Le journal Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek auquel j'ai le plaisir de collaborer a publié ce texte que j'ai consacré au romancier Amir Tagelsir :
Amir Tagelsir : un romancier soudanais.
On sait très peu de choses de la culture millénaire du Soudan et encore moins de la richesse actuelle de sa littérature. Ce pays a donné aux lettres arabes un de ses plus grands romanciers Tayeb Salah auteur du Migrateur, le livre fétiche des intellectuels arabes. Il a vu naître un de ses poètes les plus confirmés Mohamed Feytouri. Et aujourd’hui, il nous offre un autre romancier Amir Tajelsir que le lectorat francophone découvre grâce au Parfum français. C’est un roman dont il a été peu question en France et qui mérite pourtant d’être lu. Est-ce la faute de l’éditeur ou celle de la critique ? Difficile de se prononcer. Regrettons tout de même que ce roman publié en 2010 chez l’Harmattan dans une excellente traduction de Xavier Luffin n’ait pas remporté le succès qu’il mérite. Luffin enseigne la langue et la littérature arabes à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) et il est auteur de nombreux travaux portant sur l’Afrique et le monde arabe. Nous savons qu’il est en train de traduire un autre roman du même Tagelsir, ce romancier largement reconnu dans le monde arabe.
Dans ce roman, Tagelsir relate les mésaventures d’Ali Jarjar qui vit au quartier de Gharib dans une ville soudanaise aux allures de village misérable. Toujours à l’affût des nouvelles qu’il lui arrive souvent d’amplifier ou qu’il transforme à sa guise, Ali apprend qu’une Française, Katia, s’apprête à venir vivre dans le quartier afin de mener une étude sur le pays. On ne saura rien de l’objet de cette étude mais le quartier s’affaire comme emporté par une frénésie générale et cela donne parfois des situations cocasses. Chez les auteurs soudanais, l’écrit semble être le relai d’une culture orale. On trouve chez Tagelsir ainsi que chez d’autres romanciers soudanais comme Tayeb Salah, l’écho d’une grande tradition orale qui apparente le roman au conte, sait y insérer des poèmes. Il en résulte un effet heureux. Il y a dans ce roman un bonheur d’écriture qui semble défier la pauvreté chez cet auteur qui a toujours pris le parti des petites gens, ceux que la vie n’a pas gâtés et qui n’en continuent pas moins à aimer la vie qui ici se présente sous les traits d’une belle femme venue de loin.
Le quartier veut apparaître sous le meilleur jour et il se prépare à faire le meilleur accueil possible à Katia. Tout se passe comme si la ville se mettait à se voir dans le miroir de l’étrangère, celle-là même qui ne viendra jamais. Tel Godot ou plutôt l’arlésienne, Katia demeure l’absente. Pourtant Ali réussit, grâce à Internet, à en savoir plus long sur cette femme et il tombe amoureux d’elle. Cette situation est sans doute moins loufoque qu’il n’y paraît. On y voit l’homme épris de l’autre, de celle/celui qui n’est pas. Peut-être aimons-nous toujours un(e) autre, si autre qu’il ou elle n’est pas.
Ali évolue au milieu de personnages qui disent le Soudan actuel. C’est le commerçant qui se rend en Chine et qui rappelle la place de plus en plus grande que prend ce pays en Afrique. C’est le copte qui ne rêve que d’émigrer représentant de la sorte une communauté qui maintenant a du mal à s’intégrer chez elle avec la montée de l’intolérance. C’est la servante éthiopienne si pauvre et dont la présence dit qu’on a toujours plus misérable que soi. C’est en somme une galerie de portraits permettant de voir ce qu’est l’Afrique aujourd’hui et les maux dont elle souffre : la corruption, la dictature, l’intolérance religieuse. On sera surtout sensible au fait qu’il s’agit d’un même phénomène : la misère du monde à laquelle l’on ne peut opposer que la rêverie. Ici, cette rêverie a pour nom Katia.
Le message de ce roman nous semble salutaire car, dans notre monde où la xénophobie est de plus en plus générale, il insinue que le salut vient de l’autre, que le paradis c’est les autres.
Amir Tagelsir : Le Parfum français, 145 pages. L’Harmattan. 2010
Jalel El Gharbi
On sait très peu de choses de la culture millénaire du Soudan et encore moins de la richesse actuelle de sa littérature. Ce pays a donné aux lettres arabes un de ses plus grands romanciers Tayeb Salah auteur du Migrateur, le livre fétiche des intellectuels arabes. Il a vu naître un de ses poètes les plus confirmés Mohamed Feytouri. Et aujourd’hui, il nous offre un autre romancier Amir Tajelsir que le lectorat francophone découvre grâce au Parfum français. C’est un roman dont il a été peu question en France et qui mérite pourtant d’être lu. Est-ce la faute de l’éditeur ou celle de la critique ? Difficile de se prononcer. Regrettons tout de même que ce roman publié en 2010 chez l’Harmattan dans une excellente traduction de Xavier Luffin n’ait pas remporté le succès qu’il mérite. Luffin enseigne la langue et la littérature arabes à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) et il est auteur de nombreux travaux portant sur l’Afrique et le monde arabe. Nous savons qu’il est en train de traduire un autre roman du même Tagelsir, ce romancier largement reconnu dans le monde arabe.
Dans ce roman, Tagelsir relate les mésaventures d’Ali Jarjar qui vit au quartier de Gharib dans une ville soudanaise aux allures de village misérable. Toujours à l’affût des nouvelles qu’il lui arrive souvent d’amplifier ou qu’il transforme à sa guise, Ali apprend qu’une Française, Katia, s’apprête à venir vivre dans le quartier afin de mener une étude sur le pays. On ne saura rien de l’objet de cette étude mais le quartier s’affaire comme emporté par une frénésie générale et cela donne parfois des situations cocasses. Chez les auteurs soudanais, l’écrit semble être le relai d’une culture orale. On trouve chez Tagelsir ainsi que chez d’autres romanciers soudanais comme Tayeb Salah, l’écho d’une grande tradition orale qui apparente le roman au conte, sait y insérer des poèmes. Il en résulte un effet heureux. Il y a dans ce roman un bonheur d’écriture qui semble défier la pauvreté chez cet auteur qui a toujours pris le parti des petites gens, ceux que la vie n’a pas gâtés et qui n’en continuent pas moins à aimer la vie qui ici se présente sous les traits d’une belle femme venue de loin.
Le quartier veut apparaître sous le meilleur jour et il se prépare à faire le meilleur accueil possible à Katia. Tout se passe comme si la ville se mettait à se voir dans le miroir de l’étrangère, celle-là même qui ne viendra jamais. Tel Godot ou plutôt l’arlésienne, Katia demeure l’absente. Pourtant Ali réussit, grâce à Internet, à en savoir plus long sur cette femme et il tombe amoureux d’elle. Cette situation est sans doute moins loufoque qu’il n’y paraît. On y voit l’homme épris de l’autre, de celle/celui qui n’est pas. Peut-être aimons-nous toujours un(e) autre, si autre qu’il ou elle n’est pas.
Ali évolue au milieu de personnages qui disent le Soudan actuel. C’est le commerçant qui se rend en Chine et qui rappelle la place de plus en plus grande que prend ce pays en Afrique. C’est le copte qui ne rêve que d’émigrer représentant de la sorte une communauté qui maintenant a du mal à s’intégrer chez elle avec la montée de l’intolérance. C’est la servante éthiopienne si pauvre et dont la présence dit qu’on a toujours plus misérable que soi. C’est en somme une galerie de portraits permettant de voir ce qu’est l’Afrique aujourd’hui et les maux dont elle souffre : la corruption, la dictature, l’intolérance religieuse. On sera surtout sensible au fait qu’il s’agit d’un même phénomène : la misère du monde à laquelle l’on ne peut opposer que la rêverie. Ici, cette rêverie a pour nom Katia.
Le message de ce roman nous semble salutaire car, dans notre monde où la xénophobie est de plus en plus générale, il insinue que le salut vient de l’autre, que le paradis c’est les autres.
Amir Tagelsir : Le Parfum français, 145 pages. L’Harmattan. 2010
Jalel El Gharbi
5 commentaires:
Bonjour Jalel,
je ne suis pas chez moi et vous lis donc irrégulièrement. Votre note de lecture donne envie de lire ce beau roman.
Je vais vous faire un cadeau. Je lis un livre qui me passionne : "Justine" de Lawrence Durrell. Et là, j'avais noté un passage qui est en lien avec une question que vous posez. Je la copie en espérant que le réseau - fragile ici- tienne ! Je vous envoie déjà ce petit bout !
Voilà, c'est là :(80)
"Il est vain, écrit-elle, d'imaginer que l'on puisse tomber amoureux sous l'effet d'une correspondance d'esprit, de pensées ; c'est l'embrasement simultané de deux âmes qui s'épanouissent individuellement. Et la sensation qu'elles éprouvent est celle d'une explosion silencieuse à l'intérieur de chacune d'elles. Autour de cet évènement, ébloui et préoccupé, l'amoureux ou l'amoureuse continue à vivre en examinant sa propre expérience; sa gratitude seule crée chez elle l'illusion qu'elle communique avec son ami, mais cela est faux car il ne lui a rien donné. L'objet aimé est simplement celui qui a vécu une expérience semblable au même moment, narcissiquement ; et le désir d'être auprès de l'objet bien-aimé est dû en premier lieu non pas à l'idée de le posséder, mais simplement de laisser deux expériences se comparer, comme des images dans des miroirs différents. Tout cela peut précéder le premier regard, le premier baiser ou le premier attouchement ; précéder l'ambition, l'orgueil ou l'envie ; précéder les premières déclarations qui marquent le tournant, car à partir de là l'amour dégénère en habitude, en possession, et plus tard, de nouveau, en solitude."
@ Bonjour chère Chrisitiane,
Superbe ! à méditer
Amicalement
rien à voir, mais ça m'a rappelé une image du soudan vue d'occident, un petit air sympa d'alain souchon^^:
http://www.youtube.com/watch?v=jBIWL9S32QQ
Je sais bien que, rue d'Belleville,
Rien n'est fait pour moi,
Mais je suis dans une belle ville :
C'est déjà ça.
Si loin de mes antilopes,
Je marche tout bas.
Marcher dans une ville d'Europe,
C'est déjà ça.
Oh, oh, oh, et je rêve
Que Soudan, mon pays, soudain, se soulève...
Oh, oh,
Rêver, c'est déjà ça, c'est déjà ça.
Y a un sac de plastique vert
Au bout de mon bras.
Dans mon sac vert, il y a de l'air :
C'est déjà ça.
Quand je danse en marchant
Dans ces djellabas,
Ça fait sourire les passants :
C'est déjà ça.
Oh, oh, oh, et je rêve
Que Soudan, mon pays, soudain, se soulève...
Oh, oh,
Rêver, c'est déjà ça, c'est déjà ça,
C'est déjà ça, déjà ça.
Déjà...
Pour vouloir la belle musique,
Soudan, mon Soudan,
Pour un air démocratique,
On t'casse les dents.
Pour vouloir le monde parlé,
Soudan, mon Soudan,
Celui d'la parole échangée,
On t'casse les dents.
Oh, oh, oh, et je rêve
Que Soudan, mon pays, soudain, se soulève...
Oh, oh,
Rêver, c'est déjà ça, c'est déjà ça.
Je suis assis rue d'Belleville
Au milieu d'une foule,
Et là, le temps, hémophile,
Coule.
Oh, oh, oh, et je rêve
Que Soudan, mon pays, soudain, se soulève...
Oh, oh,
Rêver, c'est déjà ça, c'est déjà ça.
Oh, oh, oh, et je rêve
Que soudain, mon pays, Soudan se soulève...
Oh, oh,
Rêver, c'est déjà ça, c'est déjà ça.
C'est... dé... jà... ça.
Merci cher GMC
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