samedi 10 mars 2012

Sahara occidental. Giulio-Enrico Pisani

Giulio-Enrico Pisani
Lux. 9 mars 2012
Sahraouis : les oubliés du désert
Triste partie, que le misérable poker menteur que jouent depuis un tiers de siècle les politiciens du Maghreb occidental secondés par leurs homologues néocoloniaux, sur le dos des peuples du Sahara occidental et sous l’oeil indifférent de l’opinion publique mondiale!  Triste partie dont cette dernière main ne sera qu’une gesticulation de plus!  Le Centre d’Actualité de l’ONU informe en effet dans son communiqué du 24 février, que la prochaine session de pourparlers informels sur le Sahara occidental entre le Maroc et le Front Polisario aura lieu du 11 au 13 mars 2012 à Greentree, près de New York, à l'invitation de l'Envoyé personnel du Secrétaire général de l'ONU pour le Sahara occidental, Christopher Ross.  Informels, bien sûr, et, de plus, sempiternels, menés depuis 2007 sous l’égide de l’ONU et confirmant une détresse humaine qui dure depuis 1976!  En fait, on ne les compte même plus, ces discours, entretiens, négociations, palabres sans fin, et ce sera, une fois de plus, autant en emporte le vent... du Sahara, comme d’habitude.[1]  Trois jours de plus, où d’innombrables malheureux verront l’aridité des bavardages concurrencer l’aridité des sables!  Comment espérer que quoi que ce soit y pousse?
Ah, la belle affaire, que cet intérêt international affecté pour une tragédie dont tout le monde, ou presque, se contrefiche!  Mais qui sont-ils, ces habitants du Sahara occidental, ces Sahraouis, ces oubliés du désert coincés entre la Mauritanie, le Maroc et un petit bout d’Algérie?  Historiquement, l’heure de gloire, leurs ancêtres berbères l’ont connue il y a un peu moins de mille ans, leur première flamboyance durera un siècle et leur empire (dit des Almoravides) s’étendra sur un tiers du nord-ouest africain et sur deux tiers de la péninsule ibérique (Al-Andalous).  Ils furent remplacés par les Almohades (autre dynastie berbère) en 1147, qui domineront encore le Maghreb durant un peu plus d’un siècle, mais perdront l’Ibérie occidentale.  Ils seront évincés à leur tour par les Mérinides, chassés deux bons siècles plus tard par la Reconquista hispano-portugaise qui profitera de leur faiblesse pour contourner le dernier royaume musulman (Nasrides) de Grenade.  La suite de l’histoire des peuples du Sahara occidental et du Maroc devient dès lors trop complexe pour que je m’y arrête dans ce cadre.  La période des conquêtes, guerres et dominations coloniales du 15e  au 20e siècle ne simplifiera pas la donne, ni d’ailleurs une décolonisation effectuée bon gré mal gré et à peu près n’importe comment par les Espagnols et les Français.
Aujourd’hui, le Sahara occidental est un territoire de 266 000 km² du nord-ouest de l'Afrique, bordé par l’Atlantique à l’ouest, le Maroc au nord, l'Algérie au nord-est et la Mauritanie au sud et à l'est.  Territoire non autonome selon l'ONU, cette ancienne colonie espagnole n'a toujours pas trouvé de statut définitif sur le plan juridique, plus de trente-cinq ans après le départ des Espagnols en 1976. Le Sahara occidental est depuis lors en proie à un conflit opposant le Maroc, qui en revendique la souveraineté, et les indépendantistes sahraouis du Front Polisario.[2]  Proclamé par ces derniers République arabe sahraouie démocratique (R.A.S.), le Sahara occidental n’est reconnu que par l’Union africaine (globalement), mais dont seul dix pays le considèrent comme nation à part entière.  Sans existence légale ou juridique internationale, ce pays est devenu une véritable table de poker menteur où s’étale la rivalité entre le Maroc, la Mauritanie et l'Algérie, qui prétend officiellement n’y voir aucun intérêt, d’aucuns murmurant toutefois qu’une fenêtre sur l’Atlantique lui serait très utile.
Mais ce conflit oublié depuis que le Front Polisario a mis une sourdine à ses offensives militaires dans l’espoir d’une solution négociée sous l’égide de l’ONU, ne fait plus depuis belle lurette la une des médias, qui préfèrent couvrir le sang qui coule et les bombes qui tuent.  Pourtant, des centaines de milliers de réfugiés vivent au milieu de nulle part la faim, la soif et les maladies (ou en meurent) dans des camps sous perfusion onusienne et d’une cachectique économie de subsistance.  L’écrivaine Anne Calife, pleinement engagée dans la tragédie de ces gens, met en garde: «C’est certain, la révolte commence à gronder sérieusement du côté des jeunes. Si rien ne se passe d’ici quelques mois, les jeunes qui en ont assez de cette résistance non violente, paraissent prêts à reprendre les armes...».  Veut-on vraiment qu’ils finissent par se tourner vers l’AQMI, dont l’existence n’est de toute façon que la conséquence directe du nombre insensé d’impairs commis par les anciennes puissances coloniales et leurs carpettes locales?
Selon le directeur de recherche en géopolitique à EUROMED, Yahia H. Zoubir, «... ce «conflit oublié» ou «conflit gelé», (qui) dure depuis 35 ans (...) a eu d’importantes incidences négatives. L’Union du Maghreb Arabe (UMA), inaugurée en grande pompe en février 1989, est en hibernation depuis 1996 (...) à cause de ce conflit. Celui-ci a envenimé les relations entre l’Algérie, principal soutien des Sahraouis pour leur droit à l’autodétermination, et le Maroc, qui réclame le territoire qu’il occupe depuis 1975. (...) le conflit sahraoui a un impact considérable sur le développement de la région. En effet, l’absence d’une intégration régionale pèse lourdement sur la balance: le commerce entre les États maghrébins représente à peine 1,3% de leurs échanges extérieurs, un des taux régionaux les plus bas du globe. De plus, la frontière terrestre algéro-marocaine est fermée depuis août 1994, affectant gravement la vie économique de la ville d’Oujda, qui dépendait énormément du commerce et du tourisme algériens. Le Maroc a appelé plusieurs fois les autorités algériennes à rouvrir cette frontière, mais Alger conditionne cette réouverture à un accord d’ensemble, qui inclurait le règlement du conflit sahraoui...»
Entre-temps la situation des réfugiés devient de plus en plus dramatique.  Selon les autorités marocaines, les populations sahraouies seraient utilisées comme moyen de marchandage (aides ONG détournées, esclavagisme dans les camps), auraient une liberté de mouvement quasi nulle irait de pair avec le détournement de l'aide humanitaire.  De son côté, le Polisario appelle au droit d'autodétermination des Sahraouis et à le légitimer par référendum.  Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y a urgence, et pourtant, autant les parties directement concernées, que la communauté internationale, agissent (en fait, n’agissent pas) comme si les souffrances et la misère, tant physique que morale des Sahraouis n’était qu’anecdotique.  N’importe quel mariage princier européen, ou frasque sexuelle d’un dirigeant politique, émeut et occupe davantage l’opinion internationale et la presse dominante que ce scandale humanitaire durant depuis plus d’un tiers de siècle.
En effet, depuis 1975, rien que les camp de réfugiés situés sur la commune algérienne de Tindouf (terre revendiquée par le Maroc), située à l’angle des frontières algériennes, mauritaniennes, sahraouies et marocaines, accueillerait au moins 160.000 personnes.  De nombreuses communautés sahraouies auraient également trouvé asile en Espagne, aux Îles Canaries, en Mauritanie et à Cuba.  Certes, diront d’aucuns, ce drame humanitaire ne fait que s’ajouter aux nombreuses misères et injustices du monde comme celles que subissent les peuples de Palestine, de la Corne d’Afrique, du Kurdistan, du Cachemire et de tant d’autres régions, dont l’histoire semble avoir oublié l’histoire.  Un scandale!  Un de plus.  Et alors, amis lecteurs, qui cela empêchera-t-il de dormir... à part ces Berbères qui, refoulés dans le désert, ou asservis, exploités, privés de droit par les Romains, les Arabes, les Vandales, les Portugais, les Espagnols, les Français, ainsi que par leurs propres frères marocains, algériens et j’en passe?  Mais ne vous faites surtout pas de mouron, amis lecteurs; on finira bien par ne pas trouver une solution, surtout grâce aux Français, aux Espagnols et aux États-uniens, qui trouvent toujours quelque moyen de se mêler de ce qui ne les regarde pas...


[1]  Sources principales : Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Sahara_occidental; Centre d’Actualité de l’ONU; Yahia H. Zoubir, professeur en études internationales et management international, et directeur de recherche en géopolitique à EUROMED: Enjeux régionaux et internationaux du conflit du Sahara Occidental.
[2]  Front Polisario : abréviation de Front Populaire de Libération de Saguía el Hamra et Río de Oro