Pour vous, ce passage irrésistible du roman de Toulet Mon amie Nane.
Pour en savoir plus sur Toulet, je vous recommande la thèse de Daniel Aranjo en deux volumes, publiée en 1980 à Pau.
— Quand je serai une vieille dame morte, dit Nane, j’aimerai à me vêtir, moi aussi, de brouillard lilas, et de fumée rose ; je me nourrirai avec le parfum des fleurs ; ou avec l’odeur des prunes, qui est délicieuse et qui me donne des envies d’amour.
Elle ferme les yeux et s’imagine peut-être, dans l’ombre et l’herbe d’un verger, sucer l’or des mirabelles, tandis que les abeilles bruissent autour des branches et qu’un papillon couleur de soufre se balance indolemment au milieu de la chaleur.
— Mais je ne sais pas du tout, reprend-elle, ce que je ferai quand je serai une vieille dame vivante. Peut-être vendrai-je des journaux dans un kiosque, près de Saint-Lago avec un roquet qui aboiera aux clients. Il ne me sera pas resté d’amis, personne ne viendra causer avec moi, jamais, pas même le sergent de ville ; et j’aurai envie de pleurer à voir les mômes, sur le trottoir, découvrir leurs chaussettes — comme moi, jadis.
— Ne pleurez pas, bébé, les choses ne seront pas si noires, mais, au contraire, un de vos amis vous ayant acheté un fonds de commerce, vous trônerez au milieu d’une belle épicerie. Il y aura tout autour de vous des ananas écailleux, mille pâtés dans des boîtes brillantes, et ces flacons où les fruits confits ressemblent aux pierres les plus précieuses. Il y aura aussi les regards en coulisse des garçons qui loucheront sur la patronne en pensant à tant de belle chair perdue sous vos amples jupes. Car vous serez grasse, Nane ; mais vous serez sévère aussi et ne souffrirez point de galanterie des subalternes.
— Et pourquoi, dit le philosophe, ne seriez-vous pas la châtelaine d’une bicoque Louis~XIII, blanche et rouge, qu’on apercevrait de loin à travers les trembles ? Vous y porteriez le deuil honorable de feu le colonel de réserve votre mari ; il aurait toujours sa place à la table où, trois fois la semaine, vous joueriez le whist avec quelque hobereau sondeur du voisinage et monsieur le curé.
— Non, non, pas de curé, ça porte malheur !
— Ah ça ! Nane, seriez-vous devenue anticléricale ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire