Giulio-Enrico Pisani
Lux., 4 novembre 2014
Zeitung vum Lëtzbuerger Vollek
Caroline Wehrmann envoûte
ciel et mer
au
24, Rue Beaumont...
… en attendant de vous envoûter à
votre tour, bien sûr, grâce à la magie des tableaux de son exposition «Wasser» à
la Galerie Schortgen
Artworks [1]. Wasser signifie eau en allemand et constitue le
sujet quasi-exclusif des oeuvres que Caroline Wehrmann nous présente
aujourd’hui. Debout, au bord de l’océan,
les pieds enfoncés dans le sable de l’entre-terre-et-mer, nous quittons la
berge, le rivage, la plage pour tremper nos yeux et notre esprit dans les
vaguelettes marines et les accompagnons à travers leurs derniers friselis
mousseux. Puis nos regards affrontent
les vagues, de plus en plus amples, devenant houle, lames, dunes liquides, ailleurs
rouleaux, brisants, ressacs et explosions d’embruns. Ailleurs encore, ces eaux peuvent être
transparentes, brillantes, opaques, mousseuses, écumantes, profondes, basses, miroitantes
et toujours en train d’adopter et de réfléchir, en partie du moins, la lumière. Celle du ciel, bien sûr, qu’elles brisent et
transforment à leur guise selon leur profondeur, les caprices du vent et la
fantaisie des courants.
Les eaux de Caroline Wehrmann peuvent
également arroser et faire briller les rochers de leur vernis éphémère miroitant
au soleil qui s’en désaltère, ou les caresser d’un fin voile vivant d’algues
vertes. Elles peuvent être aussi bien calmes
que sauvages, ici vert émeraude, là turquoise, ailleurs glauques ou grises,
bleu de Prusse, outremer, d’orient ou azuré, cobalt ou céruléen selon le bon
plaisir du ciel, du soleil, des nuages, du vent et des abysses marins. Et c’est encore ces eaux qui offrent leur
réflexion sur les fonds sablonneux travaillés par la houle en une kyrielle de
fines dunes sinueuses, qui leur prêtent leur ocre en faisant danser la lumière dont
elles se jouent, mutines, au rythme de leur respiration océanique. Loin au-dessus de nos têtes, faisant fi de la
gravité, les eaux envahissent le ciel d’un matelassage ouaté, emplissent
l’entre-ciel-et-mer de cumulus grondants, ou s’effilochent en caressants cirrus
qui n’empêchent plus le ciel de bleuir l’océan ou d’en faire rosir les flots
sous les caresses sensuelles du couchant.
L’univers de notre artiste s’offre au visiteur curieux tout
comme à l’amateur éclairé dans des décors d’un réalisme tellement précis,
vivant, frémissant et fascinant qu’à première vue, de loin, on pense à des
vedute photographiques de la plus belle espèce.
Mais non, il n’en est rien, car aucune photo marine, et fût-elle d’un
maître du genre comme Mario Reinstadler, n’atteint la profondeur, la vie
pulsante, la carnalité voluptueuse de la mer, du sable, des pierres, du ciel et
des nuées qui prennent corps sous les pinceaux Caroline Wehrmann. «Photographie?»,
a-t-elle coupé court, en souriant, lorsque je lui demandai si elle travaillait
sur cette base. «Certainement pas (...) C’est ma mémoire», précisa-t-elle, «qui est photographique, c’est mon
expérience, mes observations, ma connaissance de l’eau, du milieu marin...». Aussi, le moment me semble-t-il venu de nous
rapprocher de la personne de cette peintre d’exception et de vous la présenter,
afin de mieux appréhender, sinon de comprendre, l’incroyable don que la nature
lui a accordé, ainsi que le cheminement artistique et professionnel qui lui a permis
de l’exploiter et de nous en faire profiter.
La galerie m’a fourni à cet effet un texte fort intéressant,
mais rédigé en allemand, dont je m’efforcerai de traduire l’essentiel de mon
mieux. Et voilà: «Carolin Wehrmann passe pour être la meilleure peintre contemporaine de
l’eau et de la mer. Née en Rhénanie en
1959, elle a peint son premier tableau à l’huile à l’âge de 12 ans. Après son bac, elle a étudié graphique et
design chez le professeur Kurt Wolff. Devenue
professionnellement active dans la conception et l’illustration, elle n’en
reste pas moins fascinée par la peinture à l’huile des maîtres des (17ème), 18ème et 19ème
siècles, au point qu’elle décide de se consacrer entièrement à la peinture. L’étude
approfondie des techniques picturales classiques, comme la lasure à
l'huile de résine, sont à ses yeux des prémisses sine qua non pour obtenir la
profondeur et la résolution essentielles à son élaboration de réfractions
authentiques et d’une densité optimale des atmosphères et horizons. L’artiste ne travaille à ce fin que sur des
toiles de lin de haute qualité, avec des pigments hollandais anciens, ainsi
qu’avec les huiles et résines les plus pures, telles qu’elles furent déjà
employées par Rembrandt, Le Titien et Rubens.
Peindre la mer et
l’eau en général est considéré depuis toujours en peinture comme le défi
majeur. La mer représente également pour
l’artiste l’aspiration à un état idéal et, par là, à une transcription originale,
intacte de la nature. Ses représentations de l’élément aquatique témoignent
également de la recherche de profondeur qui guide son approche. Elle renverse et dépasse avec sa nouvelle
série «Reflections» (encore présente avec quelques tableaux dans l’actuelle
expo) les conventions propres au genre et
crée ainsi sa propre originalité, voire unicité, d’un cycle pictural du niveau
artistique le plus élevé...».
Et autant vous dire, amis lecteurs, que le terme d’unicité,
donc de la qualité de ce qui est unique, n’a rien d’exagéré face au spectacle impressionnant
que nous présente aujourd’hui la galerie Schortgen avec les toiles de Carolin
Wehrmann. Plus sereine, moins tourmentée peut-être,
mais tout aussi engagée et plus perfectionniste encore que le
pré-impressionniste J.M.W.Turner ou le romantique Ivan Aïvazovski,
elle ne leur cède en rien, même si sa force d’expression se nourrit davantage
d’observation passionnée que de passions ravageuses. N’hésitez donc pas à aller vous baigner corps
et âme dans les eaux ici paisibles, ailleurs écumantes, de ces splendides
marines, baignées tour à tour dans toutes les lumières du jour. Vous ne regarderez plus jamais la mer
distraitement, en passant, comme simple accessoire de vacances.
[1] Galerie
Schortgen Artworks, 24, rue Beaumont, Luxembourg centre. Exposition mardi à
samedi de 10,30 à 12,30 et de 13,30 à 18 h. jusqu’au 15 novembre