Béatrice Libert : Enfance (Encre de chine)
Passage et permanence : dans ce recueil, Béatrice Libert procède à une redéfinition de certains verbes cela va du verbe « aimer » à « zoomer » en passant par « lire ». Trente poèmes en proses pour redéfinir, pour cerner les choses. Cela insinue que le monde se prête à une réécriture permanente, que sa sémiologie est à trouver ou à refaire. A chaque poète son glossaire. Vision du monde ou weltanschauung insinuant que refaire les mots du monde, c’est reformuler, redéfinir le monde même. Et cela institue une synonymie entre bonheur et écriture du bonheur transitant par le bonheur de l’écriture.
Le deuxième volet du recueil est une somme de portraits féminins. Trente poèmes crayonnant la femme sous autant de postures, de déclinaisons, d’attitudes et surtout de modes d’être. Cela va de « Elle » à « Paix à leurs visages » en passant par « la silencieuse » ou « la résistante ». Ce sont des portraits crayonnés avec tendresse et où la dimension féministe est une des expressions des préoccupations ontologiques. Car c’est toujours la femme dans son rapport au monde, à l’être et aux questions que pose l’être au monde. Voici deux extraits de ce recueil :
Aimer
J’apprends par cœur le verbe aimer dit l’amoureuse Je le pratique avec les sources J’en souffle le feu sur la cendre pour réveiller le Temps mortellement touché J’en bassine les draps somptueux de l’enfance J’en sers de longues friches à labourer céans Il coule comme un vin de Cahors dans mes veines Y viennent boire les amants de toujours
J’apprends par cœur le verbe aimer dit l’amoureuse et le pose partout sur la beauté du monde sur vos hanches parfaites à la faille de votre cou au nid de vos aisselles Ange-baiser qui peuple de ses ailes l’envie d’une caresse et d’une légèreté.
L’amoureuse
Besoin de lui
comme d’un champ
sarclé chaque matin
Dedans mes jours
il a tout mis
le pain le sel
la levure admirable
l’épice et le jasmin
Mes mots vont dans sa bouche
caresser l’ineffable
Il lève en moi le bleu
qui n’a point de maison
Sa voix dort dans ma voix
comme une déraison
qu’effeuillerait mon âge
Et je suis sans chemin
si ne suis son voyage
Béatrice Libert : Passage et permanence. Editions Tétras Lyre
13 commentaires:
UN DOIGT D'ETINCELLE
Caresse sur un point
Dans les rotations savoureuses
D'une langue qui décrit
Des arabesques humides
Autour d'un bouton de rose
Dont les arômes montent
Jusqu'au plus profond
De l'étoile dont la pluie
Ruisselle langoureuse
Dans d'intimes convulsions
De plaisir arrogant
Epuisant de ses charmes
Les chaînes de couleurs
Qui libèrent leurs parfums
Sur la corolle des fleurs
Cela bouge si vite sur ce cher blog. Je n'ai pas le temps de passer, oublieuse, d'une chronique à l'autre... c'est la vie pleine de contradictions et de contrastes. Parfois la nuit dans mes rêves, toutes ces images, tous ces mots se mêlent et plus rien n'a de sens. Un enfant mort, du feu, des bombes, de la terreur... le marcheur immobile qui inscrit son inquiétude dans ses poèmes... un homme qui écrit quatre longs monologues où il interroge sa mémoire et la guerre...
la beauté pure et sensuelle d'une femme amoureuse, d'une femme qui porte l'espérance en son ventre et le désir dans tout son corps, c'est aujourd'hui, dans les mots offerts à notre lecture...
Et, à l'origine de toutes ces écritures, ce mystérieux poète, professeur, linguiste, citoyen du monde, révolté et pacifiste, sombre et lumineux : Jalel.
Enfin, ces lecteurs muets dont le nombre croissant s'inscrit dans le cadran. Que cherchent-ils ici ?
Et les "commentaires", liant les uns et les autres par une parole vagabonde, mouvante et fraternelle ...
La terre tourne, impassible dans un infini où se mêlent les vivants et les morts, effacement paisible d'éternité. Que restera-t-il de nous tous quand demain n'existera plus ? De l'amour et des larmes...
apparences
saturant le vide
là
dans les bouffées de silence
dans le cosmos entre les mots
dans le moindre interstice
vibre une sensation
une impression
la réminiscence à peine perceptible
d'une vanité illusoire
parfois habilement masquée
souvent purulente d'auto-complaisance
rarement
plus innocente que le rire d'une étoile naissante
gonflée de doutes
de peurs
de frustrations et d'amertume
ou soumise
abandonnée
contemplative et amoureuse
elle trace des empreintes
plus persistantes que le musc
plus indélébiles que les manipulations
plus intenses que les apparences
limpides pour le cœur
octobre 2007
Aude,
Pourquoi ce poème ? Pour qui ?
Merci, Jalel, de nous faire connaître Béatrice Libert et ce recueil "Passage et permanence".
Demain, nous courons nous procurer ces poèmes.
L'amour qui se dit invente une langue qui à son tour se fait aimante au sens littéral. Cette langue se singularise par cela même qu'elle ne cherche rien d'autre à dire que son amour et le disant se fortifie en lui.
Amitiés et merci mille fois de me faire découvrir Béatrice Libert.
Je la découvre et son poème sur l'amour est d'une extrême délicatesse. J'ai aperçu qu'elle a été influencée par Eluard ...j'ajouterai que moi aussi : il a su me libérer de la rime....
"Comme disait je crois Prévert... le général Larima
la rime à quoi, la rime à rien.
Eluard et Gala cette réciprocité entre la plume d'amour et le dessin amoureux.
Et un petit fragment manuscrit que j'ai sous les yeux et recopie"
"Dernier tourment...Dans sa cage, millette et billette et trillette, l'oiseau toute la journée mange et chante. Miroir et beauté. La terre est sous la cage. Graines en fuite : marguerite. Les heures, sans plumes, presque des ronces d'or"
C'est une telle émotion que de pouvoir voir l'écriture du poète...à l'heure ou je crois, beaucoup ont oublié le susurrement de la plume.
Réf. Ed. Pléiade "Album Eluard.
Christiane...en effet, il faut suivre les sillons, les tranchées, les monts, les vagues et j'en passe...de Jalel. Une chose est certaine c'est qu'il me surprend et met tout mon inconscient en éveil.
Pour gmc pas "mdr" mais un "mehr licht" comme dirait Goethe. :-)
tkt, sylvaine, tvb :-)
@ Michèle Pambrun, @ Amel : Merci infiniment.
@ Sylvaine : très juste. Béatrice Libert est entrée en poésie par la lecture de P. Eluard.
La couverture du livre qui vient d'apparaître est intéressante graphiquement mais me semble plus éloignée de l'univers poétique de Béatrice Libert que cette encre mousseuse comme une écume qui est offerte en incipit... indéchiffrable à votre billet.
J'aime bcp la présentation de l'oeuvre autant que les extraits.
Merci
@ Simsim : c'est moi qui vous remercie. Soyez le bienvenu
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