dimanche 27 septembre 2009

Profil d'un poète 1 Armand Robin

On a voulu faire oublier ce mutin, ce poète polyglotte, anarchiste, honni et maudit.
ARMAND ROBIN
Armand Robin naquit à Plouguernével dans les Côtes-du-Nord le 19-1-1912 huitième enfant d'une famille modeste, il fut vacher, comme tous les enfants de sa région. Ce bretonnant de naissance décida d'apprendre les langues et en maîtrisa une vingtaine dont le persan, le roumain, le hongrois, le russe, le mongol, le gallois, l'arabe... Ce révolté qui se disait révolutionnaire fit des études des plus classiques : préparation des concours de l'E.N.S, puis de l'agrégation. Il sympathise très jeune avec le P.C mais un voyage en URSS effectué en 1935 l'éloigna définitivement de la grand-messe communiste. Plus tard, il payera cher cette rupture avec les communistes et son adhésion à la Fédération anarchiste.
S'il est un poète dont il est malaisé d'écrire la biographie c'est bien lui : voilà un homme qui écrit pour défaire sa vie, pour s'y soustraire. En 1940, il publie son premier recueil Ma Vie Sans Moi titre éloquent pour un poète qui écrivait : «J'ai choisi, pour me bâtir, d'être partout détruit ». Il traduit Goethe pour la Pléiade et se fait remarquer en 1942 par un roman Le Temps Qu'il Fait «grand poème où la prose cherche le vers» selon l'expression de Maurice Blanchot. Paulhan et Supervielle saluent son inspiration lyrique. Ce texte ne pouvait que plaire à un Supervielle : on y voit des animaux qui assistent le héros dans sa quête du savoir, on y voit des chevaux qui parlent... Il est presque un écrivain confirmé. En 1944, pour vivre, il passe ses nuits à écouter la radio et publie un bulletin d'écoute qu'il ronéotype lui-même. Tiré à quelques vingtaines d'exemplaires, parfois à cinquante, ce bulletin comptait des abonnés aussi illustres que le Canard Enchaîné, le comte de Paris, l’Élysée et le Vatican. Des années qu'il passe à écouter Radio Moscou, Radio Tirana, Radio Pékin et toutes les autres radios spécialistes de démagogie, de propagande et de ce qui s'appellera plus tard la langue de bois, sortira en 1953 un essai La Fausse Parole où il est le premier à analyser les mécanismes ensorcelants du surgissement du non-langage. On ne sait pourquoi à la Libération il est considéré comme indigne. Voici sa réaction à ceux qui lui jettent l'anathème :
«Paris ma grand' Ville
Trois millions de dénonciateurs
Sous l'oppresseur
Hitlérien
Trois millions de dénonciateurs
Sous l'oppresseur
Stalinien
Trois millions de dénonciateurs
Attendent tout oppresseur,
Lettre en main.
Et trois millions d'écrivains
Applaudissent: "C'est très bien !"
En 1945, il publie un autre recueil Les Poèmes Indésirables où on peut lire des pages d'une violence à la mesure du discrédit qu'on a voulu jeter sur lui. Robin ne peut se complaire dans le rôle de la victime, il préfère sortir ses griffes « Il n'y a plus de pensée, il n'y a plus que des clairons ; il n'y a plus de poète, il n'y a plus que des Aragon ». Plus rien ne fera taire ce poète qui rêvait d'amour et se voyait embarqué dans des altercations où il n'avait rien à faire. En 1946, il fait paraître une plaquette qui porte la mention suivante :«Armand Robin, inscrit sur la liste noire des écrivains français : Poèmes de Boris Pasternak, inscrit sur la liste noire des écrivains soviétiques. Édition mise en vente au profit des militants prolétariens victimes de la bourgeoisie communiste». Suivent d'autres recueils qui s'inspirent entre autres de la poésie arabe Poésie Non Traduite I et II (Gallimard). On voit le poète à Sèvres, à Lausanne d'où il revient avec une déception amoureuse, on le voit avec son ami Brassens. Personne ne présageait pas le drame, on commençait même à penser qu'il y avait de la place pour des anarchistes qui du reste étaient des excentriques, des originaux, des anticonformistes, des poètes qui n'ont jamais posé de bombes. En 1961, la France est un pays méconnaissable, capable du pire. Robin répétait à qui voulait l'entendre "Je suis un fellagha".
On ne sait pourquoi Robin est arrêté un jour au 7ème arrondissement, on sait encore moins pourquoi il décède quelques jours après (le 31 mars 1961) à l'infirmerie du dépôt. Mort mystérieuse retiendra l'histoire littéraire. Mort mystérieuse !!
Choix bibliographique :
Ma Vie sans moi NRF poésie/ Gallimard.
Omar Khayam Rubayat traduction d’Armand Robin poésie/ Gallimard.

16 commentaires:

La petite librairie des champs a dit…

Ce fut un pionnier en matière de radio et ce n'est pas un hasard car il était poète et savait la puissance de la voix.
Il est temps effectivement de lui donenr la place qu'il mérite et avec lui, d'autres comme Henri Calet par exemple ou Jean Follain...
Sylvie D.

Jalel El Gharbi a dit…

Follain on en parle un peu plus à l'université. Non ? Mais c'est vrai qu'il y a Calet, et tant d'autres...
Amicalement

christiane a dit…

Joli regard , Jalel, sur cet homme...et sur son écriture.

Jalel El Gharbi a dit…

@ Christiane : merci de votre passage. Quelle mer écumez-vous, chère Christiane ?

giulio a dit…

Pas facile de trouver des poèmes d'Armand Robin sur le Net (quoique dans le domaine public); en voici un pourtant, tiré de ses "Poèmes indésirables" :

L'HOMME AU TRÈFLE

Pour être vous,
Pour être vous tous,
Je me suis séparé de vous tous.

Très seul, secret, sans bruit j'ai cueilli dans les landes
Un trèfle tout tremblant d'une haleine de cheval
Et c'est mon seul ami.

J'ai pris ce seul ami
Pour m'avancer jusqu'au coeur des hommes mes frères
Et ne les toucher que d'une nourrissante plante.

christiane a dit…

La mer...
Celle qui porte les personnages du "partage de midi" de Claudel, hier, au Marigny. Celle du coeur, mouvante, infinie, violente et douce. Celle du temps...
ô que j'aime ce poème, Giulio. Comme il met des mots dans l'indicible de mon âme.
Toujours en voyage, oui, même immobile...

Jalel El Gharbi a dit…

@ Giulio : il y a le site de Jean Bescond qui connaît admirablement bien la vie et l'oeuvre de ce poète. Jean Bescond a lu mon billet et y a apporté quelques rectifications; Qu'il en soit remercié.
http://armandrobin.org/

Anonyme a dit…

Enfin de nouveau quelques mots, Christiane!
Et quand ils ne seraient que la partie émergée de l'indicible. Merci!

Mais le moment n'est-il pas venu
D'appeller un autre homme, mes amis,
Poète de la pierre, du bronze et qui sut,
Comme Armand Robin, refuser le pas de l'oie:
René Iché, toutes désobédiences confondues.

www.zlv.lu/spip/spip.php?article1298

La fin du 7e § étant pour Christiane

giulio a dit…

Anonyme c'est moi, Giulio
Qu'est-ce qui ne marche pas?

christiane a dit…

J'ai lu avec attention, Giulio. Merci pour cette découverte. Mais... je n'ai rien compris à la fin du 7e...
7e quoi ?
C'est un chiffre magique mais ici bien énigmatique...
Oui, la partie émergée de l'indicible. J'aime cette façon discrète d'aller à ceux qu'on aime : une herbe...
Vous êtes toujours aussi rêveur et lucide, Giulio, anonyme par espièglerie d'internet.
(Quand sort votre livre ? je l'ai commandé mais n'ai plus de nouvelles)
Le silence ? C'est parce que je n'avais rien à dire. J'avais perdu mes mots, là-bas , sur la mer. C'était très reposant !

giulio a dit…

Chère Christiane, le signe § qui suit mon 7e signifie paragraphe.

Ses derniers mots: "l’art, traducteur et révélateur des contradictions humaines, et dans l’art la sculpture, traductrice de l’indicible, révélatrice de l’invisible (cauchemardesque ou merveilleux)", en tant que l'art est pour moi l'expression visuelle de la poésie, s'accordait trop bien votre phrase "Comme il met des mots dans l'indicible de mon âme" pour que je passe sans la voir.

Pour ce qui est du bouquin - présume "Nous sommes tous des migrants" -, je vous réponds par mail.

christiane a dit…

Merci, Giulio pour ces précisions (mail compris). Oui, l'art a cette fonction d'exprimer ce qui en nous attend germination. Nous sommes parfois comme des terres en jachère, gardant des incandescences au secret sombre de nos glaises...

Brigitte giraud a dit…

Quelques poètes ont besoin d'être réhabilités en quelque sorte, Armand Robin est un de ceux-là. Merci de nous le redonner à découvrir, la mémoire vivifiée.

Anonyme a dit…

D'abord,cher Jalel, je dois te présenter mes plates excuses pour mon esprit détourné en jugeant ton blog de lieu de masturbation littéraire...J'en sors ivre mais consciente, et, surtout,heureuse mais toujours assoiffée,signe que je reviendrai gouter aux mots. Merci de nous faire découvrir ce poète qui me rappelle Desnos! es-je vu juste? une anonyme que tu connais...

giulio a dit…

@ La petite librairie des champs!
@ Jalel

Sorry, réaction tardive (question de temps qui est du money et, comme je ne suis pas my tailor, j'ai dû dabord finir mon dernier article pocket-money avant de continuer à bloguer).

Vous citez Jean Follain, rien à redire! Mais Henri Calet me semble avoir été romancier... ou bien aurait-il aussi écrit des poèmes?

Jalel El Gharbi a dit…

@ Giulio : juste (aussi juste que my tailor is not...)
Cher Giulio, j'ai juste cité Henri Calet parce que La Petite librairie des champs l'a cité (premier commentaire)
Amicalement