiques, poétiques, picturales et animalières, que nous retrouverons sous « Les 3 jasmins ». Une constante : sa poésie et son imagerie tout empreintes d’un érotisme à la fois subtilement élégant et délicatement naturel. Quant à la rubrique « Liens et vie du site et du monde », le blog master y rue dans tous les sens comme un mustang sauvage. Toutes les découvertes y sont permises, les surprises programmées et l’extraordinaire derrière chaque coin, d’où l’artiste nous lance un clin d’oeil et : « Le Merveilleux : c’est le rare et l’impossible pétris dans la main de l’imaginaire ».
*** 1) Article détaillé sur http://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_Trouvé
2) Film de Dino Risi. Prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes pour Vittorio Gassman (le capitaine aveugle) 1975 et César du meilleur film étranger en 1976.
Giulio-Enrico Pisani

samedi 2 octobre 2010

أمير تاج السر Un romancier soudanais


Le journal Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek auquel j'ai le plaisir de collaborer a publié ce texte que j'ai consacré au romancier Amir Tagelsir :

Amir Tagelsir : un romancier soudanais.
On sait très peu de choses de la culture millénaire du Soudan et encore moins de la richesse actuelle de sa littérature. Ce pays a donné aux lettres arabes un de ses plus grands romanciers Tayeb Salah auteur du Migrateur, le livre fétiche des intellectuels arabes. Il a vu naître un de ses poètes les plus confirmés Mohamed Feytouri. Et aujourd’hui, il nous offre un autre romancier Amir Tajelsir que le lectorat francophone découvre grâce au Parfum français. C’est un roman dont il a été peu question en France et qui mérite pourtant d’être lu. Est-ce la faute de l’éditeur ou celle de la critique ? Difficile de se prononcer. Regrettons tout de même que ce roman publié en 2010 chez l’Harmattan dans une excellente traduction de Xavier Luffin n’ait pas remporté le succès qu’il mérite. Luffin enseigne la langue et la littérature arabes à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) et il est auteur de nombreux travaux portant sur l’Afrique et le monde arabe. Nous savons qu’il est en train de traduire un autre roman du même Tagelsir, ce romancier largement reconnu dans le monde arabe.
Dans ce roman, Tagelsir relate les mésaventures d’Ali Jarjar qui vit au quartier de Gharib dans une ville soudanaise aux allures de village misérable. Toujours à l’affût des nouvelles qu’il lui arrive souvent d’amplifier ou qu’il transforme à sa guise, Ali apprend qu’une Française, Katia, s’apprête à venir vivre dans le quartier afin de mener une étude sur le pays. On ne saura rien de l’objet de cette étude mais le quartier s’affaire comme emporté par une frénésie générale et cela donne parfois des situations cocasses. Chez les auteurs soudanais, l’écrit semble être le relai d’une culture orale. On trouve chez Tagelsir ainsi que chez d’autres romanciers soudanais comme Tayeb Salah, l’écho d’une grande tradition orale qui apparente le roman au conte, sait y insérer des poèmes. Il en résulte un effet heureux. Il y a dans ce roman un bonheur d’écriture qui semble défier la pauvreté chez cet auteur qui a toujours pris le parti des petites gens, ceux que la vie n’a pas gâtés et qui n’en continuent pas moins à aimer la vie qui ici se présente sous les traits d’une belle femme venue de loin.
Le quartier veut apparaître sous le meilleur jour et il se prépare à faire le meilleur accueil possible à Katia. Tout se passe comme si la ville se mettait à se voir dans le miroir de l’étrangère, celle-là même qui ne viendra jamais. Tel Godot ou plutôt l’arlésienne, Katia demeure l’absente. Pourtant Ali réussit, grâce à Internet, à en savoir plus long sur cette femme et il tombe amoureux d’elle. Cette situation est sans doute moins loufoque qu’il n’y paraît. On y voit l’homme épris de l’autre, de celle/celui qui n’est pas. Peut-être aimons-nous toujours un(e) autre, si autre qu’il ou elle n’est pas.
Ali évolue au milieu de personnages qui disent le Soudan actuel. C’est le commerçant qui se rend en Chine et qui rappelle la place de plus en plus grande que prend ce pays en Afrique. C’est le copte qui ne rêve que d’émigrer représentant de la sorte une communauté qui maintenant a du mal à s’intégrer chez elle avec la montée de l’intolérance. C’est la servante éthiopienne si pauvre et dont la présence dit qu’on a toujours plus misérable que soi. C’est en somme une galerie de portraits permettant de voir ce qu’est l’Afrique aujourd’hui et les maux dont elle souffre : la corruption, la dictature, l’intolérance religieuse. On sera surtout sensible au fait qu’il s’agit d’un même phénomène : la misère du monde à laquelle l’on ne peut opposer que la rêverie. Ici, cette rêverie a pour nom Katia.
Le message de ce roman nous semble salutaire car, dans notre monde où la xénophobie est de plus en plus générale, il insinue que le salut vient de l’autre, que le paradis c’est les autres.
Amir Tagelsir : Le Parfum français, 145 pages. L’Harmattan. 2010
Jalel El Gharbi