L’incontournable peinture dans Chaosmos de Michel Collot
Chaosmos est d’abord le recueil des choses pactisant avec leur négation. Il ne s’agit pas pour le poète d’apparier des réalités dichotomiques mais de transcender ces dichotomies dans une perspective que je qualifierais de moniste, une perspective qui verrait dans le flux et le reflux, dans l’affirmation et la négation un même mouvement. Chaosmos est le recueil de l’osmose entre le chaos et le monde ; entre la forme et sa destruction. Pourtant, la figure qui rendrait le mieux compte de l’œuvre de Michel Collot, n’est pas le zeugme et encore moins l’oxymore sans doute parce que dans cet univers poétique, les dichotomies ne sont pas ressenties comme telles. Comme dans l’œuvre de Caspar David Frederich, on voit ici cette parenté, cette contiguïté entre cime et abîme : « l’espace de la passion n’a rien d’un paysage. Tout entier vertical, dépourvu d’horizon, fracture, il est l’abîme et simultanément la cime, où culmine, en un surplomb brutal, le visage de l’autre. »
L’expression lexicale de cette parenté serait la fréquence du recours aux affixes privatifs « dé », « dis » dans les paires du type joint/disjoint ; nouer/dénouer ; faire/défaire ; apparaître/disparaître… Si de tels antonymes sont fréquents dans l’œuvre, c’est sans doute parce que la forme négative conserve en elle-même sa négation, l’affirmation. Tout semble indiquer que chez Michel Collot les dichotomies doivent demeurer irrésolues. Par exemple, faire / défaire ne sont pas des antonymes, mais deux corollaires. Tout ce qui se fait se défait ; dit autrement cela donnerait des truismes comme : vivre, c’est aussi mourir. Le phénomène – tout phénomène - est toujours pris dans le battement apparition / disparition dans une perspective qui insinue que l’être et le néant sont les deux volets d’une même réalité. C’est ce que suggère le poème « Sounion », poème soucieux d’établir un « trait d’union entre terre et ciel, équilibre entre élan et forme, vide et plein ». La suite du poème ne fait que corroborer ce souci. Au mot-valise du titre, le recueil cherche à faire correspondre une réalité-valise.
Le poète se maintient dans ce point qui est à la fois paroxysme, oxymore et paradoxe. Tout cela que Michel Deguy proposait d’appeler « paradoxymore » c’est-à-dire le paradoxe de l’oxymore inscrit dans l’unité et dans la durée que semble lui conférer le mot-valise. Il faut que l’acmé soit bien plus qu’un frêle instant dans la prise de parole ; il faut que la cime ne soit pas que le prélude du précipice. En un mot, il convient que l’éphémère perdure et que le néant soit habitable.
On est en droit de s’interroger sur la nature de ce principe qui fait que tout se mue en sa négation. Métamorphose dont on voit le résultat dans maintes occurrences. C’est « le bâtisseur [qui] convertit la force en douceur » ou : « le silence [qui] s’arrondit en milliers d’échos ». La réponse est susurrée par le poème de la page 88 : « Matière, lumière, que tout oppose : les unir, en s’enfonçant dans l’épaisseur pour en exprimer une clarté nouvelle, qui ne relève plus de l’idéalité, mais sourdement émane du plus obscur de l’être : des tâtonnements aveugles du geste, de la nuit de la chair, du cœur dense et ténébreux de la substance ». La suite du texte évoque l’expérience picturale comme puisant dans la contradiction. Voici le travail du peintre résumé par Collot : « Animer et différencier la matière pour l’arracher à l’inertie, la disposer à rayonner. Rendre visible la lumière, en la privant de sa transparence, pour lui donner une consistance ».
L’œuvre de Michel Collot semble vouloir signifier la synonymie des antonymes. Pour cela, le poète semble procéder à une relecture du monde, beaucoup plus à la manière de Jules Supervielle qu’à celle de Victor Hugo. Je pense à Supervielle surtout pour la place qu’occupent les nuages chez les deux poètes. Chez Michel Collot, les nuages sont une jonction entre dynamique et statique : « un nuage immobile s’étire, change insensiblement de forme. Les cimes dardent leurs glaciers, irradiés de lumière, crevassés d’ombres violentes. L’immuable et l’éphémère, le tendre et le cruel un instant s’équilibrent. Boucliers suspendus dans la paix de l’azur ». Il semble le mouvement qui remporte le plus l’adhésion du poète soit celui qui relève d’un changement de point de vue du sujet que d’un déplacement de l’objet observé. Dit autrement, il semble que le mouvement par excellence soit dans l’évolution de notre perception. Cela fait penser à l’anamorphose. Le monde est une anamorphose. Il y a partout un crâne caché, l’ombre de la mort. « Les Ambassadeurs » de Holbein représente bien plus que le portait de deux ambassadeurs ; c’est l’image du monde, son paysage.
La peinture est tout à la fois la clé et l’énigme de l’œuvre de Michel Collot tant il est difficile de savoir si, décrivant un spectacle- le poète évoque un paysage ou une représentation du paysage. Il serait trop facile d’attribuer cela au goût du poète pour le pictural et à sa prédilection pour l’image.
Michel Collot aime à diffracter les images, à créer des échos, à multiplier les reflets. Dans cette entreprise, le pictural est le meilleur biais par lequel se dit le poétique. On peut même avancer que tout concourt ici à suggérer l’idée que le pictural est une image du poétique. Sans doute parce que la figure ne peut être saisie que figuralement ou mieux encore par des figures, par des représentations, par la peinture. Le pictural n’est ni le reflet du monde, ni sa doublure, ni son pendant. Il est mode de lecture du réel, un des modes sous lesquels le poétique se donne à voir. Sans le biais du pictural, le monde ne se caractériserait pas par ce renouvellement permanent qu’on lui voit sous la plume de Michel Collot.
Chaosmos est d’abord le recueil des choses pactisant avec leur négation. Il ne s’agit pas pour le poète d’apparier des réalités dichotomiques mais de transcender ces dichotomies dans une perspective que je qualifierais de moniste, une perspective qui verrait dans le flux et le reflux, dans l’affirmation et la négation un même mouvement. Chaosmos est le recueil de l’osmose entre le chaos et le monde ; entre la forme et sa destruction. Pourtant, la figure qui rendrait le mieux compte de l’œuvre de Michel Collot, n’est pas le zeugme et encore moins l’oxymore sans doute parce que dans cet univers poétique, les dichotomies ne sont pas ressenties comme telles. Comme dans l’œuvre de Caspar David Frederich, on voit ici cette parenté, cette contiguïté entre cime et abîme : « l’espace de la passion n’a rien d’un paysage. Tout entier vertical, dépourvu d’horizon, fracture, il est l’abîme et simultanément la cime, où culmine, en un surplomb brutal, le visage de l’autre. »
L’expression lexicale de cette parenté serait la fréquence du recours aux affixes privatifs « dé », « dis » dans les paires du type joint/disjoint ; nouer/dénouer ; faire/défaire ; apparaître/disparaître… Si de tels antonymes sont fréquents dans l’œuvre, c’est sans doute parce que la forme négative conserve en elle-même sa négation, l’affirmation. Tout semble indiquer que chez Michel Collot les dichotomies doivent demeurer irrésolues. Par exemple, faire / défaire ne sont pas des antonymes, mais deux corollaires. Tout ce qui se fait se défait ; dit autrement cela donnerait des truismes comme : vivre, c’est aussi mourir. Le phénomène – tout phénomène - est toujours pris dans le battement apparition / disparition dans une perspective qui insinue que l’être et le néant sont les deux volets d’une même réalité. C’est ce que suggère le poème « Sounion », poème soucieux d’établir un « trait d’union entre terre et ciel, équilibre entre élan et forme, vide et plein ». La suite du poème ne fait que corroborer ce souci. Au mot-valise du titre, le recueil cherche à faire correspondre une réalité-valise.
Le poète se maintient dans ce point qui est à la fois paroxysme, oxymore et paradoxe. Tout cela que Michel Deguy proposait d’appeler « paradoxymore » c’est-à-dire le paradoxe de l’oxymore inscrit dans l’unité et dans la durée que semble lui conférer le mot-valise. Il faut que l’acmé soit bien plus qu’un frêle instant dans la prise de parole ; il faut que la cime ne soit pas que le prélude du précipice. En un mot, il convient que l’éphémère perdure et que le néant soit habitable.
On est en droit de s’interroger sur la nature de ce principe qui fait que tout se mue en sa négation. Métamorphose dont on voit le résultat dans maintes occurrences. C’est « le bâtisseur [qui] convertit la force en douceur » ou : « le silence [qui] s’arrondit en milliers d’échos ». La réponse est susurrée par le poème de la page 88 : « Matière, lumière, que tout oppose : les unir, en s’enfonçant dans l’épaisseur pour en exprimer une clarté nouvelle, qui ne relève plus de l’idéalité, mais sourdement émane du plus obscur de l’être : des tâtonnements aveugles du geste, de la nuit de la chair, du cœur dense et ténébreux de la substance ». La suite du texte évoque l’expérience picturale comme puisant dans la contradiction. Voici le travail du peintre résumé par Collot : « Animer et différencier la matière pour l’arracher à l’inertie, la disposer à rayonner. Rendre visible la lumière, en la privant de sa transparence, pour lui donner une consistance ».
L’œuvre de Michel Collot semble vouloir signifier la synonymie des antonymes. Pour cela, le poète semble procéder à une relecture du monde, beaucoup plus à la manière de Jules Supervielle qu’à celle de Victor Hugo. Je pense à Supervielle surtout pour la place qu’occupent les nuages chez les deux poètes. Chez Michel Collot, les nuages sont une jonction entre dynamique et statique : « un nuage immobile s’étire, change insensiblement de forme. Les cimes dardent leurs glaciers, irradiés de lumière, crevassés d’ombres violentes. L’immuable et l’éphémère, le tendre et le cruel un instant s’équilibrent. Boucliers suspendus dans la paix de l’azur ». Il semble le mouvement qui remporte le plus l’adhésion du poète soit celui qui relève d’un changement de point de vue du sujet que d’un déplacement de l’objet observé. Dit autrement, il semble que le mouvement par excellence soit dans l’évolution de notre perception. Cela fait penser à l’anamorphose. Le monde est une anamorphose. Il y a partout un crâne caché, l’ombre de la mort. « Les Ambassadeurs » de Holbein représente bien plus que le portait de deux ambassadeurs ; c’est l’image du monde, son paysage.
La peinture est tout à la fois la clé et l’énigme de l’œuvre de Michel Collot tant il est difficile de savoir si, décrivant un spectacle- le poète évoque un paysage ou une représentation du paysage. Il serait trop facile d’attribuer cela au goût du poète pour le pictural et à sa prédilection pour l’image.
Michel Collot aime à diffracter les images, à créer des échos, à multiplier les reflets. Dans cette entreprise, le pictural est le meilleur biais par lequel se dit le poétique. On peut même avancer que tout concourt ici à suggérer l’idée que le pictural est une image du poétique. Sans doute parce que la figure ne peut être saisie que figuralement ou mieux encore par des figures, par des représentations, par la peinture. Le pictural n’est ni le reflet du monde, ni sa doublure, ni son pendant. Il est mode de lecture du réel, un des modes sous lesquels le poétique se donne à voir. Sans le biais du pictural, le monde ne se caractériserait pas par ce renouvellement permanent qu’on lui voit sous la plume de Michel Collot.
2 commentaires:
Enthousiasme, cet hiver, grâce à « Paysage et Poésie » (Corti, 2005). Je me promettais donc de poursuivre la lecture de Michel Collot. Le prochain livre pourrait être « Chaosmos» ! Merci de votre page, Jalel ; de votre page et aussi du portrait.
Et moi mon prochain livre pourrait ête Paysage et poésie. Michel Collot est en Tunisie. Je l'ai rencontré lors d'un colloque à Sfax.
Merci de votre passage, chère Evel.
Amicalement
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