jeudi 18 décembre 2008

Confession d’un personnage


Pour Jean-Louis Kuffer.

Skrzydla Nad Transylwania (Ailes au-dessus de la Transylvanie) est un ouvrage de Marta Cywinska écrit en polonais. Je ne l’ai jamais lu et pourtant il tient une place particulière dans ma bibliothèque et dans ma bibliothèque imaginaire. J’ai même un lien organique avec ce roman. Il a été publié en 2005. Quelques mois après sa parution, les hasards des rencontres universitaires ont fait que je me suis trouvé en Transylvanie que j’ai parcourue dans tous les sens. Et j’avais l’impression, sous l’épaisseur des ombres des grands arbres, d’être dans ce roman dont je ne puis lire que quelques mots, voire un seul.
J’ai un lien organique avec le héros du roman, pourtant je ne suis pas triste à sa tristesse, son intelligence n’est pas la mienne, quand il rit, je ne suis pas gai et je ne jouis pas de sa jouissance quand il embrasse je ne sais quel personnage féminin.
Pourtant, ce personnage, je l’ai inspiré et il porte mon nom.
Plus d’une fois j’ai pensé à lui, lorsque le désir risquait de me mener trop loin.
Par exemple : j’ai pensé à lui sur la côte amalfitaine, jadis parcourue par tant d’écrivains et superbement décrite par Gide. Je ne voyais par le paysage mais le sublime visage de l’assistante de mon collègue italien. Il aurait eu plus d’audace que moi.
Ou alors, devant l’image de Constance. Il aurait eu plus d’audace que moi.
Il pourrait, lui, voler jusqu’à Montréal ou jusqu’en Chine. Il fait mieux que moi son beurre et sa bière, son pain et son poème, son vin et sa vie. Lui qui a su aller là je n’ai jamais mis les pieds.
En Transylvanie, il a déployé ses ailes mieux que je ne l’ai fait.


Marta Cywinska

Née en Pologne, elle évoque souvent ses origines tatares du côté maternel, poétesse polonaise francophone , élevée dans le culte de la littérature française, prosateur, traductrice de littérature francophone, essayiste, critique littéraire, auteur de 8 livres : 6 recueils de poésie (dont un écrit en français), deux romans. Elle a publié de nombreux articles ( notamment sur la poésie, l'histoire des relations franco-polonaises, l'anthropologie de la culture), chargée de cours de littérature française et francophone ; elle est fascinée par le surréalisme 'en pratique', la culture arabe, la littérature de l'Afrique noire, par les liens entre la littérature contemporaine et l'anthropologie de la culture, le Moyen Age et l'influence de la culture celtique sur la littérature européenne, par l'art de la traduction de la poésie onirique, par les interférences culturelles et l'histoire des allégories et des symboles. Ses premières publications datent de 1984, a publié dans des revues littéraires polonaises et internationales ( entre autres en France, au Canada, en Belgique, en Suisse, en Italie, en Roumanie et au Maroc), auteur d'expositions - 'accessoires' poèmes inspirés par la culture celtique, metteur en scène 'occasionnel' de quelques pièces de théâtre montées par ... quelques théâtres

Marta Cywinska

Sylvia, ma sœur

Toutes les deux, nous étions enfermées

—dans le bracelet d'une princesse défunte

qu'aucun Egyptien ne saurait graver

sur le front d'une femme-cercueil

Des milliers d'années lumineuses

fuyant du toucher d'une allumette

Les lèvres de Sylvia Plath se cavent

au-dessous d'un nouveau magma

Saute, me dit-elle, saute d'un roseau

même son dernier étage n'est

qu'une boîte aux lettres

jamais envoyées

25 commentaires:

christiane a dit…

Quand un poète rencontre un autre poète...
Marta écrit : "Ma grand-mère... tantôt me lisait des contes de fées copiés de livres que quelqu'un avait déjà brûlés pour cuire un demi-loup chassé dans la toundra sibérienne, tantôt elle me récitait des poèmes surréalistes en français...
Tous mes jardins médiévaux furent brûlés par le soleil du désert. Qu'il brlle encore...dans la fatamorgane de quelques grains de sables cachés sous le coussin de mon lit d'enfant...."
Il fallait bien que ces deux poètes se rencontrent grâce aux ailes d'un livre.
Dans sa revue littéraire "Le chasseur abstrait" (lechasseurabstrait.com), elle parle des traducteurs...
Jalel, cela devrait vous intéresser et vous faire sourire, vous ou votre "personnage"... qui, là, peut moins que vous ensorceler la dame !
Elle écrit, d'eux, (donc de vous) :
"Traduire pour aimer
aimer pour traduire.
Les traducteurs sont d'éternels amoureux. Ils donnent rendez-vous aux mots avec des images... Ils soupirent d'avoir trop avoué en peu de mots... Les amoureux sont d'éternels traducteurs. Ils viennent après pour être avant... Pétales de roses, princes charmants, déclarations à l'aube et au crépuscule... Les traducteurs sont toujours mes chevaliers; ils ont toujours ma confiance..."
Elle écrit aussi sur le très beau site de Babelmed ("bab : la porte , en arabe, ouverture sur l'ailleurs...)dont le siège est à Rome, site des cultures méditerranéennes.
Alors, je ne m'étonne pas de votre rêverie de beau chevalier qui emporte vos mots au-delà de l'absence, au pays des anges...

Anonyme a dit…

CARAVANE DE PLAISIRS

L'audace vient
A l'instant précis
Du laisser faire

Chargée de toutes les épices
Et toutes les ivresses
Que le monde connaît

Elle chasse de son pied agile
Le gibier est soyeux
L'appétit rassasié

Puis l'audace montre
Les torrents d'inanité
La saveur nulle

Elle se retourne alors
Et tu la suis

Peu importe où

Lucie a dit…

Christiane: magnifiques, ces passages sur les traducteurs amoureux. Comme le dit le titre d'un livre de Jacques Poulin, « La traduction est une histoire d'amour. » C'est exactement de cette façon que je perçois la traduction.

gmc: superbes ces premiers vers « L'audace vient / à l'instant précis / du laisser faire ». En musique, le « lâcher prise » est quelque chose que je cultive sur une base quasi quotidienne. Vertige et délivrance à la fois.

Jalel: quelle chance vous avez d'être un personnage... mais vous savez combien je préfère les incarnations.

Unknown a dit…

CHERS (IN)CONNUS EN POESIE,
Je tiens a vous remercier de vos commentaires qui ne sont qu'une presence approfondie du Beau et du Subtil.Que l'attente permette de DEVOILER la suite...
Marta Cywinska


Deuxième Nudité



Défense de caresser mes cheveux aveugles

de ne t’avoir jamais vu immobile

Des portes de ma taille nue

ne s’ouvrent qu’à force

de les fermer

même si tes mains en amnésie

se perdent dans le clarain

de mes cheveux allongés

par les tiges des roses de Jéricho

pour cacher le tressaillement

de tes mains

sur la porte de mon dos

jouant du violon

à deux chambranles

de la rencontre impossible

les lèvres enflées et froides

(moins vingt

au nord-est de la Pologne)

assaillissent la porte capricieuse

des quatre heures

passées ensemble

sur la lune qui s’éloigne

de nos deux continents

derrière la porte

d’une chambre de toucher

sans plafond ni parquet

et voici ta bouche

que je cherche à tâtons

en pleine lumière



Quand tu me caresses

toutes les portes

disparaissent dans le mur

et la lune revient

Anonyme a dit…

ô, Marta, vous êtes passée, si silencieusement et vous avez laissé ce rêve de baiser et de mains tâtonnantes... Comme c'est beau et mystérieux.
Une lune de neige vient fondre sa douceur sur les lèvres des mots endormis par la nuit.
Au matin, une rose de noël...pour vous.
Christiane

Unknown a dit…

MARTA CYWINSKA
Femme-mandragora

Je ne suis plus poète
Je ne suis plus professeur
Mes jambes se vissent
dans la terre débonnaire
en clouant mes délits
les pieds aux fractures
d'une bombe peu éclatée
sur un lit de champs
de champs de bataille
secouée par les seins
d'une femme-mandragora
qui ne laisse plus déshabiller
une poupée dedentellée
avec une carie dans la mémoire
et chaque denticule de son dessus
brillé au soleil privé d'un Dracula
je suis ma mini-jupe du haut
des genoux-crânes délaissés
dans une forêt impossible
ils se sont débraillés – ouste!
Les jours se succédant de mes
Révolutions franco-polonaises
et ma colonne vértebrale -digne!
Digne! n'est plus qu'un échafaud
et je n'ai plus de fesses en plastique
le jeu des boules appelé
„ne—touche-plus-mes-hémisphères”
Voici les fesses qui se séparent en deux
en deux femmes-mandragoras:
suite d'un baiser éléctronégatif...

Anonyme a dit…

Marta se moque,
Marta rit,
Marta sautille comme
l'oiseau
neiges insolentes.
Boule et roule,
froids et ronds
les monts Janicule de
son encre véloce.
Prendre ses mots
et les pétrir
en faire deux
pains ronds
au coeur de son délit-re
de dentelles et
faldabas
devêtir la poupée
mandragore
de son cor
selet.

Anonyme a dit…

GAELIQUE EMOUVANCE

Les gibets poussent
Sous la lune de Montfaucon
Où les belles dames dansent
Un mascara luisant
Sur leurs paupières

Des danses au parfum de gentiane
Des glycines autour du poignet
Sur les charmilles insouciantes
Qui bordent les faubourgs
Où surgissent gaiement
Les cavaliers de Sleepy hollow

Deux femmes pour un homme
Ou deux femmes solitaires
Un étrange cortège
Sur les glacis du temps

Est-il encore des jours de claymore
Sur les terres hautes
Des confins du glen
Emeraudes dans le trèfle
Rubis sur la piste de dés
Un lapis en parure
Sur le front des diadèmes

Anonyme a dit…

Quand Jalel rentrera de la Fac , ce soir, il sera bien surpris !!!

Anonyme a dit…

Il ne manquait plus que vous gmc dans cette fantasmagorie !!!

Unknown a dit…

MARTA CYWINSKA (toujours prise par CETTE FANTASMAGORIE...)



CV d'antan


J'étais une balle
trouée lors d'un tremblement
de bras découpé
masque contre masque
d'un public multiplié
par cinq milliards des remords
dédoublés quel faux-pas
un baiser de deux galactiques
rejetés contre un mur
sans fenêtres ni portes
mouvant autour d'une vase
audacieusement antique
aux corps prudemment nus
de peur de ne pas frôler
une femme incinerée
par une fausse promesse
d'une homme-ciseaux
qui lui coupa les mains
un annneau se porte tout seul
sur un brin calciné de promesse
le long d'un corps traîné
du Nord au Sud d'un loup mort
me voilà une louve auveuglée
par une acuité d'un regard
si loin de ma tête si loin

Anonyme a dit…

NEVE DU VENT

La caresse se rit des distances
Flattant les hanches
Ou le téton du sein
Suivant son bon plaisir

Des fleurs jaillissent
Au milieu des cimeterres
Dans les décombres des nues
Qui peuplent les cimetières

On scalpe gaiement les abeilles
Au temps joyeux des hirondelles

Anonyme a dit…

Cinq milliards
d'étoiles
dans un ciel ouvert
plus de portes
plus de balles
ni de lames
seul l'anneau
de Saturne
enroule le temps
un brin d'herbe
bleu
vivace
tremble
dans un baiser.

Angèle Paoli a dit…

Quel est le mot, « le seul », que vous arrivez à lire, Jalel ? Transylvanie ? Ailes ? Désir ? Marta ? Pour moi, vous concernant, je vois déjà quatre mots ! Et ils se rejoignent. Les ailes du désir vous transportent dans un univers fantasmatique où la femme prend naissance dans cette petite fille romanesque qui joue du piano, entourée de ses rêves-papillons. Vous nous invitez ainsi à compléter la Chine et le Québec avec la Pologne. Vous voilà inscrit au cœur d’une trinité féminine où se rejoignent les extrêmes.

Je suis heureuse de découvrir, grâce à votre talent et à votre générosité, Marta Cywinska, poète. Et le voyage en Transylvanie, que vous avez eu l’heur de faire, est un de mes rêves les plus chers. Je vous envie d’avoir pu pénétrer ces forêts inquiétantes. Y avez-vous rencontré, dans quelque château perché sur un nid d’aigle, la Comtesse Dracul ? Je l’ai surprise, un jour, sur les ondes de France-Culture qui parlait de ses ancêtres. J’étais fascinée ! Elle avait une voix à damner les vampires les plus rebelles ! Si je vous dis que Dracula, le Dracula de Bram Stoker, est l’un de mes héros favoris et que le « prince de la nuit », peint en amoureux désirant et malheureux par Murnau, me bouleverse, vous n’en serez pas autrement surpris !

Unknown a dit…

MARTA CYWINSKA

POUR ANGELE PAOLI

Souvenir de la Moldavie

Il me retrouva morte
à trois éternités de la porche
du monastère Voronet*
je l'attendais enveloppée
dans un journal d'hier,
les infos rangés
dans l'ordre de coma
avoués par une télevision locale
Je suis une tour du clocher
du monastère Dragomirna***
bâtie sur quatre saisons
à la Toussaint chacune
Mon corps se détache lentement
des pierres pluvieuses
du monastère Neamt***
qui portera cette croix en miniature
quand
même une seule aile l'enfonce
huit pieds plus bas
dans l'emplanture d'un nécropole
en absence de Teodor Voratiul-Moraru****
les grands architectes construisent
les grandes absences


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*le monastère bâti par Etienne le Grand en 1488 en 21 jours seulement
** le monastère fondé dans les années 1606-09 par le métropolite Anastasie Crimca sur un plan en croix latine
*** le monastère Neamt fut construit sous le règne de Petru Muscat et achevé sous le règne d'Alexandre le Bon (Xve siècle)
**** un grand architectes des monastères en Moldavie et en Bucovine

Anonyme a dit…

UN TOUR SUR LA PLAGE

Quand les éclairs
Savent parler la langue
Des reflets de nuages
Leur lenteur est sans égale
Confinant à la vitesse
D'unification du givre
Qui laisse les déferlantes
Inonder de chants
Aux parfums voraces
Les plages de silicium

Anonyme a dit…

TERRIBLEMENT CLAIR

Si l'abeille devient poétesse
Elle se soumet
Pour rendre la justice

Le délire peint les référents
Avec du fluo incendiaire
Duquel sont bannies
Les absconsités du genre vrai

Les modes se conjuguent
Suivant une loi
Qui ne suit aucune règle

Jalel El Gharbi a dit…

Merci Marta, Christiane, Déborah et gmc qui traduisez le poème en essence poétique. C'est un bonheur de vous lire !
@ Angèle : Merci de votre passage. le seul mot que j'ai lu ? "Jalel".
En Transylvanie : j'ai vu le château de Dracula, la ville natale de Vlad III. Le jeune guide roumain regrettait qu'il n'ait pas bien fait son "travail" car des Turcs il y en a encore dit-il ! J'ai surtout vu la maison de Enescu, le luxe de la maison et le côté monacal de sa chambre; la richesse des tapisseries orientales, des meubles "polis par les ans", au château de Pelesh : des tableaux de Munch, toute la splendeur orientale, les monastères, la richesse des icônes... Certaines viennent de loin, de très loin. Merci

Bien à vous

michèle pambrun a dit…

Simplement saluer la dédicace à Jean-Louis Kuffer, immense écrivain de ce siècle.

Dire à Angèle Paoli qu'on partage l'attrait pour son héros favori, le Dracula de Bram Stoker et qu'on a aimé le vampire de Murnau, et aussi de Tod Browning, de Polanski et de Werner Herzog.

Anonyme a dit…

Pour Marta Cywinska,
Je reçois, ce jour, "Première Nudité". J'aime cette exploration de la passion enchâssée dans les splendides créations de de Valérie Constantin.
Je me demandais si Régis Nivelle qui signe cette splendide préface est ce "dernier troubadour" à qui vous dédiez votre oeuvre.
Votre poésie est bouleversante.
Je ne connaissais pas l'éditeur "Le chasseur abstrait". Sacrée intuition...
Merci.

Unknown a dit…

A CHRISTIANE...

Mon dernier troubadour...existera-t-il encore?J'aimer trop ....aimer trop(!) et les troubadours contemporains trop attachés au Moyen-Age pourraient m'emmener vers un gouffre.
Marta Cywinska

Jalel El Gharbi a dit…

@ Marta : SUBLIME !

Anonyme a dit…

Marta,
alors il faut lancer le trop aimer vers les étoiles et attendre l'inouï...
déjà la moisson de mots...

tilly vincent a dit…

Marta

J'ai traversé beaucoup de portes
Maintes fois j'ai espéré te voir
Ayant attendu sur un banc
La neige m'a recouverte
Elle n'a fondu qu'au printemps
Lorsque tu as décidé de paraître

Jalel El Gharbi a dit…

@ Lerebelle : Merci pour ce beau poème.