dimanche 10 octobre 2010

Patricia Guenot par Giulio-Enrico Pisani




Mégalographie de la Villa des mystères. Pompéi


Notre ami Giulio-Enrico Pisani vient de publier cet article dans le Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek :




C’est grâce à mes recherches internautiques sur des poésies pouvant enrichir une nouvelle anthologie thématique, que j’ai découvert une poésie d’une finesse rare, mais dont l’auteur m’était absolument inconnu, en fait une poétesse : Patricia Guenot. Conséquence : re-fouille Internet et – bingo ! – je tombe sur... son épitaphe. « Patricia Guenot est morte bêtement, comme elle a vécu, dans un stupide accident de la route. Hélas son talent d’écrivain n’éclate au grand jour que depuis sa mort, et elle a vécu dans le plus complet dénuement (...) Heureusement, il nous reste ses superbes poèmes, dont vous pouvez admirer quelques fragments sur son site http://patricia.guenot.free.fr/ »
Et là, tenez-vous bien, amis lecteurs, s’ouvre devant mes yeux un gisement poétique fabuleux. À peine en ai-je parcouru quelques strophes, que je m’essuie une petite larme. Ce n’est vraiment pas de chance, me dis-je, découvrir pareil trésor et apprendre du même coup que sa créatrice est décédée. Cependant, étrangement, et contrairement à d’autres sites conçus « à la mémoire de... » comme celui du sculpteur René Iché ou du peintre poète Philippe Trouvé, rédigés, illustrés et entretenus par un proche parent, sur le site en question l’auteur s’exprime entièrement à la 1ère personne. Nous y lisons : « Les mots sont une passion dévorante, à laquelle je me consacre entièrement depuis octobre 2002. J’écris essentiellement de la poésie, j’ai commencé spontanément, presque par hasard (...) Je présente ici quelques-uns de mes textes. Certains sont autobiographiques, d’autres non. J’espère qu’ils vous plairont… »
Serait-ce un artifice destiné à rendre la défunte aussi vivante que de son vivant ? De plus en plus intrigué, je poursuis me recherches sur le net et écris à tout hasard un mot à l’adresse guenot-patricia@wanadoo.fr indiquée sur le site, curieux de voir si quelqu’un m’y répondra, et qui. Eh bien, canular, humour macabre ou intention suicidaire abandonnée, c’est une Patricia bien en vie qui me répond. Presque en même temps, je découvre un autre site qui lui est dédié, celui des Éditions du Vent des Rives, qui a publié en ligne « Nuits urbaines », un petit recueil de ses poèmes. Pas encore 100% matures, mais fascinants. Le contraste y est omniprésent entre gaieté ambiante et tristesse intérieure, entre l’ailleurs joyeux et le moi triste, voire tragique, sinon suicidaire ; il y a sans doute un zeste de poète maudit en elle. Quoique très classique, à la limite du pétrarquisme, elle se fût merveilleusement acclimatée entre Baudelaire, Verlaine et autres Rimbaud :
« Dans Paris arborant son costume estival,
Je flâne en solitaire, portée par la musique
D’un orchestre de jazz, dont les accords magiques
Lézardent la paroi de mon rempart mental.
Sur la place enflammée par un soleil lustral,
Complice flamboyant de bruyantes boutiques
Où se presse une foule aux rires prolifiques,
J’émerge doucement de mon chagrin létal... »
Ouf ! Elle en émerge donc. Nous voilà rassurés. Et il y a de quoi, car outre ces beaux vers non dénués de quelques rares maladresses, Patricia écrira à peu près 6000 poèmes, dont un grand nombre (ceux que j’ai lus) sont d’une finesse, d’une musicalité et d’une dramaturgie exceptionnelles. En voici trois, qu’elle m’a autorisé à citer dans l’ouvrage que je prépare, des sonnets offerts donc en avant-première :
« La passante
Dans la rue obscurcie, une femme s’avance
À petits pas discrets vers le grand boulevard
Où son manteau grisâtre et son morne foulard
Disparaîtront bientôt parmi la foule immense.
De son masque fripé s’échappent des souffrances,
Un amour dévasté qui ternit son regard
D’un voile de regrets noyés dans le cafard
Au rythme de ses bras qui marquent la cadence.
Solitaire blessée par d’âpres cruautés,
J’accorde ma tristesse à sa sombre beauté
Dans un rêve furtif conjuguant nos visages.
Sourde à mes songeries, la passante s’enfuit
Dans la ville endormie jusqu’au lointain rivage
Où d’anciens souvenirs illuminent sa nuit.
Errance citadine
Dans la ville glaciale, insensible à mes pleurs,
Je marche sans répit, sous les lueurs chagrines
D’une lune pressée que la nuit se termine
Pour s’éloigner d’un monde habillé de laideur.
Au hasard des trottoirs, je traîne mes douleurs
Qu’attisent les regards de filles qu’illumine
Une gaieté fleurie de promesses mutines
Dont la vivacité me déchire le cœur.
Dans le lacis bruyant des rues où je chemine,
J’observe le ballet de poupées citadines
Au visage embelli d’un sourire charmeur.
Quand l’aurore répand sa lumière opaline
Sur les murs constellés de graffitis vengeurs,
Je fuis dans un sommeil aux rêves rédempteurs
Passions éphémères
Je surfe sur la vie ainsi qu’un courant d’air.
Mon esprit assoiffé de nouveauté m’entraîne
À plonger de tout cœur vers ma lubie prochaine
En vouant au bûcher ce que j’aimais hier.
Mes élans de l’été ne passent pas l’hiver.
Ma passion du lundi meurt en fin de semaine.
Je voudrais m’envoler vers des contrées lointaines,
Voyager sans répit au sein de l’univers.
Un démon facétieux distille dans mes veines
Un philtre d’impatience, afin que rien ne freine
Mes pas vers l’inconnu brillant comme un éclair.
Parfois, quand je m’allonge à l’ombre d’un grand chêne,
Qui demeure impassible autant qu’un pieu de fer,
Je rêve d’étouffer la flamme qui me perd. »
En fait, le pessimisme de Patricia Guenot finit toujours par céder à la pugnacité. Pas tant poète maudit que ça, après tout, elle en revient toujours à vouloir vaincre l’imaginaire malédiction. Par le rêve ? Celui « Où d’anciens souvenirs illuminent sa nuit », ou bien quand « Je fuis dans un sommeil aux rêves rédempteurs », ou si « Je rêve d’étouffer la flamme qui me perd », ou bien est-ce par la force intérieure qu’engendre la poésie ? Nos chances de le découvrir son minces, même en lisant ses quelques six mille poèmes, amis lecteurs, car notre poétesse à la prolixité plus que généreuse ne me semble retenir aucun des deux remèdes. « ... Écrire est dévorant », affirme-t-elle en effet « J’ai enfin réussi à ne plus écrire. Je n’écris plus, car pour moi la poésie mène au suicide, à l’internement, ou à arrêter d’écrire ». Espérons qu’elle change d’avis et qu’au lieu de se considérer comme une sorte d’éphémère de l’écriture poétique, elle en retrouve bientôt le chemin.
Née en 1964 à Paris, Patricia Guenot partage son enfance entre la capitale et la campagne franc-comtoise et se passionne pour la lecture, les arts et la poésie, en particulier pour celle de Rimbaud, Baudelaire, Mallarmé et Verlaine. En janvier 2003, elle remporte deux prix dans la catégorie “poésie classique” au concours de l’association littéraire “Oeil sauvage”. À quand Le prix Mallarmé ? Elle a également écrit un roman, des contes et des nouvelles. Mais c’est sa poésie qui fait d’elle à mon avis l’une des poétesses majeures de ce 21ème siècle pré-pubère. Et le fait qu’elle soit méconnue, sans doute à cause de ses carences en marketing et en auto-encensement, n’y change rien. À vous donc de la découvrir ! Et voici quelques fenêtres qui vous faciliteront la tâche :
www.edveri.com/.../patricia.guenot.htm (site des Éditions du Vent des Rives),

Giulio-Enrico Pisani

6 commentaires:

christiane a dit…

Il y a ici, sur ce blog, un incroyable travail de mémoire, très émouvant, une façon de magnifier ce que les êtres de plumes ont offert de silence. Les mots sont souvent l'ultime parole non-dite, impossible, innommable. Trouveront-ils lecteurs ? Et ces lecteurs pourront-ils inverser l'intense, l'immense solitude de leur genèse ? Giulio, Jalel, hommes d'écoute, d'attention vigilante, à ces traces douloureuses laissées par les poètes comme un sillage avant l'envol. Merci à tous deux.
Sans oublier l'oeuvre en construction des vivants qui ont place ici, aussi, et là, place aux veilleurs, aux éveilleurs qui mêlent dans la foule, leur, pas aux nôtres.

giulio a dit…

Permettez-moi, chère Christiane, de vous trépondre par ce septain d'Henri de Regnier (Ondelette) :

"Un petit roseau m'a suffi
Pour faire frémir l'herbe haute
Et tout le pré
Et les deux saules
Et le ruisseau qui chante aussi ;
Un petit roseau m'a suffi
A faire chanter la forêt."

Mais c'est la forêt qui chante
et le promeneur qui l'entend,
intrigué par la lumerotte
qui vacille au-delà des champs.

christiane a dit…

Oh, j'aimais ce sonnet et il avait quitté ma mémoire comme un oiseau furtif ! Merci Giulio.

El Gharbi a dit…

Merci chère Christiane. Voyez-vous toujours des vagues en partance pour les rivages de Carthage ?

christiane a dit…

Eh non cher Jalel, me voici revenue à mon port d'attache, juste avant les grèves reconductibles qui vont rendre aléatoires les voyages en avions, trains et transports en commun parisiens.
Je découvre, étonnée, un appartement qui m'attendait avec ses trésors accumulés au long des années. Cela fait du bien de se retrouver chez soi, comme une grande amitié avec les objets, les étoffes, les livres.
Je retrouve les voisins, les amis, la petite famille et donc le rythme scolaire qui scande les rencontres.
J'ai laissé des orages et de la pluie, soudainement venus de la mer fâchée et je découvre une banlieue paisible,ensoleillée d'automne blondissant, immuable avec son métro-ventre qui engouffre et libère ces grappes de voyageurs, ces passants au visage parfois fatigué car le travail, qui manque tant aux chômeurs et aux jeunes demandeurs d'emploi, colore de cernes bleus les paupières de ceux qui n'en peuvent plus entre horaires au boulot, trajets, gamins pas toujours de bonne humeur, rentrée scolaire et factures qui s'empilent dans les boîtes aux lettres.
Là-bas on coupait le bois pour l'hiver, taillait les arbres,vendangeait les treilles; remplaçait les lauzes des toits, ici, on pointe à l'usine, on regarde les horloges, on attend les trains et métros bondés.
Là-bas et ici, les visages sont beaux comme des livres...

gmc a dit…

AU VIN QUI CHAMBRE

Marche au gré du vent qui construit
Des étagères ornées de marbre
Comme autant d'escaliers
Qui mènent aux égoûts

A la station suivante
Le visage déchiré de mille pleurs
S'appauvrit d'un sourire
Et surtout d'un clin d'oeil

C'est au plaisir de la balafre
Que l'incicatrisé se réjouit
De tant de scarifications
Qui peuplent joyeusement sa peau