dimanche 17 avril 2011

Giulio-Enrico Pisani et ses identités

Notre ami l'écrivain Giulio-Enrico Pisani (voir sur Wikipédia) a laissé ce commentaire sur le billet précédent. Il me plaît de le reproduire ici et de le remercier de ce qu'il est.
Ah, quelle joie de vous lire, tous deux, Jalel et Mahdia! Vos mots quasi-oecuméniques me donneraient envie d'être arabe, tunisien et juif par dessus le marché, si italien, européen et luxembourgeois de naissance, vie et destinée, je n'étais apatride de fait et sans appartenance par choix existentiel.

Je me souviens de cette vieille fermière suisse à laquelle je demandai – morveux immigré de 8 ans voulant se faire un peu d'argent de poche – si je ne pouvais pas lui faire quelques courses, et qui me demanda, méfiante: "À qui appartiens tu?" (sous-entendu de qui es tu l'enfant, quelle est ton pays, ta famille, ta caste, ton clan...). Ignare, innocent, ignorant, mais fier comme un coquelet, je me dressais sur mes ergots et répondis : «À personne! Je ne suis pas un esclave.» Et elle de me remettre vertement en place : "Va-t-en alors, petit effronté!"
Eh bien, oui, je m'en suis allé et c'est que j'ai toujours continué à faire, en attendant de m'en aller pour de bon, sempiternel passant, dont même les attaches qu'il cherche et croit parfois trouver lui apparaissent tôt fait factices et ne sont que licols éphémères. Tour à tour italien, toscan, suisse, belge, allemand, français, luxembourgeois…
Et pourtant, parfois je vous envie, tous deux ; parfois je pourrais pleurer, de n'être à personne. Dur, dur, d'être libre! Vraiment libre. Je me sentirais peut-être moins seul si nous l’étions tous. Est-il vraiment nécessaire, indispensable, d'être arabe, juif, italien, tunisien, français ou que sais-je ? Ne peut-on pas, tout simplement, se contenter d'être un être humain, sans plus ?
Peut-être bien, que j’eus aimé être méditerranéen… peut-être même que je le suis ?
Mais est-ce bien raisonnable ?

10 commentaires:

Mahdia a dit…

Cher Giulio,
Quelle joie de vous lire aussi et de sentir avec une tendresse amicale des plus loyales combien vous nous comblez ici de votre intelligence de cœur, de votre compétence exemplaire de l’âme et de votre main qui sème à tout vent.
A travers cet aller heureux vers l’autre que votre mot généreux rend moins autre , moins étrange (r), plus proche de vous que vous ne l’imaginiez, vous ouvrez , vous créez au chemin un sens, au mot un chemin qui longe indéfiniment les sentiers des hommes qui inévitablement vous font désirer leurs langages, lesquels, réciproquement aussi , viennent à vous désirer : « si tu veux être aimé dit Sénèque, aime ».
Une chose est sûre, vous ne mourrez pas avant que vous n’ayez signé la charte qui défendra de porter un jour atteinte à la beauté et au parfum de la rose et au chant et à la liberté de l’oiseau, et avant que n’ayez lié amitié avec les anges. Aurions-nous la chance de vous ressembler un jour pour espérer mourir moins vides de prétention et plus légers de générosité et de partage ?
Vous vous plaignez d’être un homme libre ! Mais le vent est ce qui fait pomper votre plume de poète, avancer votre Argo et vous fait devenir l’éternel voyageur, Ulysse, votre ego. Mais ne l’êtes - vous pas depuis que vous avez répondu à la fermière que vous n’êtes personne ? Vous ne nous dites pas dans votre très belle histoire d’enfance si la fermière avait bien ses deux yeux ou n’en possédait qu’un seul au milieu du front !
Mais savez-vous que n’appartenir à personne, c’est appartenir à tout le monde, c’est –à-dire être au fond de l’humain, de l’humanité et ceci depuis déjà aussi le jour où vous avez écrit le monde. Dès qu’on écrit sur quelque chose, sur quelqu’un, on est déjà d’eux, on appartient à leur espace. On ne peut pas échapper à la théorie des ensembles : une très belle vidéo nous initie aux ensembles ainsi :« (Nous=JE+JE+JE+…) (à voir sur cette adresse : http://www.dailymotion.com/video/x182gm_theorie-des-ensembles_creation).
Vous êtes de nous cher Giulio et on est de vous car la force de l’origine qui vous semble nous lier, nous les arabes, les uns aux autres, n’existe que métaphoriquement chez un bon musulman. Notre religion nous défend en fait de prétendre être quoi que ce soit ou se revendiquer de quoi que ce soit que de la piété. L’aller vers l’autre est le propre de l’islam.
Oui vous êtes assurément méditerranéen et arabe de surcroît et c’est bien raisonnable d’ailleurs car, et ce n’est pas le maitre de l’Orcident qui me contredirait, nous sommes aussi de vous, c’est –à-dire de l’Humanité que nous croyons notre seule et unique véritable origine.
« Seul mérite l’amour et la vie, celui qui quotidiennement doit les conquérir. » (Goethe)
Amitiés

christiane a dit…

Madhia... Giulio... Jalel...
C'est comme un "chant" de blés, de coquelicots, de bleuets. Je l'écoute et m'en nourris car il a le goût du pain.
Et puis je m'allonge, regarde le ciel tout traversé de vent et de nuages, mon pays sans frontières.
"Alors qui aimes-tu, étranger ?
J'aime les nuages, les nuages, les merveilleux nuages..."

christiane a dit…

"- Qui aimes-tu le mieux, homme enigmatique, dis? ton père, ta mère, ta soeur ou ton frère?
- Je n'ai ni père, ni mère, ni soeur, ni frère.
- Tes amis?
-Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu.
- Ta patrie?
- J'ignore sous quelle latitude elle est située.
- La beauté?
- Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle.
- L'or?
- Je le hais comme vous haïssez Dieu.
- Eh! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger?
- J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages!"

Baudelaire: Petits poèmes en prose, I (1869)

giulio a dit…

@ Jalel : cher Jalel, tu ferais-mieux de mettre nos amies Mahdia et Christiane en évidence. Grâce à leur pensée s'élève infiniment plus joliment et plus haut que ma froide et dubitative raison.

@ Chère Mahdia et chère Christiane : merci de votre proximité que je doute mériter.

christiane a dit…

Vous, cher Giulio, êtes aussi un homme énigmatique mais vous n'êtes étranger que dans les terres d'injustice et d'intolérance. Vous avez des amis, certainement une famille qui vous aime mais vous aimez les nuages, les merveilleux nuages et tous les hommes comme des frères et toutes les terres comme une seule terre.
Je crois que j'ai trouvé votre profession cachée ! vous êtes un effaceur de frontières et de laideur. Je vous imagine votre gomme à la main, jubilant !

Jalel El Gharbi a dit…

Chers amis,
Je vous lis avec plaisir. Mais je ne peux passer qu'en coup de vent. Je suis littéralement submergé de travail, ne m'en voulez pas. Vous êtes chez vous ici.
Amicalement

giulio a dit…

Un rêveur d'effacement de frontières et de laideur plutôt, chère Christiane.

Rêves irréalisables!

On en rêve au moins depuis 35 siècles. Bien d’autres personnages en ont rêvé, depuis le Gauthama, en passant par Épicure, Jésus, Mani, Bartolomé de Las Casas, Spinoza, Rousseau, Karl Marx, Henry Dunant, Mère Térésa jusqu’à l'Abbé Pierre et j'en passe. Et que sommes nous auprès de ces géants qui ont marqué l’histoire d’une humanité qu’ils voulaient sans races ni frontières ? Ils sont passés, ont bouleversé les esprits, ont semé la fraternité, l’ouverture, l’amour, la solidarité.

Résultat : les frontières, elles, deviennent de plus en plus rébarbatives, répulsives, hermétiques. Quelle régression par rapport au temps de l’Antiquité ou du Moyen-âge, où les ouvriers rétameurs, tailleurs de pierre ou autres charpentiers pouvaient, tout comme les poètes, faire le tour complet de la Méditerranée, Mers Noire et Rouge comprises, s’établir n’importe où en Europe, en Afrique septentrionale ou au Proche-Orient ! Et cela m’étonnerait beaucoup que Marco Polo ou Ibn Battûta aient eu des passeports et visas en règle durant leurs voyages.

christiane a dit…

Ce que vous faites avec vos mots, Giulio, ce n'est pas rien ! Ce n'est pas un rêve. Tous ces petits pas ne sont pas... perdus si ce n'est dans une gare où des "passants" attendent le train des lendemains qui chantent avec un certain livre à la main...

Giulio a dit…

Les pas perdus, Christiane ? Je n'ai jamais eu le sentiment qu'ils étaient perdus, du moins dans les salles de ce nom. C'est dans celle de la gare de Cologne que j'ai rencontré il y a 50 mon premier grand amour impossible et dans celle de Luxembourg que j'ai "dragué" il y a plus de 40 ans celle qui allait partager ma vie. En fait j'ai cru jusqu’à trente ans que les pas dans les halles des gares n’étaient pas perdus et que les trains du désir étaient faits pour rouler vers des lendemains qui chantent, et c'est aussi ce qu'espèrent aujourd'hui des dizaines de milliers de voyageurs plus ou moins "en règle" ou "clandestins" qui ont l’âge que j’avais à l’époque où je ne perdais pas mes pas. Mais eux, quand ils ne les perdent plus, leurs pas, après avoir quitté les gares, que, la plupart du temps, ils déchantent, ces jeunes, qui sont nés au bord de la même mer que moi, mais ne sont pas ouest-européens. Cruelle injustice de la naissance!

christiane a dit…

Oui, Giulio. Il faut cette gravité pour dénoncer cela. OUI.