dimanche 24 mars 2013

Le RCD est mort, le Destour vivra-t-il ? Par Boubaker Ben Fraj



Dans cet article notre ami Boubaker Ben Fraj s'interroge sur les scénarios possibles pouvant conduire au retour du parti de Bourguiba. 


Bourguiba, moisson au lendemain de l'indépendance.
La dissolution par une décision de justice, deux mois à peine après le 14 Janvier 2011 de l’ex RCD « Rassemblement constitutionnel démocratique » dans la foulée de la chute du régime de Ben Ali, a eu pour conséquence directe, le démantèlement de ce parti, décrié sur le moment dans la colère des foules par le slogan implacable « RCD dégage », et accusé par ses ennemis, devenus ses fossoyeurs, de tous les torts et de toutes les perversions; notamment, ceux d’avoir été durant deux décennies, l’instrument politique servile et complice par lequel le président déchu exerçait sa dictature et asseyait son pouvoir corrompu.
 Par la dissolution du RCD, c’est le descendant et l’héritier historique direct du néo-Destour, fondé il y a huit décennies par Habib Bourguiba, qui fut inscrit dans le registre des décès : activités interdites, structures décapitées, biens et locaux confisqués, organes de presse arrêtés, et nombre de dirigeants, accusés d’abus ou de forfaits, sont attaqués en justice.
Mais que sait-on depuis ? Que seraient devenus les centaines de milliers d’adhérents et les milliers de militants que rassemblait ce parti tentaculaire avant son naufrage? Vers quelles directions seraient-ils passés ? Auraient-ils choisi par découragement et dépit, d’abandonner aux autres, le terrain politique qu’ils avaient pendant si longtemps dominé, et de se faire ainsi durablement oublier ? Ou bien chercheraient-ils aujourd’hui, après avoir fait le dos rond au moment des grandes convulsions de la révolution, à reprendre du poil de la bête et à rebondir en se repositionnant d’une manière ou d’une autre dans la nouvelle scène politique nationale? Auquel cas, ces rescapés auraient-ils vraiment des chances de jouer un rôle agissant, dans une scène totalement renversée par la révolution à leur désavantage?
En l’état actuel des choses, les données à propos des destouriens sont encore incertaines et enchevêtrées, et plus d’une hypothèse nous semblent permises. L’ on sait déjà que quelques milliers d’entre eux avaient choisi, dans la précipitation des événements ayant suivi le naufrage du RCD, de se rabattre en ordre dispersé sur une dizaine de nouveaux partis crées à la va-vite, et se réclamant, non pas tant du RCD lui-même, dont ils reconnaissent les déviances sous Ben Ali, que de l’ancrage dans l’héritage doctrinal et politique destourien et bourguibien, ayant conduit à l’indépendance du pays, édifié son premier Etat et mis les Tunisiens sur la voie de la modernité. 
 Ce fut dans ces circonstances que les partis Al Moubadara, Al Watan, Al Moustaqbal, le néo-Destour tunisien, le Mouvement pour la dignité et la démocratie et d’autres micro- partis se réclamant de la lignée destourienne ont vu le jour, de manière plutôt concurrentielle que solidaire. Chacun d’entre eux prétend sans toujours convaincre, être le légitime héritier du Destour et du Bourguibisme. Mais, à l’épreuve des élections du 23 octobre 2011, l’écrasante majorité de la « grande famille» destourienne qu’ils prétendaient représenter ne les avait pas suivis. Seul Al Moubadara, avait réussi à recueillir un nombre respectable de suffrages dans la stricte limite de la région du Sahel.
Pour qui alors la dite famille destourienne aurait-elle voté au cours de ces élections ?
 Sans aucun doute, une partie de la base électorale traditionnellement destourienne, s’était laissée attirer, dans les nouvelles conditions de l’après 14 janvier, par les sirènes de certains autres partis sur l’offensive. Mais une autre partie, fort probablement majoritaire, aurait préféré l’expectative, en se désistant de participer au scrutin.
 Quoi qu’il en soit, qu’ils aient ou pas voté lors des dernières élections, chacun sait aujourd’hui, que les électeurs « destouriens », au sens le plus large du terme, représenteront pour les échéances à venir, une réserve électorale potentielle de la plus grande importance pour le bienheureux des partis, qui saurait l’apprivoiser et la rallier à son camp.
Mr Béji Caïd Essebsi
 Une compétition encore incertaine nous semble d’ores et déjà engagée entre les deux principaux prétendants : Nidaa Tounes d’un côté, et les divers partis dits destouriens de l’autre.
Tout destourien et fidèle disciple de Bourguiba qu’il est, et quoi qu’en disent ses détracteurs, le patriarche Beji Caid Essebsi n’a pas fondé Nidaa Tounes pour être un parti destourien relooké ni une sorte de parti refuge pour les Rcédistes rescapés. Nidaa Tounes se dit un large mouvement patriotique, moderniste et fédérateur, sorti du sein de la révolution et fidèle à ses objectifs. Mais Il ne considère pas moins, que la Tunisie doit préserver vivant l’immense héritage destourien qui l’a profondément marquée. Héritage qui continue à être une source primordiale d’inspiration, pour le présent et l’avenir du pays.
Béji Caied Essebsi sait mieux que quiconque, qu’en attirant les destouriens dans le giron de Nidaa Tounes, les avantages pour son nouveau parti, et pour lui-même sont beaucoup plus importants que les difficultés qu’il aura à surmonter, pour convaincre, et éviter les suspicions et les fissures à l’intérieur même de son parti naissant. Sa démarche n’est ni simple, ni sans risques, et les grincements qui ont suivi les dernières déclarations de Faouzi Elloumi, autoproclamé porte-parole de l’aile destourienne à Nida Tounes sur les plateaux d’Hannibal TV viennent de le prouver.
Bourguiba à New York en 1961
 Essebsi sait aussi que beaucoup de figures destouriennes, longtemps habituées aux devants de la scène, n’admettraient pas facilement, par ego ou par calcul, de se fondre dans un moule qui risque de les placer au deuxième rang. Il n’ignore pas non plus, que les partis dits destouriens, ne lui pardonneraient pas sa stratégie de détourner vers Nidaa Tounes, une part non négligeable de ce qu’ils considèrent être leur base, leur vivier et leur raison d’exister.
 Au début de ce mois de mars, la commémoration par Nida Tounes dans la ville même de Ksar Helal, l’un des bastions historiques du Néo-Destour, de l’anniversaire de la naissance de ce parti, le grand meeting populaire tenu à l’occasion, les messages forts de Beji Caid Essebsi adressés aux destouriens lors de ce meeting, sa visite au passage au mausolée du leader historique Habib Bourguiba, sont autant de gestes politiques et symboliques, auxquels beaucoup de destouriens ne seront pas indifférents.
Suite à cette offensive, la réaction des partis dits destouriens, et en particulier celle de leur chef de file Al Moubadara ne s’est pas fait attendre: Une prise de distance claire à l’égard de Nidaa Tounes, des injonctions à peine dissimulées contre ce parti, de nouvelles tentatives unitaires entre certains partis pour constituer un front, à même de contenir la stratégie destourienne de Nidaa Tounes.
Et avant de conclure, irait-on jusqu’à imaginer dans l’avenir, un rapprochement contre-nature, entre ces partis dits destouriens et Ennahdha dans l’unique but de bloquer la gourmandise de « Nidaa Tounes », cet adversaire devenu commun.
S’il un tel rapprochement venait à arriver et que Bourguiba l’apprenait post-mortem, il se retournerait dans sa tombe, mais le réalisme froid des calculs politiques impose des raisons que la raison n’arrive pas toujours à saisir.





2 commentaires:

Jeanmi a dit…

Ayant vécu de longues années en Algérie juste avant les années de feu, nous allions régulièrement en weekend e Tunisie respirer l'air de la prospérité et de la Liberté. Qu'est devenu ce magnifique pays ?

Jalel El Gharbi a dit…

Jeanmi, le pays est moins prospère que vous ne l'avez connu, mais il est tout aussi magnifique. S'y affrontent deux visions du monde : l'une est soutenue par les pétrodollars, l'autre par les acquis du pays et l'espoir en des lendemains meilleurs.