jeudi 21 avril 2011

Alain Millerand par Giulio-Enrico Pisani

Notre ami Giulio-Enrico Pisani publie dans le Zeitung vum Lëtzerbuerger Vollek cet article sur l'artiste Alain Millerand :
Oeuvre d'Alain Millerand : Deux filles.

Alain Millerand : amour et mort à La Galerie

C’était il y a quatre ans à Govillers, petit village perdu dans le Saintois, en pleine campagne lorraine. Invité au vernissage d’une exposition du TEM par les artistes Michèle Frank et René Wiroth, j’y découvris un prodigieux ensemble de tableaux et, du même coup, le peintre qui l’avait créé: Alain Millerand. Et cet exceptionnel polyptique intitulé La butte rouge, d’après une chanson des poilus de 1914, vous attend aujourd’hui, amis lecteurs, dans la vitrine principale de La Galerie. Considérée par l’artiste, à raison, comme oeuvre maîtresse, fondatrice et fétiche du même coup, il l’a jalousement conservée, ne l’exhibe que pour le plaisir et ne la vend pas.
«La Butte Rouge», demandai-je alors, l’ensemble pictural tragique d’Alain Millerand, mérite-t-il la palme? (...) Cette étrange renaissance de mort polymorphe dans l’Après-Commune de Paris qui coïncidait avec la naissance d’un peintre, c’était fabuleux. «À l’origine», explique Alain Millerand, «un document daté du mois de Mai 1871 (...) Douze corps alignés. Douze visages entre sourire et métamorphose. Douze histoires anonymes vite transposées sur une feuille de papier blanc. De ce dessin perdu, puis retrouvé il y a quatre ans, je suis né à la peinture…». Dans La butte rouge, Millerand retrouve-t-il Louise Michel et son «Debout! La honte est lourde et pesantes les chaînes. Debout, il est beau de mourir!»? Ou bien endosse-t-il tristement le «Je n'ai pas le mal du pays, j'ai le mal des morts» de la célèbre communarde? Ici Mnémon du tragique, comme Rodin et ses Bourgeois de Calais ou Picasso et son Guernica, Alain Millerand, ne met toutefois pas seulement son pinceau acribique au service de la désespérance, mais aussi des beautés de la nature ou de la séduction féminine. Cependant, même alors, ses réinterprétations sont marquées par une genèse incompréhensible à tout autre que lui. Et encore... La connaît-il seulement lui-même? En effet, si dans La Butte Rouge la mémoire a travaillé Alain, il ne s’en encombre pas toujours dans son travail créatif. «En premier les personnages», s’en explique-t-il, «Les multiplier. Les oublier. Les renier. Et continuer vers la peinture de mes rêves. Couleur, matière, espace, intelligence».
Né en 1953 à Jarville, Meurthe-et-Moselle, notre artiste vit et travaille dans la banlieue de Nancy. De formation scientifique et technique, il fréquente en 1972 les Beaux-Arts de Nancy et travaille deux années dans un bureau d'études techniques. Illustrateur de presse et d’édition recherché, il a relativement peu exposé. En effet, de cet homme simple, mais très exigeant avec lui-même et en quête d’impossible, Claude Truchi, le galeriste, dit qu’il «... fait partie de ces peintres qui, loin de l'image de l'artiste outrageusement déjanté, oeuvrent discrètement dans leurs ateliers en une quête illusoire de la toile parfaite. À une époque où il est facile de s'affranchir des techniques de préparation des couleurs, Alain prend plaisir à cette savante chimie qu'il considère comme la complice qui le conduira à l'aboutissement de son oeuvre…». Mais pour Alain, chaque création est un combat, qu’il affronte seul, écrivit-il il y a quelques temps, «... Seul. Face à face avec la Créature. Au bout de mes doigts, le pinceau claque. Elle s'agite. Rugit. Rougit. Belle. Voluptueuse. D'une carnation parfaite. Va-t-elle prendre la pose? S'engage alors une lutte amor. A chaque instant je sais. Je sais que je peux y perdre ce qui me reste de vie nocturne. Alors, les heures s'effondrent. Puis se confondent... »
Mais revenons à ce qu’il nous propose aujourd’hui. Après La Butte rouge, que nous avons pu admirer en vitrine, voici mes tableaux préférés. Citons d’abord Tauromachie qui, malgré sa forte dramaturgie, n’avait pas encore trouvé cimaise à son sabot lors du vernissage. La bête ensanglantée s’y détourne de ce qui pourrait être son âme ou la dépouille quasi-désincarnée du torero. C’est comme ouïr post mortem Garcia Lorca dans «Le coup de corne et la mort» : «Il était cinq heures du soir (...) Et le taureau seul, le coeur offert! À cinq heures du soir...».
Un autre de mes préférés, la Fille-Vertèbre, titre fort étrange pour un tableau qui m’a d’emblée évoqué Ophélie, effectivement premier titre de l’oeuvre selon l’artiste, dont je ne saisis pas l’évolution... ostéologique. Mais qu’importe? La mort y gît, non pas furieuse, comme dans l’arène, mais sereine, encore frémissante d’un zeste de vie et abandonne toute sa carnalité à un corps aussi sensuel qu’était désincarné celui du torero dans Tauromachie. Un arrière-plan, qui se refuse d’être tel, impose son omniprésence d’un romantisme abstrait et valorise le sujet tout en préparant son absorption par la nature. Magique!
Et c’est justement cette nature phagocytante (?) que nous retrouvons dans Torrent-Mannequin, qui est, sinon le clou de l’exposition, sans doute l’une des plus belles mi-abstractions – toute déconstruction-reconstruction – qu’il m’ait été donné de voir. D’Ophélie disparue, absorbée peut-être, ne reste ici que l’ombre, devenue pure poésie au milieu de la nature luxuriante et de son généreux déversement d’eaux vives: Rhapsodie en vert. Magnifique! Et que dire du tableau n° 16, Deux filles – Chine.jpg, d’un symbolisme figuratif suggérant la vanité, mais aussi beauté, charme et orient, grâce au dessin et au chromatisme aussi intenses et réussis que séduisants. Notons d’ailleurs que Millerand est un vrai maître de la couleur, dont il ne se contente pas d’adopter le «tout fait». Et Claude Truchi de nous rappeler qu’«à une époque où il est facile de s'affranchir des techniques de préparation des couleurs, Alain prend plaisir à cette savante chimie qu'il considère comme la complice qui le conduira à l'aboutissement de son oeuvre…».
Autre pièce maîtresse: la toile n° 17, intitulée Rouge, teinte des lèvres vivement colorées d’une jeune fille en robe canari. Elle a l’air de surgir, légère, quasi-aérienne d’une gisante en bleu sous laquelle pointent deux jambes nues, seules parties visibles d’une troisième (?) femme. Trois jeunes femmes alors: une vivante, une dormante, une morte? Ou plutôt trois aspects de la même femme? Ou bien une métamorphose – chenille, chrysalide, imago – que pourrait suggérer la lourde capote (ou restes informes de chrysalide) suspendue au moignon d’une branche basse d’arbrisseau? L’arrière-plan hybride, périurbain ou balnéaire (?) n’apporte aucun éclaircissement. Et inutile de rappliquer à La Galerie muni de sérum de vérité. Le galeriste ne vous dévoilera pas la pensée de l’artiste. Comment le pourrait-il? Mais l’ineffable sentiment de beauté que dégage l’oeuvre nécessite-t-il vraiment sa compréhension?
Certainement pas, pas plus que ne l’exige le frisson de plaisir provoqué par cet autre tableau semi-abstrait expressionniste qu’est le n° 20, La Montagne. Peut-être moins profond que Torrent-mannequin, mais d’autant plus complexe, moins romantique, mais bien plus violent, il voit Alain Millerand y rejoindre Baudelaire clamant: «... du haut de la montagne arrive à mon balcon, à travers les nues transparentes du soir, un grand hurlement, composé d'une foule de cris discordants, que l'espace transforme en une lugubre harmonie, comme celle de la marée qui monte ou d'une tempête qui s'éveille...» . Décomposition-recomposition. Superbe! Certes, bien d’autres perles enjolivent cette exposition, mais comment les citer toutes? Alors, faites-vous le plaisir d’aller vous rincer l’oeil et l’esprit au travail de l’un des peintres les plus remarquables et trop peu connus de notre époque!

dimanche 17 avril 2011

Giulio-Enrico Pisani et ses identités

Notre ami l'écrivain Giulio-Enrico Pisani (voir sur Wikipédia) a laissé ce commentaire sur le billet précédent. Il me plaît de le reproduire ici et de le remercier de ce qu'il est.
Ah, quelle joie de vous lire, tous deux, Jalel et Mahdia! Vos mots quasi-oecuméniques me donneraient envie d'être arabe, tunisien et juif par dessus le marché, si italien, européen et luxembourgeois de naissance, vie et destinée, je n'étais apatride de fait et sans appartenance par choix existentiel.

Je me souviens de cette vieille fermière suisse à laquelle je demandai – morveux immigré de 8 ans voulant se faire un peu d'argent de poche – si je ne pouvais pas lui faire quelques courses, et qui me demanda, méfiante: "À qui appartiens tu?" (sous-entendu de qui es tu l'enfant, quelle est ton pays, ta famille, ta caste, ton clan...). Ignare, innocent, ignorant, mais fier comme un coquelet, je me dressais sur mes ergots et répondis : «À personne! Je ne suis pas un esclave.» Et elle de me remettre vertement en place : "Va-t-en alors, petit effronté!"
Eh bien, oui, je m'en suis allé et c'est que j'ai toujours continué à faire, en attendant de m'en aller pour de bon, sempiternel passant, dont même les attaches qu'il cherche et croit parfois trouver lui apparaissent tôt fait factices et ne sont que licols éphémères. Tour à tour italien, toscan, suisse, belge, allemand, français, luxembourgeois…
Et pourtant, parfois je vous envie, tous deux ; parfois je pourrais pleurer, de n'être à personne. Dur, dur, d'être libre! Vraiment libre. Je me sentirais peut-être moins seul si nous l’étions tous. Est-il vraiment nécessaire, indispensable, d'être arabe, juif, italien, tunisien, français ou que sais-je ? Ne peut-on pas, tout simplement, se contenter d'être un être humain, sans plus ?
Peut-être bien, que j’eus aimé être méditerranéen… peut-être même que je le suis ?
Mais est-ce bien raisonnable ?

samedi 16 avril 2011

La Tunisie au lendemain de la révolution

A lire sur Babelmed mon reportage sur la Tunisie d'après la révolution.


On y trouvera, entre autres, un portrait du Premier Ministre intitulé "Le retour du Bourguibisme".

http://www.babelmed.net/Pais/Méditerranée/dossier_tunis.php?c=6547&m=34&l=fr