dimanche 6 mai 2012

La vie est un voyage, Giulio-Enrico Pisani




Giulio-Enrico Pisani, Lux., 3 mai 2012
Publié dans le Zeitung vum Lëtsebuerger Vollek
La Vie est un Voyage

Comment, aussi bien la photographe Myriam Barbara Ziadé que le sculpteur Hung (John Lau Kwok Hung), pourraient-ils mieux définir la vie que par le voyage?  Toute vie est déjà en soi un voyage, mais chez ces deux artistes, c’est une profession de foi.  Dès lors, comment les suivre au cours de leurs fantastiques icarides?  Comment les trouver, sinon au cours de trop courtes pauses, en ces lieux où, nouveaux enfants de Dédale, ils se posent sans cure du soleil dont ils ont saisi au passage mouvement chaleur et lumière?  Il faut les aborder lorsqu’ils touchent terre, ici ou là, lors de ces brefs arrêts aux jolis noms de Clairefontaine,  Neumünster,  San Benedetto à Loppiano, Wildschönau, ou, tout simplement Cravat Luxembourg.   Cependant, pour revenir à des considérations plus triviales, l’hôtel Cravat a ceci de remarquable, même pour ceux qui n’y dorment, ni y dînent, qu’on a su y mettre en valeur de manière magistrale les photographies de Myriam et les sculptures de Hung.  On y jouit pleinement d’une combinaison harmonieuse de voyage intérieur et transcontinental, de yin et de yang, d’un monde où l’art flamboie dans sa diversité et son unicité, où Coré (con)vole avec Pluton, où l’orient et l’occident ne font plus qu’un.  Rien n’y empêche le spectateur de cette globalisation avant la lettre de se dire à l’instar du poète Jalel El Gharbi: «... mon monde est impair i.e. indivisible par deux. Et il m’arrive même de rêver d’Orcident et d’Occirient.»   
Myriam Barbara-Ziadé,
que je vous ai déjà présentée bien trop brièvement trois fois, m’a enfin permis d’admirer davantage qu’un ou deux de ses tirages lors d’expositions collectives et de participer, sinon exhaustivement, du moins un peu plus en profondeur, à ce génie migrant de la lumière qui est le sien.  Mais quelle lampe magique a-t-elle donc frotté par mégarde?  Cet esprit créatif qui sourd de ses entrailles, rebondit sur les mille facette du monde, qu’elle transpose dans ses clichés et nous offre en partage, ne l’a en effet pas seulement transportée de son Liban natal jusqu’à notre petit Luxembourg, mais la fait vivre en permanence au rythme des pulsations de l’humanité.  Quoi d’étonnant qu’on ne veuille pas manquer d’en apprécier les quelques parcelles qu’elle veut bien nous offrir en partage?
Photographe artiste conceptuelle libano-luxembourgeoise, Myriam est née à Beyrouth en 1960.  Elle n’a que quinze ans lorsque éclate la guerre (1975-1990). Malgré bien de difficultés, elle entreprend des études d’arts graphiques à l'Académie des Beaux Arts à Beyrouth, mais finit par émigrer en Europe.  Depuis 1990, elle vit et travaille au Luxembourg, participe à de nombreuses expositions – surtout collectives – est lauréate de plusieurs prix et a obtenu en 2011 le 1er prix du concours international «Changes/Chagements» du CCRN (Centre Culturel de Rencontre Abbaye de Neumünster).  Elle a participé en outre à des ouvrages de Gila Paris & Frank Shifreen , comme «Eutopia- Artistic Visions Of Europe» et «Rooted-The première».
  «À travers mes photos», nous confie-t-elle, «j'essaye de débusquer dans les images (...) le sens profond de la vie et de l'homme dans ce qu'il a de plus beau et de plus précieux. Pour mes portraits, je cherche à établir une complicité entre les modèles et moi afin de transmettre l'émotion, la poésie du moment. Mes séries d'images conceptuelles traduisent et illustrent ma propre vision des choses en mettant l'accent sur le graphisme et les couleurs.»  Et quelle vision!  Ah, ces tirages dans lesquels ont peut plonger comme si c’était au fond des yeux quasi-omnivoyants de la photographe!  Et Myriam de nous entraîner dans ses voyages extraordinaires vers des lieux au nom ne figurant dans aucun prospectus touristique, mais qui évoquent l’humanité, ses oeuvres et ses souffrances, l’humanisme, ses valeurs et son espérance, la nature et l’homme face son immensité... C’est des noms comme Barbelés, Cordon ombilical, Sérénité, Linked, Souvenir, Elan et j’en passe.  Sans parler de ses compositions, dont la perfection technique et la beauté transcende à tel point la générosité visible de l’artiste, que la combinaison de leurs seules qualités esthétiques et chromatiques en fait un régal optique qui ne doit rien au sujet.  

Hung,
C’est l’inondation, le feu, mais aussi la passion tranquille, le voyage permanent, la fusion de toutes les sculptures du monde, la synthèse de la calligraphie chinoise et de la puissance michelangelesque.  John Lau Kwok Hung de son vrai nom est né à Hong-Kong en 1953.  Il se passionne pour la calligraphie en s’installe en 1973 en Italie, travaille en tant qu’artiste au Centre Azur de Loppiano (Incisa in Val d’Arno), fait partie du Gen Rosso (International  Performing Arts Group), y pratique jusqu’en 1981 la danse et le chant, participe à plus de 300 spectacles en Europe et en Asie et étudie sculpture à l’Académie des Beaux-Arts de Florence.  Suivent journalisme et calligraphie à Manille (Philippines), atelier de sculpture à Montet (Suisse), ainsi que la récolte de nombreux prix, puis sept ans sans activité artistique (à la recherche de son mìng yùn?) en Corée du Sud.  En janvier 2000, de retour à Loppiano après 20 ans d’absence, il aura raté la Renaissance de peu – quatre siècles – mais trouvera dans les collines surplombant l’Arno sa renaissance... à la sculpture.  
Ses plastiques son extraites du métal à la flamme oxhydrique comme des idéogrammes chinois où s’entrelacent des baguettes de fer qui définissent objets et personnages. Hung habille ses sculptures de fer avec une succession de gouttes incandescentes de métal en fusion, en révélant ça et là quelques traits anatomiques.  Silhouettes dansantes, emblèmes-synthèses, présence qui interpelle, chaque sculpture est réellement un dessin en trois dimensions, qui rappelle…«le dessein», le projet de vie qui est dans chaque être humain et dans toute l’humanité.  En même temps, le jeu visuel du plein et du vide fait penser à la «transparence» vers laquelle chaque œuvre tend, afin de permettre au spectateur de pénétrer et de rencontrer  les éléments de sa plus profonde raison d’exister.

Il est inutile d’énumérer ici les nombreuses expositions auxquelles Hung a participé, ainsi que les prix obtenus.  L’essentiel est pour vous, amis lecteurs, de savoir, que dans le grand hall de l’hôtel Cravat vous attend aujourd’hui et jusqu’au 9 mai une exposition exceptionnelle.  C’est une symbiose unique d’Orient et d’Occident, de Renaissance et d’expressionnisme moderne, de passion déchaînée et de sérénité confucéenne dans nombre de sculptures aussi saisissantes qu’émouvantes, frémissant d’un réalisme qui s’en voit tout à la fois transfiguré et transcendé.  Héritier des Wang Xizhi, Ni Zan, Cellini, da Vinci, Rodin et autres Giacometti, Hung développe dans ses artéfacts un vibrato plus riche et vif que nature, allant du grave con forza à l’allegro, voire au vivacissimo.  Il leur insuffle une plénitude dont l’énergie vitale se transmet, comme dans une diode, les tourments du fer et de l’airain au spectateur envoûté.

   1 lire www.zlv.lu/spip/spip.php?article896 et www.zlv.lu/spip/spip.php?article926.
   2 lire www.zlv.lu/spip/spip.php?article7077


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