mercredi 8 février 2012

Poème d'Aragon sur Sakiet Sidi Youssef

Le 8 février 1958, l’aviation française bombardait le village tunisien de Sakiet Sidi Youssef où s’abritaient les soldats du FLN. On dénombra 70 morts et 80 blessés.
Louis Aragon a immortalisé ces évènements dans ce poème : 


ECHARDES

Essayez de faire entrer dans un vers français

Ce mot comme un poignard Sakiet-Sidi-Youssef

I

Cesse donc de gémir Rien de plus ridicule

Qu’un homme qui gémit

Si ce n’est un homme qui pleure

II

Je me promène avec

Un couteau d’ombre en moi

Je me promène avec

Un chat dans ma mémoire

Je me promène avec

Un pot de fleurs fanées

Et des photos jaunies

Je me promène avec

Un vêtement irréparable

Je me promène avec

Un grand trou dans mon cœur

III

Crois moi

Rien ne fait si mal qu’on pense

IV

Plus le poème est court

Plus il entre en la chair

V

Il faut chasser de la cité ce poète

Il n’ya pas dans la cité de place

Pour l’exemple de la douleur

VI

Nous avons tout fait pour ceux qui étouffent

Tout fait pour ceux qui demandent de l’air

Construit sur la nuit des fenêtres

Ouvert partout des dispensaires

Epargnez-nous ce bruit de plaintes

VII

Il n’ya jamais rien de si beau qu’un sourire

Et même avec un visage défiguré

N’as-tu pas souci d’être beau

VIII

Portez ailleurs ces pas blessés

IX

Comme vous avez raison de détourner les yeux

De ce qui saigne

X

Tout est parfaitement à sa place

Ou tout au moins tout y sera

XI

Mendiant

Lave ta main tendue

XII

Qui dit J’ai mal

Oublie les autres

XIII

Il ne suffit pas de se taire

Il faut savoir dire autre chose

XIV

Maudite soit la plante

Qui ne réjouit pas les yeux

Le poète n’a pas le droit

D’ainsi demeurer sans fleurir

XV

Il n’est pas de plaie

Qu’un peu de fard

Ne fasse bouche

De cri qu’on ne puisse infléchir

Le seul crime est la discordance

XVI

Je parle aussi pour ceux qui ne peuvent dormir

Ils ne sont pas seuls si je leur ressemble

Je parle aussi pour ceux qui ont mal à mourir

Pourquoi dites-vous que je suis un égoïste

XVII

La vie est pleine d’échardes

Elle est pourtant la vie

XVIII

Et cela fait du bien la nuit parfois crier

XIX

Une fois de plus entre le miroir et toi

Il y a désormais ces yeux des enfants morts

XX

Connais-tu le nom de la honte

XXI

Essayez de faire entrer dans un vers français

Ce mot comme un poignard Sakiet-Sidi-Youssef

1 commentaire:

giulio a dit…

Excusez-moi, Madame, je n'avais pas vu votre gosse. Aussi, pourquoi fallait-il qu'il se tienne justement dans la trajctoire de mon obus. Ce n'est vraiment pas de chance. Dur, dur d'être soldat !

ajoutons-y, Jalel, la dernière partie du poème "COLLATERAL DAMAGE?" de George Pappas, sur http://backyardpoetry.wordpress.com/2011/01/25/collateral-damage/
...
...
It’s then you realize
ideals,
ideas,
words,
apologies
are not enough
to mend
the hearts and minds
of those caught in the crossfire,
their futures detonated
and strewn across the cold ground
like bomb fragments,
giving new meaning to the word
accidental.

Mais il y en a d'autres, et il y en aura toujours, tant que les hommes, maintenus dans l'ignorance par les montreurs de marionettes qui tirent les ficelles, accepterons de résoudre leurs divergences par la violence.

La faute en est autant à ceux qui se laissent manipuler qu'aux mntreurs de marionettes, qui sont après tout dans leur rôle et pour qui les dégâts collatéraux ne sont que bavures sans grande importance.