lundi 30 avril 2012

Mohammed Abdelwahab Ya Jarata El Wadi محمد عبد الوهاب يا جارة الوادي

En 1928, Mohamed Abdelwaheb chanta ce poème d’Ahmed Chawki. Bien des années après les frères Rahabani en firent un nouvel arrangement musical et Feyrouz lui prêta sa voix cristalline.
Chawki (1868_1932) y célèbre un amour de Zahlé au Liban où il venait passer l’été et où il rencontrait les poètes du Liban, surtout Khalil Motran (1872-1949). Voici une traduction de ce poème qui fait partie du répertoire de la grande chanson arabe.

Riveraine de la rivière 
Ahmed Chawki
Emu, ô riveraine de la rivière, j’ai revu à ton souvenir comme des rêves
Je me suis représenté ton amour dans ma mémoire et dans mon songe car les souvenirs sont l’écho volubile des années
Je suis passé par les jardins de la colline verdoyante où j’avais l’habitude de te voir
Des visages et des regards m’ont souri j’ai alors retrouvé dans leur souffle ton sourire
Je ne savais ce qu’était la vraie étreinte jusqu’au jour où, tendrement, mon bras t’a enlacée
Les formes de ton corps ondoyèrent sous ma main et tes joues s’en enflammèrent
Je suis alors entré dans deux nuits : ta chevelure et le soir qui descendait et j’ai embrassé comme un clair matin ta bouche
Les paroles se sont tues et mes yeux se sont dans le langage de l’amour adressés aux tiens
Ni la veille ni le lendemain ne faisaient plus partie du temps qui n’était plus tout entier que l’instant de ta confiance.
Traduction de Jalel El Gharbi 

dimanche 29 avril 2012

Qui est Giulio-Enrico Pisani ?


Pisani par lui-même
Naissance, clandestinité et régularisation d’un luxembourgeois comme tant d’autres 
RACONTER L’EUROPE
Un zeste de sang africain, un quart de gènes russes et trois quarts d'ancêtres ligures me destinaient-ils à naître au bord de l'Adriatique et à devenir luxembourgeois ? Rien n’arrive comme prévu. En cet an de disgrâce 1943 l'automne émilien n'avait pas renvoyé comme de coutume les Germains au¬-delà des Alpes. Cette fois, ils avaient laissé leurs Gretchen et leurs maillots de bain à la maison. Venus en uniforme, le portefeuille mince, ils se baignaient à poil malgré le vent déjà froid d'Illyrie, pire, s'incrustaient. Les indigènes, qui les prisaient d'ordinaire en tant que touristes, ne les aimaient guère, bien conscients qu'ils ne quitteraient plus Rimini, sinon manu militari, et s’y préparaient en cousant des drapeaux stripes and stars qui ne protégeraient personne des bombardements américains.  J’eus paraît-il dû naître à Rimini, mais la guerre et mon grand-père maternel aux mystérieux contacts chez les alliés, firent obstacle à mon atterrissage adriatique. 
- Alberto, Filez à Rome! Les cow-boys vont bombarder Rimini. 
- Mais... Glory doit accoucher d'un moment à l'autre.
- Raison de plus!  Sec.  Que son beau-fils place la parturition de sa fille en balance avec celle d'une forteresse volante dut l’irriter.  J'imagine pourtant son amour paternel l'amenant à allonger son vin, s'il parvint à raisonner cette tête de mule qu'était Père.  Je ne connaîtrai jamais le détail de cette conversation. Comment la suivre à travers le liquide amniotique, le placenta et la paroi abdominale de Mère, qui, en attendant de me lâcher hurlant et gigotant sur le monde, m'en protégeait jalousement.  Ce ne fut que bien plus tard qu'elle me rapporta par bribes l’affrontement qui fut à l'origine de la première de nos nombreuses errances... et peut-être aussi la cause première de mon destin de migrant!?  Premier voyage en première classe, baigné, nourri, chauffé et dorloté en wagon intra-utérin grand luxe! Rimini fut bombardée le lendemain. 
Je naquis donc à Rome le 11 novembre 1943 dans une pension - clinique de Diaconesses allemandes, via Farnese, où mes parents occupaient une chambre lavabo. Eh oui, le logement était rare dans la cité latine déclarée ville ouverte et explosant sous l'afflux de réfugiés, soldats déserteurs déguisés en civils, trafiquants, délateurs, professeurs d'anglais (déjà!), diplomates, transfuges, clandestins et aventuriers de tout poil.
La «Via Farnese» était, dans une Rome opportuniste, tolérante, mais pas vraiment sûre, un havre défiant les tourmentes fascisto-partisanes de cette guerre qui, après avoir fait rage ailleurs quatre années durant, venait affliger la population civile italienne. C'était une île, où de courageuses teutonnes, qui savaient ne pas sacrifier leur foi en l'homme sur l'autel du surhomme, offraient gîte et abri à des naufragés de toutes appartenances et confessions. Des juifs fuyant la terreur nazie, qui s'était mise à sévir en Italie dès son retournement politique, constituaient le gros du contingent. La plupart ignoraient encore leur propre tragédie. Les rares initiés se taisaient, confondant travail forcé pour les usines transalpines et déportation vers ces camps dont on savait encore peu. Les autres hôtes : anarchistes, humanistes, artistes, un communiste plus saint-simonien que marxiste, un autre qui haïssait Staline et quelques vieux fous inoffensifs que ce cocon providentiel abritait de la violence noire, des combines pourpres ou de la menace brune. 
Grouillante de réfugiés, fuyards, espions, contre-espions, prélats de tous poils et nations, ainsi que "permissionnaires", Rome était fin 1943 un caravansérail fou, où l’on vivait au jour le jour de mystérieuses prébendes, de revenus douteux et de marché noir. En attendant des libérateurs qui tardaient à la libérer, on composait avec un occupant qui avait renoncé à la défendre. Les uns tournaient autour du pot, bombardaient Anzio et rasaient Monte Cassino, pour laisser le temps aux autres de reconvertir leur armée en entreprise de déménagement. Quelques obus frappèrent Trastevere, mais non les déménageurs transalpins, à qui une sorte de "gentleman's agreement" à la Pie XI concéda une demie trêve, le temps que Badoglio s'accordât avec Cosa Nostra et Washington. 
La pension des Diaconisses était une vaste maison de maître aménagée pour recevoir une petite clinique, une vingtaine de chambres que les malades partageaient avec les convalescents qu'on n'avait pas le coeur d'éjecter et les réfugiés qu'on ne pouvait laisser dehors, une aile étant réservée aux soeurs. Pour la majorité des pensionnaires, la "clinique" fut un nuage. Tous ceux qui s'y réfugiaient, simples passants, princes "heureux" ou hirondelles mourantes, devaient y voir plutôt des limbes: un nuage, oui, mais de fumée d'opium, occultant, enveloppant et dissolvant peurs, souffrances et rancoeurs. 
Je parcourus la première enfance en gambadant entre les bonnes soeurs et en faisant de tout pour les rendre folles. Quant à leurs protégés, quelque subliminal respect des grands malheurs dut me retenir de trop les tourmenter. Sûr, je ne comprenais encore aucun de ces tragiques destins : ni les angoisses de la dessinatrice Anna Trompeo, ni la tristesse shelleyenne du poète phtisique Reynhold, ni les grognements du vieux Malamé, fumeur à la chaîne, qui crachait un peu de ses poumons à chaque quinte de toux, ni la solitude du philosophe-poète Jankelovitz, qui dédicaçait ses poèmes à Mère, ni les discours d'Igor Markévitch qui passant en trombe voir son ami entre deux concerts et préparait déjà son célèbre essai sur le peuple italien, ni les contradictions du trotskiste Aaron Blum, qui disparut un jour et ne revint plus. Ces tourments individuels, que le nuage opiacé empêchait d'interagir et de former un typhon, cette migration in loco des individus ou de leur esprit, cette multiple tragédie donc, ne blessait guère mon innocence. 
Ce ne sera que bien plus tard, la quarantaine sonnée, que les croquis de Reynhold et les vers de Jankelovitz jaunissant entre les paperasses de famille, le livre de Markévitch et une fleur sur la tombe de Schindler, m’ouvrirent les yeux sur le cauchemar que fut cette époque. Reynhold avait dessiné des têtes d'ange, parmi lesquelles je ne reconnaîtrai jamais celle du bébé que je fus. Les sonnets de Jankelovitz ne reflétaient que sa propre émotion. Indifférent ? Pas vraiment, car le feu de ces années là ne s'éteignit jamais. Faute de mes larmes pour noyer ses braises, il s'est conservé sous les cendres de l'ignorance béate où me maintint l'enfance : cercle protecteur hypocrite et bien-pensant destiné à me préserver de l'horreur en cultivant ma naïveté et en me dotant de cette froideur apparente que d'aucuns considèrent une force. 
La connaissance tardive de la Shoa, du crépuscule des "dieux", des mensonges des triomphateurs de 39-42 et des autres, les vainqueurs de 45, ainsi que ma vie d'émigré de l'après-guerre, me montra le spectacle d'un immense gâchis. Comment trouver assez de larmes pour pleurer tout ça ? Bien des années plus tard j’appris à voir aussi les enfants, innombrables, qui continuent à jouer, pleurer, souffrir, voir mourir et mourir, leurs yeux immenses pleins d'étonnements douloureux et d'interrogations sans réponses, comme ces yeux censés être les miens, et qui me regardent depuis les croquis de Reynhold. Un enfant, je le resterai toute ma vie; car ce qu’étranger parmi des étrangers j’aurai vécu durant mes premières années dans cette oasis qui me permit d'y survivre indemne, sera peaufiné ou patiné, mais jamais vraiment recouvert par la sédimentation du temps.
Après que mon père, ex-fils à papa, docteur en droit sans autre pratique que les jeux d'intellect, Pétrarque, Dante et la dialectique catonienne, eût rejeté dédaigneusement tout conseil de postuler un emploi subalterne et décida de se lancer dans le "business", la débâcle devint inéluctable. Les poissons qu'il croyait prendre dans ses filets l'attiraient, eux, dans la nasse de sa propre naïveté. En vain Mère voulut travailler comme secrétaire ou traductrice, afin d'apporter quelques sous au ménage. Rien n'y fit. Le macho ne permettait pas que sa femme s'occupât d'autre chose que de tâches dites féminines. Il tolérait quelques leçons privées, chez nous, mais non qu'elle exerçât un métier à l'extérieur. Il emprunta aux parents, puis aux amis. Puis vint le jour où toute sa dialectique, la "faim" des "pauvres petits", les "haillons" dont se couvrait Jeanne et l'usure évidente de son costume n'extrairont plus aucun billet de la poche de personne. Fatal. Mère dut enfin admettre qu'il était fini, que son grand amour était fini, et que s'en était fait d'elle et des gosses, si elle n'entreprenait rien.
Lorsque le long train des Alpes - il mesurait près d'un kilomètre - quitta Chiasso pour pénétrer au Tessin, m’emportant avec Mère et Béatrice, ma petite sœur vers un avenir incertain, mourut un petit italien. Ressuscita-t-il au fil des années en tant que suisse, allemand, belge ou luxembourgeois ? Ou bien ne sera-t-il jamais qu'un pignon déraciné rebaptisé en pin du nord ? Qu’importe!  Quelque soit leur origine, tous les conifères finissent par donner les mêmes cendres.
Au pays du Gruyère, Béatrice et moi découvrîmes être des Tchinkelis, et même notre impeccable "Grüetzi alle-mitte'nander" au bout d'un an de Schwitzerländli n'y changea rien. Tchinkeli équivaut à vaurien en Schwitzerdütsch, et désigne tout ce qui vient du sud des Alpes en quête de travail. Mère, prof de langues, se voyait par contre appelée "die Wichtigi", à cause de son allemand classique (Hochdeutsch), de ses hauts talons (hohe Stöckli) et de sa culture (hohe Bildung), toutes hauteurs peu appréciées dans la rurale Wülflingen. D’aucuns faisaient toutefois exception. Ces lecteurs de la Weltwoche, dont l’horizon ne se limitait pas au Rhin, au Jura et aux Alpes, considéraient la xénophobie de leurs concitoyens comme une plaie nationale qui obstruait l'avenir. Pour ces Bundesgenossen ouverts au monde, aider mère et transformer ses deux rejetons en petits suisses comme il faut était oeuvre bénie de Dieu. Leur générosité non dénuée de puéril calcul nous dispensa néanmoins cette chaleur qui nous permit de survivre entre les rapaces, les mesquins et les fonctionnaires de l'immigration qui nous pourchassaient.
Oui, car les Suisse était ouverte au travail des immigrés, mais non à leur progéniture. Aucun permis de séjour pour les enfants nés hors Suisse, avant immigration! Heureusement, les victimes de cette loi inhumaine pouvaient compter sur une population peu inféodée à Berne pour berner l'autorité. Mère dut travailler sans être déclarée; mais si l'un ou l'autre patron en profita pour la payer moins que d’autres enseignants ou traducteurs, personne, ni dans la police locale, la commune, le voisinage ou l'administration scolaire ne la dénonça jamais. Bien au contraire, ma sœur et moi fréquentions l'école communale et jouissions de l'aide et des services sociaux sans recours à une paperasserie impossible.
Quoi qu'il en soit, nous commencions à peine à nous habituer au nouveau milieu et à prendre notre parti des protections condescendantes et des persécutions hargneuses, que le destin nous propulsa plus au nord encore.
Ce fut Bruxelles. Et ce fut Luxembourg. Rentrée dans le giron du Marché Commun par la petite porte du Benelux, la petite famille italienne vit s'achever son exil suisse. Mais moi, depuis plusieurs décades "un lussemburghese come tanti altri"  n'oublierai jamais ma parenthèse clandestine, et de vieilles blessures se rouvrent quand de nombreux drames "Schengen" viennent me rappeler la forteresse helvétique de mon enfance. Heureusement, il arrive que les hommes soient moins durs que les lois. 

publié en ligne (www.hiware.be/apabel/raconter_europe/giuliopisani.pdf) et 
Recueil collectif  en version abrégée par APA.BEL en avril 2006 sous le titre : Luxembourg, 10.8.2002


samedi 28 avril 2012

Suite et fin de l'article de Giulio-Enrico Pisani sur la Tunisie


Giulio-Enrico Pisani, Lux. 27 Avril 2012
Tunisie et droits de l’homme
II.  Tunis 2013 = Vichy 1943 ?
Le journaliste du courrier de l’Atlas Seif Soudani précise en outre, que pour ce grand-guignolesque (ce qualificatif est de moi) ministère des droits de l’homme, qui ne les défend guère chez ses administrés libéraux et de gauche, «... répondent en revanche zèle et exemplarité dès lors qu’il s’agit du dossier des djihadistes  tunisiens emprisonnés aux quatre coins du monde...».  Et il nous confirme également le fait (bien connu et attesté par de nombreuses sources) que «... le ministère de l’Intérieur ne voit pas de problème particulier au fait que des artistes aient été violentés par une marche salafiste (violences non reconnues comme telles par le ministère), au prétexte que leur marche de «protection du Coran» était plus importante que tout le reste, d’après les salafistes...».  
C’était pourtant bien parti... jusqu’en septembre/octobre 2011.  «L'impératif de Tunis» quant aux droits de l’homme, signé 10.12.2011 dans le sillage du «printemps arabe», concluait en effet en ces termes : «Les gouvernements et les institutions internationales doivent plutôt s'en inspirer en infléchissant radicalement leur politique dans le sens d'une solide intégration des droits de l'homme dans l'économie et la coopération pour le développement, et en adoptant une législation fondée sur les droits de l'homme comme base de leur gouvernance interne et comme source d'une politique cohérente dans l'ensemble du système international. Tel est notre mandat pour le nouveau millénaire. Tel est l'impératif de Tunis». 
Depuis lors, ça va de mal en pis.  Même la torture, semblerait être encore couramment pratiquée (par qui?  Ce n’est pas encore précisé).  Mais on peut lire dans Bokbok Tunisien et dans Twitter que «Après la récente intervention télévisée de Mme Imen Trigui, présidente de l’association «Liberté et équité» dénonçant et documentant la persistance des pratiques de tortures, voici la voix de la grande militante des droits de l’homme Mme Radhia Nasraoui qui s’élève de nouveau: La torture demeure de pratique courante en Tunisie après la révolution, d’après ses déclarations au journal «Le Maghreb» du 30 septembre 2011. Mme Nasraoui dit disposer de faits réels, des noms et des témoignages directs qui seront rendus publics dans un rapport officiel que prépare «l’association Tunisienne de lutte contre la torture», association qu’elle préside. A noter aussi que le rapport de la FIDH de juillet 2011 allait déjà dans le même sens.»
Là-dessus j’envoyai sur Facebook un message d’encouragement à mes amis tunisiens et, à mon grand étonnement, il fut repris en français, mais surtout traduit en arabe sur des dizaines de blogs et autres pages Facebook.  Ce sera insuffisant, bien sûr, si d’autres forces ne s’y joignent pas et si ma petite boule de neige et tant d’autres, bien plus pertinentes, ne grossissent pas jusqu’à former ne avalanche, qui pousse les autorités tunisiennes à abandonner toute indulgence vis-à-vis des crimes et délits salafistes et qui amène l’opinion internationale et la commission des droits de l’homme de l’ONU à intervenir rapidement.  Voici donc ce message: 
«Unique pays du monde arabe, où son printemps a, pour l’heure, quelque chance de porter des fruits que son peuple pourra récolter, la petite Tunisie est aujourd’hui, face aux tyrannies de tous genres et aux démocraties opportunistes et désabusées, le phare du monde arabe.  Le monde entier vous regarde. Vous devez gagner cet engagement.  Soyez le nouveau David, car nous n’avons pas besoin d’un nouveau Léonidas.  Soyez tous présents lors de la prochain manif!   Soyez les plus nombreux et les plus décidés!  Soyez la liberté triomphante et non le combat désespéré!  Vous direz que ce n’est pas mon combat; et ainsi diront nos amis et direz-vous; et vous aurez raison.  Vous aurez raison, car ce n’est pas seulement mon combat à moi, ni seulement le vôtre, mais notre combat à tous.  C’est, à l’instar du combat des Gandhi, des Lorca, Hikmet, Neruda et Mandela, c’est comme aujourd’hui celui d’Aung San Suu Kyi, le combat de l’humanité tout entière, dont vous êtes aujourd’hui le fer de lance, que vous menez contre l’oppression et l’obscurantisme sous toutes leurs formes».
Il est au fond étrange de voir comment l’histoire se répète, différemment bien sûr, ailleurs souvent, mais fondamentalement semblable.  Songeons à la France entre 1940 et 45!  Aujourd’hui, en Tunisie, ce ne sont pas la Wehrmacht ou la Gestapo qui terrorisent le peuple avide de liberté, c’est l’envahisseur wahhabite venu du Golfe et d’ailleurs et ses hordes de sbires salafites.  Et ce n’est pas Vichy qui dirige le pays, mais un gouvernement qui tend à lui ressembler de plus en plus, tant il manifeste de sympathie aux envahisseurs.  Faudra-t-il que les tunisiens avides de liberté trouvent une version arabe du chant des partisans, dont les deux premiers vers me semblent fort bien convenir aujourd’hui à leur situation?  Peut-être bien que oui, car leur Résistance devra être rude, si elle veut conserver les libertés acquises tout de suite après la chute de Ben Ali.  
Le journal Marianne titrait à ce propos le 21 mars 2012: «Et voilà, une fois de plus, les deux Tunisie étaient de sortie ce mardi 20 mars, pour la fête de l’Indépendance. La belle, la rebelle, la féminine, la juvénile, drapée dans le drapeau national, rouge vif avec son étoile qui fait de l’oeil au croissant. Elle défilait joyeusement avenue Habib Bourguiba, là même où elle avait fait la révolution en un 14 janvier qu’elle refuse de voir trahi. 
Et puis il y avait l’autre, la sombre, la voilée, la barbue, celle qui ne rigole pas, les hommes d’un côté, les femmes de l’autre (...) figée entre le drapeau vert coranique et l’étendard noir salafiste (...) pour clamer l’urgence divine d’introduire la charia   dans la Constitution qu’élabore en ce moment l’Assemblée élue le 23 octobre dernier et majoritairement composée de députés Ennahda...».  
Mais où les salafistes ont quand même poussé le bouchon trop loin, même pour la compréhension complice ennahdaouie, c’est lorsqu’ils ont remplacé le drapeau tunisien par le drapeau noir wahhabite en haut d'une horloge située en face du ministère de l'Intérieur!  Là, face à l’indignation générale, même le gouvernement s’est senti obligé de désapprouver.  Non pas de condamner bien sûr, non de poursuivre non plus, non d’arrêter...  Sur la blogosphère on pouvait lire en masse des titres dans le genre de «Un adepte de Ben Laden attentant au drapeau tunisien, auquel il substitue un torchon noir», ainsi que les protestations y relatives, mais en quoi cela dérange-t-il les autistes qui font pour l’heure semblant de gouverner la Tunisie?  Tunis 2013 sera-t-il une sorte de Vichy 1943?  On en est heureusement pas encore là, mais le chemin est déjà en train d’être balisé par les amateurs fascisto-islamiques en place.  Au vu de cette situation malsaine et de la tolérance des autorités envers une racaille qui rappelle uniformes noirs des SS et les chemises brunes germaniques de triste mémoire, nos amis tunisiens progressistes seraient en tout cas déjà pleinement en droit d’entonner les deux premiers vers du chant des partisans: 
« Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines?
Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu'on enchaîne? »
Espérons seulement que le gouvernement dominé par Ennahda finisse par comprendre qu’il fait fausse route et que les résistants tunisiens ne soient pas obligés d’en chanter la suite.  Car dans ce cas, la Tunisie risque de connaître un second printemps bien plus rouge que le premier.     

vendredi 27 avril 2012


Notre ami Giulio-Enrico Pisani vient de publier dans le Zeitung vum Lëtzbuerger Vollek sa lecture de la situation en Tunisie. En  voici la première partie.
Giulio-Enrico Pisani, Lux. 26 Avril 2012
Tunisie et droits de l’homme
I. Indifférence coupable 
Il est éminemment regrettable que le sang doive couler à flots, les bombes humaines, aériennes ou terrestres tout ravager, les assassinats et les destructions tout massacrer et jeter des marées humaines sur les chemins de l’exil ou vers de mortifères camps de concentration «humanitaires», pour que les mass media s’y intéressent.  Il en va par ailleurs de même pour ce qui est de l’échelle d’intérêt de nos politiciens occidentaux.  Seul comptent pour eux les ravages des incendies et non le travail de prévention et d’extinction du feu accompli par les souvent anonymes pompiers de la paix.  Trop d’urgences, mais aussi d’autopropagande et de futilités, les occupent en permanence, pour qu’une lutte citoyenne, peu bruyante et même pas sanglante de l’autre côté de la Méditerranée vaille qu’ils y consacrent quelques réflexions (et je ne parle même pas d’action).  Dans les discours politiques d’une Europe où les dirigeants prétendent avoir presque tout suffisamment réussi pour s’ériger en donneurs de leçons et décider de ce qui importe ou moins sur la scène internationale, la Tunisie n’occupe pas une bien grande place.  Et il en va par conséquent de même dans les mass média, qui ne lui concèdent que de rares espaces.  La Tunisie n’intéresse pour l’heure qu’une presse minoritaire et alternative.  Normal.  Comment concurrencerait-elle les hurlements accompagnant les hécatombes libyennes, les massacres syriens ou les sanglants coups d’état africains?  Comment provoquerait-elle des interventions internationales sensées et efficaces?
Selon nos politiciens myopes, il ne se passe pratiquement rien en Tunisie, rien en tout cas qui n’excède les faits divers de nos quartiers «chauds» de Londres ou de Paris, rien que l’on ne puisse régler avec les quelques bonnes paroles que, souvent,  l’on ne prononce même pas.  Même pas donc avec ces malheureuses bonnes paroles qui sont dans l’Union Européenne l’unique remède à la misère et à la colère de dizaines de millions de ses laissés-pour-compte.  Un gouvernement d’islamistes modérés?  Et alors!  Quel est le problème?  Même les États-uniens, pour la majorité desquels le mot laïc équivaut à une insulte, ont décidé d’en prendre leur parti.  Et quelle meilleure garantie aurait-on contre les islamistes intégristes, fanatiques, djihadistes?  Voyez la Turquie!  C’est tout à fait fréquentable, des islamistes modérés, surtout quand ceux parmi eux qui demandent l’aide financière étrangère se gargarisent avec leurs interlocuteurs de discours mielleux, modulent leurs airs rassurants en moderatissimo cantabile et affectent une tolérance de bon aloi... surtout vis-à-vis de leurs propres dérapages.
Il me semble plus que probable, que la Tunisie soit aujourd’hui sans doute le seul pays du "printemps arabe", où le respect des droits de l'homme a encore une petite chance d'être sauvé en dépit de la majorité islamiste au gouvernement constituant.   La charia a, semble-t-il, pu être évitée pour l’heure, grâce à une mobilisation massive de la société civile, fière et jalouse de ses droits et acquis, sauvegardés depuis l’ère Bourguiba en dépit de la dictature Ben-Ali-Trabelsienne.  Mais la question n’est pas tant de constater que seul la Tunisie a aujourd'hui dans le monde arabe la capacité de sauver sa démocratie, mais plutôt de savoir si elle a les moyens d’y parvenir, et comment?  Ainsi que bien d’autres amis de ce beau pays et de ses ressortissants, je suis en droit de me poser la question.  En effet, mon optimisme initial a cédé à un profond désarroi, lorsque j’ai constaté l’escalade des innombrables violations des droits de l'homme et de la femme par des groupes de plus en plus violents de salafistes djihadistes financés par les wahhabites du Golfe,  tolérés par un gouvernement qui ne les condamne même pas du bout des lèvres, mais les ignore en les minimisant systématiquement.  Même les autorités judiciaires et d’ailleurs le gouvernement ne les respectent pas toujours eux-mêmes, ces droits de l’homme dont ils devraient être les premiers garants.  
Je ne caricature pas, loin de là.  Ces violations sont en effet régulièrement rapportées par la presse du Maghreb, ainsi que par les nombreux amis et connaissances que je compte en Tunisie, violations dont le cri de colère ci-dessous d'un professeur d'université tunisien n'est qu'une pâle expression.  Je le cite: «Pour (et au lieu de)  faire face à la cherté de la vie et juguler le chômage, ils lâchent ces enragés de salafistes contre les étudiants, contre le corps médical, contre les Tunisiens de confession juive ou orthodoxe, contre les anciens ministres, contre les universitaires, contre les journalistes, contre les jeunes filles non voilées, contre les morts qui exhibent de belles tombes.  Arrêtez!»  
Notez, amis lecteurs, que j’ai lu des reproches plus graves encore, voire insultants.  Mais la place me fait défaut afin d’énumérer tous les blâmes et remontrances que la société civile libérale et de gauche adresse au gouvernement constituant dominé par le parti islamiste – autoproclamé modéré – Ennahda.  C’est apparemment une politique qu’il préfère à la tâche de veiller à la paix, à la concorde, au développement économique du pays et d’occuper à des travaux d’intérêt général un lumpenprolétariat où les prêcheurs salafistes recrutent leurs agents, sbires et nervis.  En fait, leurs menaces de mort contre les femmes affranchies, les journalistes, les avocats, les professeurs, les étudiants, les artistes, les homosexuels, les juifs, les chrétiens, les athées, en fait contre toute personne progressiste ou affirmant ses libres choix d’opinion et existentiels, sont monnaie courante et les voies de fait physiques ne sont pas rares.  
Or, ce gouvernement ne blâme, n'arrête ni poursuit pratiquement aucun des membres de ces bandes d’énergumènes.  En outre, toujours sous l'oeil tolérant des ministres d’Ennahda, les droits fondamentaux de la liberté d'expression orale, ainsi que ceux de la presse ont été bafoués par des arrêtés de justice dont (cette fois) toute la presse magrébine et française a parlé.  Mais – c’est un comble pour nos donneurs de leçons occidentaux – pas un mot de désapprobation des ministres européens, du Parlement européen ou du Conseil de l’Europe!  Abandonnés à eux-mêmes, les progressistes tunisiens sont donc obligés de faire face à une guerre larvée que leur infligent les islamistes «modérés» de leurs propres autorités activement secondés par leurs complices officieux salafistes, dont le but principal et avoué est de mettre fin à l’état de droit censé garantir les libertés individuelles et collectives.  Mais le clou de la perfidie, le comble de la roublardise et la meilleure trouvaille de ce gouvernement tunisien fut de créer, afin de donner le change aux naïfs politiciens occidentaux et surtout européens, un ministère des droits de l’homme.
Aussi est il particulièrement intéressant de citer ici quelques lignes du journaliste Seif Soudani du Courrier de l’Atlas, qui titrait le 29 mars 2012: «Tunisie. Une conception très particulière des Droits de l’Homme!» Puis: «Moncef Marzouki, un droit-de-l’hommiste à la tête de l’État, création d’un nouveau ministère des Droits de l’homme avec à sa tête le porte-parole du gouvernement, en Tunisie, plusieurs signaux positifs pouvaient laisser augurer d’une phase post révolutionnaire placée sous le signe des Droits humains. En pratique, il n’en est rien».  Cet article, que l’on peut lire sur de nombreux sites, dont http://reflexionsetidees.wordpress.com/.../je-reprends-larticle-tunisie-une-, explique notamment que le ministère des Droits de l’homme «... a vocation à étudier et dédommager les cas de victimes des balles et de la torture de l’ancienne dictature...», mais que «... sa vocation essentielle est aussi pédagogique, sur des questions telles que la défense des minorités, la préservation des libertés et la promotion de l’universalisme. Or, lors d’un entretien télévisé début février 2012, Samir Dilou, ministre des Droits de l’homme issu d’Ennahda, a notamment tenu des propos remarqués concernant l’homosexualité. Pour le ministre, «l'homosexualité n'est pas un droit humain, mais une perversion qui nécessite un traitement médical»».  
à suivre

jeudi 26 avril 2012



Portrait de José Ensch par Iva Mraskova, publié en illustration de mon livre José Ensch : Glossaire d'une oeuvre... de l'amande au vin...
http://www.mediart.lu/index.php?id=214


La Passante

i.m José Ensch

J’aurais tant aimé planter un myosotis
Rue Marie Adélaïde
Le mettre si près du champagne matinal
A droite de la peinture
Juste en face des livres
Et tutti quanti.

J’aurais tant aimé marcher
Marcher
Jusqu’au parc où il y avait des canards
Du silence
L’ombre épaisse
Un carnet de poésie
Du vin et tutti quanti.

J’aurais tant aimé
M’asseoir à cette table
Où il y avait une plume
De jolis timbres
Une boîte de biscuits
Un crayon de soleil, un verre
Et tutti quanti

J’aurais tant aimé ouvrir la fenêtre
Voir passer la passante
Qui croit traverser la rue
Quand elle piétine mon cœur
Et qui ne sait pas que son visage
N’est qu’une image du temps
Et tutti quanti

Deux larmes ont suffi
Pour que j’écrive ce poème où je veux dire :
J’aurais tant aimé
Cueillir un myosotis
Si près des mots que tu aimais
« Tutti quanti » par exemple
Et tutti quanti
Jalel El Gharbi, extrait de "Prière du vieux maître soufi le lendemain de la fête" Editions du Cygne. Paris 2010.

mardi 24 avril 2012

25 avril. Eduardo Galhos


25 AVRIL
Eduardo GALHÓS

Venu de la rase campagne
du sud de mon pays
dans nos sens affligés
estropiés d’amour
de feu de liberté
il y avait comme le parfum
d’une révolution imminente
depuis une éternité
et qu’on attendait
et qu’on attendait.

Ce parfum si exaltant
né dans un matin d’avril
s’accompagnait d’une chanson
chantée par des voix rauques
comme seuls savent chanter
ceux qui sont nés là-bas
et qui chantent si bien encore
après toutes ces années
elle faisait peur au péril
cette chanson nonchalante
se traînant doucement
en harmonies fatiguées
et qui montait
et qui montait.


« Grandôla, villa morena
terra da fraternidade.
O povo é quem mais ordena
dentro de ti, ó cidade. »

Ce parfum de liberté
a surexcité les rues
les places les avenues
les quartiers mal famés
de la cité jusqu’au château
il a pris tout et tous d’assaut
des hommes au cœur de lion
qui pour la première fois
ce sont pris dans les bras
s’embrassaient comme des enfants
les visages pleins de larmes
interdites auparavant
et ça pleurait
et ça pleurait
tout en riant
sur les terrasses des cafés
les femmes étaient disposées
dans des poses étudiées
cigarettes entre leurs doigts
elles riaient aux éclats
devant le rouge des œillets
au bout des fusils dressés
par des joies érectiles
seuls les vieux sages figés
regardaient au lointain
ouvrant grand leurs yeux bleus
pour regarder plus haut les cieux
qui les avaient oubliés
non loin un très vieux homme
posté devant la mer et fragile
arborait un sourire léger
qu’éclairait son profil
et tout bas
et tout bas
doucement il murmurait
« Le père de mon grand-père
avait raison quand il affirmait
il n’y a pas meilleur parfum
que celui de la liberté ».
Une vieille à son côté pleurait
son fils mort à la guerre
discrète tout en pudeur
comme elles font les mères
des pays qui ont souffert.



Moi quand je mourrai
je veux qu’on me couvre d’œillets
rouges je les veux comme le sang
couleur que j’aime tant
et quand en terre on me mènera
qu’on m’entonne cette chanson
avec les mêmes voix rauques
restées dans mes oreilles
tel un rare reliquat.


« Grandôla vila morena
terra da fraternidade.
O povo é quem mais ordena
dentro de ti, ó cidade. »

« Dentro de ti, ó cidade
o povo é quem mais ordena.
Terra da fraternidade
Grandôla, vila morena. »


Je veux dans cet apparat
tout parfumé d’avril
passer par le royaume des cieux
car je ne veux pas y rester
non je n’en veux pas
juste le temps pour Lui dire
s’Il n’est pas très occupé
les souffrances des pays
les guerres à arrêter
les murs à détruire
et que seul l’amour jubile.


Sûr je vous le jure
tout rouge et parfumé d’avril
je ne ferai que passer
Je ne ferai que passer.


lundi 23 avril 2012


Chagall : vol au-dessus de la ville


Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages
Avant de t'apercevoir du mensonge et de l'âge
Tu as souffert de l'amour à vingt et à trente ans
J'ai vécu comme un fou et j'ai perdu mon temps
Tu n'oses plus regarder tes mains et à tous moments je voudrais sangloter
Sur toi sur celle que j'aime sur tout ce qui t'a épouvanté
Apollinaire. "Zone" Alcools