L’Autre Cioran (Cioran lève le masque)
Dans cet ouvrage, à l’origine une thèse de doctorat, Constantin Frosin, fin connaisseur des lettres roumaines et francophones, revient sur le parcours d’Emil Cioran et en explore les zones les moins fréquentées. Nous apprenons d’emblée qu’il s’agit de restituer l’œuvre du poète à la roumanité. Frosin le signifie vigoureusement : autant qu’Eugène Ionesco, autant que Mirea Eliade, Cioran est Roumain. Ces « invités » de la langue française ont en commun d’avoir vécu cette expérience tout à la fois enrichissante et aliénante de s’exprimer dans la langue de l’autre. Implicitement, l’expérience revient à se dire avec les mots de l’autre, i.e. à trouver ce point où l’autre est synonyme du même. Pour y parvenir, il faut au préalable se plier aux inflexions de la langue d’accueil et –dialectiquement – plier cette langue à sa propre identité. Il y a quelque violence en tout point semble être un échange ; et cela explique sans doute la verve avec laquelle Frosin, qui vit ces mêmes questions, pose le problème. Violence dis-je, pourtant il n’y a aucun contentieux entre la France et sa « sœur latine » (Paul Morand) la Roumanie. Emil Cioran avait résolu le problème à sa manière en affirmant qu’ « on n’habite pas un pays ; on habite une langue ». Constantin Frosin nous rappelle que les Roumains ont depuis l’avènement même de leur pays, habité la langue française. Le panorama dressé par l’auteur présente l’avantage d’être exhaustif et de ne pas verser dans la redite. Et l’on a plaisir à voir la galerie d’auteurs roumains ayant choisi la langue française. Citons les plus connus : Anna de Noailles, Hélène Vacaresco, Ilarie Voronca, Benjamin Fondane. Cela débouche en toute logique sur un portrait de Cioran : sa hardiesse juvénile, son aptitude à prendre du recul, c’est-à-dire son goût pour l’ironie, la dérision et la désinvolture. (Un je-ne-sais-quoi me murmure que Constantin Frosin brosse autant un portrait d’Emil Cioran qu’un autoportrait). Ce principe de recul semble présider également à la relation du poète au divin. Constantin Frosin relève le même esprit de dérision, d’autodérision chez ce poète rongé par le doute ; la même oscillation entre saugrenu et sublime, entre transcendance et immanence. Comme il sied à un esprit libre, Cioran est le poète du détachement. Sa pensée ne peut tenir dans aucun carcan. Elle se déploie librement, trouvant autant de vérité dans l’affirmation que dans la négation, dans la sagesse que dans le trouble. Le monde de Cioran, tel que le portraiture Constantin Frosin est celui du rire opposé à l’absurdité des choses. Le rire : l’assurance de l’homme rongé par le doute. Cioran, qui connaissait parfaitement l’œuvre de Bergson, devait en être convaincu. Pour le poète qui a trouvé le salut dans l’esthétique ce non-sens est le sens même du monde. Cela n’est pas sans rappeler que Cioran se disait redevable au suicide : il savait qu’il y aurait toujours ce dernier recours qu’il n’a pas mis à exécution.
Constantin Frosin : L’Autre Cioran (Cioran lève le masque). Editions L’Harmattan
Dans cet ouvrage, à l’origine une thèse de doctorat, Constantin Frosin, fin connaisseur des lettres roumaines et francophones, revient sur le parcours d’Emil Cioran et en explore les zones les moins fréquentées. Nous apprenons d’emblée qu’il s’agit de restituer l’œuvre du poète à la roumanité. Frosin le signifie vigoureusement : autant qu’Eugène Ionesco, autant que Mirea Eliade, Cioran est Roumain. Ces « invités » de la langue française ont en commun d’avoir vécu cette expérience tout à la fois enrichissante et aliénante de s’exprimer dans la langue de l’autre. Implicitement, l’expérience revient à se dire avec les mots de l’autre, i.e. à trouver ce point où l’autre est synonyme du même. Pour y parvenir, il faut au préalable se plier aux inflexions de la langue d’accueil et –dialectiquement – plier cette langue à sa propre identité. Il y a quelque violence en tout point semble être un échange ; et cela explique sans doute la verve avec laquelle Frosin, qui vit ces mêmes questions, pose le problème. Violence dis-je, pourtant il n’y a aucun contentieux entre la France et sa « sœur latine » (Paul Morand) la Roumanie. Emil Cioran avait résolu le problème à sa manière en affirmant qu’ « on n’habite pas un pays ; on habite une langue ». Constantin Frosin nous rappelle que les Roumains ont depuis l’avènement même de leur pays, habité la langue française. Le panorama dressé par l’auteur présente l’avantage d’être exhaustif et de ne pas verser dans la redite. Et l’on a plaisir à voir la galerie d’auteurs roumains ayant choisi la langue française. Citons les plus connus : Anna de Noailles, Hélène Vacaresco, Ilarie Voronca, Benjamin Fondane. Cela débouche en toute logique sur un portrait de Cioran : sa hardiesse juvénile, son aptitude à prendre du recul, c’est-à-dire son goût pour l’ironie, la dérision et la désinvolture. (Un je-ne-sais-quoi me murmure que Constantin Frosin brosse autant un portrait d’Emil Cioran qu’un autoportrait). Ce principe de recul semble présider également à la relation du poète au divin. Constantin Frosin relève le même esprit de dérision, d’autodérision chez ce poète rongé par le doute ; la même oscillation entre saugrenu et sublime, entre transcendance et immanence. Comme il sied à un esprit libre, Cioran est le poète du détachement. Sa pensée ne peut tenir dans aucun carcan. Elle se déploie librement, trouvant autant de vérité dans l’affirmation que dans la négation, dans la sagesse que dans le trouble. Le monde de Cioran, tel que le portraiture Constantin Frosin est celui du rire opposé à l’absurdité des choses. Le rire : l’assurance de l’homme rongé par le doute. Cioran, qui connaissait parfaitement l’œuvre de Bergson, devait en être convaincu. Pour le poète qui a trouvé le salut dans l’esthétique ce non-sens est le sens même du monde. Cela n’est pas sans rappeler que Cioran se disait redevable au suicide : il savait qu’il y aurait toujours ce dernier recours qu’il n’a pas mis à exécution.
Constantin Frosin : L’Autre Cioran (Cioran lève le masque). Editions L’Harmattan
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