vendredi 2 novembre 2012

La Puberté, Salah Niazi


La puberté 
Salah Niazi
«  J’étais sa poupée. Elle prenait son bain devant moi et elle me donnait le sein. Une fois grand, ces images me sont revenues, l’innocence en moins »
 Degas : Après le bain.
La voix s’assombrit dans ma gorge
Si ma main effleure la sienne, elle s’enflamme
Quand mon regard s’unit à ses yeux, il se trouble
Le rêve m’est revenu
Elle était nue en sa grande taille, il y avait l’eau et l’encensoir
J’ai mâchonné le sein doucement
Très doucement
Et j’ai dormi comme l’oiseau sur le lotus de la limite (1)
Le passé ravit ce qui fut entre nous
Vous vous détourniez alors de moi, les yeux baissés

Qui donc a momifié l’alouette
Embrochant dans ses ailes la peur avec la réglette
Dissimulée sous cape ?
J’entends encore le bruit de l’eau dans vos tiges sous la lune
Vous avez pris un bain, tout épanouie et d’un éclat marmoréen
Puis vous vous êtes secouée comme une alouette
Vous m’avez offert votre bras en coussin
Vous m’avez donné le sein comme on donne un fruit
Le rêve est maintenant pubère
Lui qui ne le devient que dès lors qu’il
Afflue dans l’éveil et qu’il habite les yeux et la gorge.
Traduction de Jalel El Gharbi


(1) Référence coranique (LIII, 16)

2 commentaires:

giulio a dit…

Superbe et très émouvant, cher Jalel ! Souvenirs, souvenirs... et voilà, en bien plus modeste, ma propre version :

La servante

Femme rustique des Monts Herniques,
jolie femme de Ciociarie,
femme aux muscles magnifiques,
femme de ce qui fut ma patrie,

venue à Rome de tes montagnes
pour servir les riches bourgeois
au lieu d'un pays de cocagne
la guerre civile tu trouvas.

Déchirée par le typhon
d'une guerre qui pourtant l'épargnait
la ville qui te fit le rejeton
d'inconnu que tu portais,

ne reconnaissait plus ses gens
et eussent-elles contribué à la faire,
cité ingrate comblée d'enfants
dont elle avait engraissé sa terre.

Puis, la guerre enfin passée
tu as trouvé un pauvre refuge
dans la pension où je suis né,
arche au milieu du déluge,

parmi les tragiques destinées
de vieux artistes et de poètes,
qui avec mes parents, ruinés,
ne faisaient pas souvent la fête.

A tous ces pauvres moins-que-rien,
auxquels il faut ajouter
Juifs, partisans, politiciens,
fascistes à leur tour pourchassés,

tu dispensais tes sourires
ton amour de femme de peine,
oublieuse de tes soupirs
et de la vie dont tu étais pleine.

Et un beau jour... pas si beau que ça
tu nous quittas sans un au revoir,
et de ma vie tu t’effaças,
mais non de mon coeur, de ma mémoire,

mémoire d'enfant amoureux fou
à peine sevré du sein de sa mère.
Ce n'est pas normal, me direz-vous,
d'aimer à quatre ans des femmes la chair.

Et pourtant c'est bien ainsi,
dix ans avant que je ne sus le faire,
que cet amour je ressentis
faim de la femme, tendresses premières.

Plus de dix lustres ont passé ;
mais parfois je sens encore
sa bouche paysanne sachant aimer,
ses attouchements sur mon petit corps.

Certainement quelques beaux esprits
crieront haro sur la servante,
qui tripotait, sans mal, pardi!
du petit mâle la chair innocente.

(in AMOUR,HUMOUR,FANTASMES & (R)APPELS, Edit. STAN TEPEDE 1999 & 2002

Jalel El Gharbi a dit…

Très beau, cher Giulio. Merci