mardi 18 mars 2014

Denis Jully par Giulio-Enrico Pisani


 Le Zeitung Vum Lëtzbuerger Vollek vient de publier cet article de notre ami Giulio-Enrico Pisani :

Catharsis, ou « La route »... selon Denis Jully

 

Quel ne fut mon étonnement, amis lecteurs, lorsque je reçus il y a quelques jours un mail de la Galerie d’art Schortgen (1) non accompagné d’une invitation au prochain vernissage ? Même pas. À première vue une note succincte m’in-formant que la galerie s’offrait un entr’acte entre deux expositions, ce premier « creux » de l’année se voyant consacré au peintre Denis Jully. Durée de l’expo : 10 jours avant le prochain (quasi-sous-en-tendu « véritable ») vernissage de la prochaine (quasi-sous-entendu « véritable ») exposition... De là à ajouter en mon for intérieur « du prochain véritable artiste », jeter le mail à la poubelle et attendre la prochaine expo, il n’y avait qu’un pas... que je ne franchis pas, heureusement, et pour cause. Sous le texte du mail m’ap-parut en effet la photo d’un tableau de toute beauté, chargé d’une formidable richesse formelle et respirant tout à la fois spleen, grandeur et aspiration à l’infini, ainsi qu’une puissance évocatrice si époustouflante que j’en restai bouche bée. Dix jours pour ça ? Un simple intermezzo ? Et comment ? En passant ? En guise de remplissage, question de nous faire patienter entre deux évènements « sérieux » ? Rien que dix jours, bon dieu ! Si les autres peintures étaient aussi enchanteresses, comment visiter la galerie, examiner l’expo en détail, pondre mon papier et le voir sortir à temps pour ne pas vous prendre de court ?
Au grand galop, bien sûr. Alors, toutes affaires cessantes, je m’y précipite dès le premier jour. Lydia Moens, la fée du logis, pardon, de la galerie, y est encore en pleine installation. Peu importe ! Bon nombre de tableaux ont déjà trouvé leurs crémaillères. Les tableaux ne sont pas encore pourvus de leurs titres. Mais pour les faire parler, les voir exprimer ce qui les anime et rayonner de tout le talent de leur génial créateur, je n’ai pas besoin des titres que Lydia n’a pas encore eu le temps d’apposer. D’ailleurs, quelle importance ? Suis-je donc obligé de ne voir qu’une ville dans la fureur de tel paysage d’un réalisme transfiguré par la passion que l’artiste appelle « la ville » ? Et cela lorsque le premier mot qui me vient à l’esprit devant cette oeuvre pré-apocalypti-que est tsunami ? Ou bien devrais-je m’efforcer de percevoir ce chef d’oeuvre de façon post-apocalyptique et rejoindre ainsi la vision cathartique de « La route » (2), ce terrible roman de Cormac McCarthy auquel Denis Jully rend hommage dans son exposition ?





Eh bien, pour tout vous dire, j’y parviens mal ou, du moins, seulement ci et là. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé. J’ai en effet bien lu l’introduction de ce génial peintre qui nous dit notamment : « Au fil des jours (...) l’univers halluciné du roman (...) s’est insinué dans ma peinture. Le propos y est bien celui du paysage. Mais du paysage de l’Après... L’Après quoi ? Les ruines avaient déjà fasciné les peintres romantiques du 19ème... » Toutefois, pour Jully « il ne s’agit plus de ruines délaissées, mais bien du lieu d’une désolation annoncée ». Et c’est là qu’en dépit de mon enthousiasme pour sa peinture et de ma gratitude pour les frissons que me procure sa beauté mélancolique, je ne parviens plus tout à fait à le suivre. Ce que je vois et ressens face à ses tableaux tient d’avantage de ce que m’inspirent certaines vedute picturales d’un David Gaspard Friedrich – je pense à Moine au bord de la mer et Deux hommes au bord de la mer au crépuscule – ou photographiques d’une Laura Gilpin dans, par exemple, L’es-prit de la Prairie. Rien à voir peut-être – c’est vrai – avec ce que découvriront dans les peintures de notre artiste d’autres visiteurs de la galerie, car chaque ressenti personnel ne peut être que différent de tout autre. Foncièrement subjectif, le sentiment que nous éprouvons résulte de l’interaction de notre état d’esprit (à un moment donné), de notre caractère et de notre réceptivité de spectateur avec l’oeuvre, qui est chez Jully en cela magistrale, qu’elle suscite, provoque, engendre une multitude de sentiments parmi lesquels tout un chacun pourra reconnaître et exalter les siens. Apocalyptique ? Et pourquoi pas ? Mais aussi oeuvre nostalgique, grandiose, rédemptrice, lumineuse, poétique, saturnienne, glauque, transcendante, renaissante, optimiste, pugnace et que sais-je encore... De toute façon, il en va de l’artiste comme du poète. Aussi bien l’artefact une fois exposé que la poésie une fois lue ne leur appartiennent plus vraiment ; il sont ce qu’y voient, lisent et comprennent respectivement leurs spectateurs et lecteurs. D’ailleurs, à quoi bon ce distinguo ? Dans les vastes paysages sombres ou clairs-obscurs, véritables concertini d’harmonies camaïeu, ocre, rouille, rouge feu, sable, bistre ou sépia de sa peinture, tout est poésie, pure poésie. Aussi, rien de plus vrai que les mots en page 44 de son catalogue : « Les tableaux de Denis Jully nous chuchotent des choses élémentaires. Que la peinture est émotion, parfois silence et contemplation. A nous d’ajouter que lorsqu’elle est de qualité, elle vous emporte nécessairement ailleurs... ». Mais il est temps d’ajouter à mon tour quelques lignes sur sa bio, extraites de son site personnel, à cette présentation qu’elles complètent avec bonheur.
« Né a Mulhouse en 1952, Denis Jully possède une solide formation de créateur. Devenu peintre, après avoir été créateur d’étoffes des usines gouvernementales du Shah d’Iran, il a gardé dans son travail toutes les spécificités de ce métier, les camaïeux des couleurs, les sujets comme motifs, les tensions créées par leurs intervalles sur la surface de la toile... ce sont là les particularités des tissus imprimés... De son oeuvre se dégage un souffle, une écriture propre ; l’appartenance à la famille rhénane est évoquée (néo-romantique). Le sentiment de nature imprègne ces représentations, une nature allégorique, où l’eau, les montagnes, la végétation ne sont que des archétypes. « Figuration allusive » est le terme avec lequel il parle lui-même de son travail. Est-ce par les nombreux voyages et errances, ses années passées en Afrique ou son vécu en Iran, que son inspiration trouve ses sources ? La miniature persane, les motifs des tapis, les ocres et rouges des terres d’Afrique, l’utilisation de morceaux de bois ayant un vécu, une histoire, tout cela se tisse et s’accorde au service de sa peinture. Denis Jully vit et travaille à Strasbourg. »
Je conclurai en espérant que la trop brève présence printanière de cet exceptionnel artiste à la Galerie Schort-gen ne sera que l’avant-goût d’une grande exposition qui ne saurait manquer suivre dans pas trop longtemps. Ceci n’étant cependant qu’un mien souhait à la réalisation encore incertaine, je ne saurais trop vous recommander, amis lecteurs, de vous hâter d’aller admirer sans faute jusqu’au 20 mars la splendeur des tableaux de ce peintre incomparable.
Giulio-Enrico Pisani
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1) Galerie Schortgen, 21 rue Beaumont (parallèle à la Grand rue) Luxembourg Centre. Expo du mardi au samedi 10,30 – 12,30 et 13,30 – 18,00 h. jusqu’au 20 mars.
2) Extrait d’Amazon : Le monde est dévasté, couvert de cendres et de cadavres. Parmi les survivants, un père et son fils errent sur une route, poussant un caddie. Dans la pluie, la neige et le froid, ils avancent vers le Sud, la peur au ventre : des sauvages cannibales terrorisent ce qui reste de l’humanité…

2 commentaires:

christiane a dit…

Quel beau regard ! quel beau billet !

giulio a dit…

Merci Christiane, votre regard à vous est le plus beau des compliments.