vendredi 12 février 2010

Djalila Dechache: une voix foncièrement maghrébine


Père, je suis la sœur de Joseph (1)

J’ai fait une longue route
À travers le temps, père
J’ai été oubliée dans la Maison
Et la Maison n’est plus.
J’ai résisté: pour tout viatique, ton souvenir et les propos
De mon frère
Celui que j’aime contre leur gré.
Notre terre a été assiégée, massacrée, cassées nos maisons, nos rues, nos enfants, notre histoire
Ô mon frère tu as connu le loup
J’ai subi leurs ancêtres, les Banu Hilal lâchés comme des sauterelles, ils détruisaient tout sur leur passage » (2)
Ils sont méchants, méchants….
Ils ne nous aiment pas; ils ont voulu nous réduire, nous piétiner, nous écraser.
Pourquoi nous ? Qui sommes-nous ?Ils ne savent pas qui nous sommes…
Forts de notre ‘assabiya (3) nous leur avons tenu tête pendant cinquante lunes
Ils ont enrôlé avec eux leurs enfants pour faire nombre.
Ils sont insatiables butés, épris de pouvoir et de brillance
Ô vous les miens
Ô toi ma terre d’est et d’ouest, le jujubier, l’ambre gris, le musc , le benjoin, le bois d’Agar, l’oranger, le citronnier
Vous m’avez maintes fois ressuscitée ,maintes fois poussière, maintes fois mémoire.
Ils ne nous veulent pas dans la langue arabe : pourtant Père tu m’as dotée
D’un front large tel une tablette d’argile pour y graver l’alphabet de notre
Butin (4)
Ils veulent être les gardiens du temple
Ils sont pathétiques, hystériques

Père, frère, je vous ai cherchés dans la chevelure de la terre, dans ses
entrailles et dans ses plis, dans chaque recoin, dans chaque puits, dans chaque vallée

Dans chaque blessure, dans chaque viscère.
Dans les cimetières et les rivières.
J’ai interpellé sages et maîtres, pèlerins et mendiants aux joues creuses
J’ai égrené du fond de ma longue retraite le collier de nos prières communes
Inlassablement…
Partout j’ai écrit :
Nous sommes là
Nous sommes là
Et l’écho de répondre :
Vous êtes là
Vous êtes là…là…là…là.


(1) en écho au poème de Mahmoud Darwich « Père, je suis Joseph »
(2) cité par Ibn Khaldoun
(3) concept khaldounien signifiant esprit de clan
(4) en référence à Kateb Yacine qui parle de « butin » en évoquant la langue française.

5 commentaires:

giulio a dit…

Poétique beaucoup trop complexe pour un profane comme moi, cher Jalel. Je suis pourtant sûr qu'il y là plus qu'une simple complainte sur une barbarie inter-arabe ou un exercice de style.
Elle dit en effet dans une interview: "J'écris pour exprimer des idées et pas seulement pour l'esthétique. Chercher à faire une prouesse esthétique simplement pour faire une jolie forme ça n’aurait pas de sens".
Ce poème devrait en avoir plusieurs, de sens, mais lesquels ?
.

Jalel El Gharbi a dit…

@ Giulio : A mon avis, les conflits, l'adversité en question peut être lue allégoriquement : elle est l'expression du sujet qui tient le plus au coeur de tout poète : la distance. (surtout celle séparant l'être de lui-même et dont la poésie amoureuse est la meilleure expression).
La complainte porte ici sur l'absence de chemin.
Amicalement

gmc a dit…

il serait intéressant de faire figurer le texte de darwich eur le même post, question d'éclairage^^

Anonyme a dit…

"J’ai fait une longue route
À travers le temps, père
J’ai été oubliée dans la Maison
Et la Maison n’est plus."

tout est là

(pour le reste, elle s'excuse en quelque sorte, ou elle explique,ou elle raconte, peu importe en fait)

Jalel El Gharbi a dit…

J'imagine que vous connaissez le texte en question cher GMC, vous qui avez presque tout lu.
Le voici en arabe pour ceux qui peuvent le lire dans le texte.
Merci de votre suggestion
Amicalement
أنا يوسف يا أبي
محمود درويش - فلسطين


أَنا يوسفٌ يا أَبي.
يا أَبي، إخوتي لا يحبُّونني،
لا يريدونني بينهم يا أَبي.

يَعتدُون عليَّ ويرمُونني بالحصى والكلامِ
يرِيدونني أَن أَموت لكي يمدحُوني
وهم أَوصدُوا باب بيتك دوني
وهم طردوني من الحقلِ
هم سمَّمُوا عنبي يا أَبي
وهم حطَّمُوا لُعبي يا أَبي

حين مرَّ النَّسيمُ ولاعب شعرِي
غاروا وثارُوا عليَّ وثاروا عليك،
فماذا صنعتُ لهم يا أَبي?
الفراشات حطَّتْ على كتفيَّ،
ومالت عليَّ السَّنابلُ،
والطَّيْرُ حطَّتْ على راحتيَّ
فماذا فعَلْتُ أَنا يا أَبي،
ولماذا أَنا?

أَنتَ سمَّيتني يُوسُفًا،
وهُمُو أَوقعُونيَ في الجُبِّ، واتَّهموا الذِّئب;
والذِّئبُ أَرحمُ من إخوتي..
أبتي! هل جنَيْتُ على أَحد عندما قُلْتُ إنِّي:
رأَيتُ أَحدَ عشرَ كوكبًا، والشَّمس والقمرَ، رأيتُهُم لي ساجدين؟