Ioana Craciunescu
Montmartre sous la pluie. De la terrasse du café où on avait rendez-vous, je remarque que le magasin d’en face porte l’enseigne « Ioana » : il a le même nom que la poétesse que j’attends. Ioana Craciunescu est l’une des voix poétiques les plus confirmées en Roumanie. Elle est aussi cette actrice qui ne cherche pas la célébrité mais l’épreuve d’un cheminement dans des textes qui l’épuisent, des textes dont la seule lecture constitue un vécu. Aujourd’hui, elle donne en spectacle Les Chants de Maldoror. Interpréter Lautréamont sur scène est une gageure que seule une poétesse peut tenir.
Ioana Craciunescu est une poétesse précoce. Lycéenne, elle publia un poème qui lui valut d’être adulée et traduite en portugais. Elle ne l’apprit que bien des années après. Bien des années après, elle sut aussi qu’elle avait été invitée à l’étranger et qu’on avait dissimulé ces invitations préférant envoyer des poétereaux plus dociles, moins critiques et plus portés sur le panégyrique. C’était l’époque où La Maison des écrivains était une dépendance du parti unique. Pourtant Ioana Craciunescu garde une grande nostalgie de ces années, malgré la dictature policière de cette époque. Aujourd’hui, elle se rend souvent à Bucarest comme pour retrouver un passé révolu, comme pour rencontrer cet avenir encore peu certain qui se profile. Elle me dit ses peines passées et sa souffrance à voir la misère qui touche son pays. Elle souffre pour ces intellectuels, pour ces savants, ces chercheurs, ces philosophes et ces poètes qui vivent dans le besoin. Elle compare le gaspillage qu’elle voit en France à l’indigence des siens.
Revenons à sa poésie. Longtemps, j’ai cherché à la rencontrer et il me plaît de voir enfin cette silhouette que me rappelle Berthe Morisot peinte par Monet. De la terrasse du café, je remarque ce couple emmitouflé dans un seul manteau. Il y a du désir à Montmartre. Dans le café, face au magasin Ioana. Et partout. Je relis son recueil Hiver Clinique, paru au Luxembourg en 1996et j’y retrouve des images obsédantes de son enfance, des souvenirs de montagnes de neige et des peurs puériles. Il y a surtout ce dégoût de voler au-dessus d’une mare, de voler au-dessus de la boue du réel.
Ce qui a sauvé la poétesse, c’est sans doute sa prodigieuse aptitude à l’allégorie. Ioana Craciunescu peuple son univers d’êtres mythiques puisés dans les horreurs du vécu transformant de la sorte l’horreur de vivre en vision fantasmagorique. Ce n’est certainement pas un hasard si le premier poème du recueil s’intitule « Hiver clinique » et le deuxième « Mille et une nuits ». Je conclus de la contiguïté de ces deux poèmes qu’il faut du merveilleux, que le merveilleux a des vertus thérapeutiques. C’est sans doute pourquoi la poésie de Ioana Craciunescu réussit à passer de l’hiver clinique aux Mille et une nuits. Elle réussit à rendre fabuleux un monde immonde et écoeurant. Elle réussit même a réinventer son autobiographie comme dans ce poème qui rappelle Jules Supervielle et qui, puisant dans la fable et dans la fantasmagorie, prend souffle au bord du vide, du silence et de l’indicible :
« Je ne peux rien te raconter sur moi !
(…)
…j’étais étang plein de brochets en
chaleur, rivière de truites harcelées…
De tout ça, je ne peux rien te dire »
Le projet de Ioana Craciunescu est de mettre en fable l’ineffable. Chez elle, « les cauchemars font la queue pour prendre leur douche ». La mise en fable ne vise pas à embellir la réalité ; elle est quête de ce contre quoi la laideur tenace ne peut rien. Quête du poétique. Pourtant ses « yeux / éboueurs malades de ce siècle, ne peuvent plus regarder ».
Je ne trouve pas les questions que j’avais préparées pour elle. Pour meubler le silence, elle parle d’un autre café. Nous changeons deux fois de café pour trouver sa bière préférée. Ailleurs, je lui relis ce poème intitulé « Jeudi » :
« Peut-être un soir qui sait lequel
je mettrai de la dentelle
je grimperai sur la margelle
dans le saut
je serai belle. »
Ce sont ces vers qui m’ont fait aimer sa poésie. Longtemps, j’ai cherché à la voir. Pour ces vers, j’ai alerté tout le monde autour de moi…J’ai écrit partout. Peut-être est-ce pour cela qu’au bout d’un moment, nous nous sommes dit cette impression de nous connaître depuis longtemps.
Nous nous promettons de nous revoir à Tunis, Bucarest, Luxembourg ou Paris. L’évoquant, je pense aussi à ces vers :
« et toi, qui lis à satiété
toi, l’éternel insatiable qui tentes
de me lire avec une faim féroce »
Et encore ces vers :
« Cet art signifie plus que l’amour !
Il dure davantage ».
Voilà « le poème comme moyen de transport en commun »
Montmartre sous la pluie. De la terrasse du café où on avait rendez-vous, je remarque que le magasin d’en face porte l’enseigne « Ioana » : il a le même nom que la poétesse que j’attends. Ioana Craciunescu est l’une des voix poétiques les plus confirmées en Roumanie. Elle est aussi cette actrice qui ne cherche pas la célébrité mais l’épreuve d’un cheminement dans des textes qui l’épuisent, des textes dont la seule lecture constitue un vécu. Aujourd’hui, elle donne en spectacle Les Chants de Maldoror. Interpréter Lautréamont sur scène est une gageure que seule une poétesse peut tenir.
Ioana Craciunescu est une poétesse précoce. Lycéenne, elle publia un poème qui lui valut d’être adulée et traduite en portugais. Elle ne l’apprit que bien des années après. Bien des années après, elle sut aussi qu’elle avait été invitée à l’étranger et qu’on avait dissimulé ces invitations préférant envoyer des poétereaux plus dociles, moins critiques et plus portés sur le panégyrique. C’était l’époque où La Maison des écrivains était une dépendance du parti unique. Pourtant Ioana Craciunescu garde une grande nostalgie de ces années, malgré la dictature policière de cette époque. Aujourd’hui, elle se rend souvent à Bucarest comme pour retrouver un passé révolu, comme pour rencontrer cet avenir encore peu certain qui se profile. Elle me dit ses peines passées et sa souffrance à voir la misère qui touche son pays. Elle souffre pour ces intellectuels, pour ces savants, ces chercheurs, ces philosophes et ces poètes qui vivent dans le besoin. Elle compare le gaspillage qu’elle voit en France à l’indigence des siens.
Revenons à sa poésie. Longtemps, j’ai cherché à la rencontrer et il me plaît de voir enfin cette silhouette que me rappelle Berthe Morisot peinte par Monet. De la terrasse du café, je remarque ce couple emmitouflé dans un seul manteau. Il y a du désir à Montmartre. Dans le café, face au magasin Ioana. Et partout. Je relis son recueil Hiver Clinique, paru au Luxembourg en 1996et j’y retrouve des images obsédantes de son enfance, des souvenirs de montagnes de neige et des peurs puériles. Il y a surtout ce dégoût de voler au-dessus d’une mare, de voler au-dessus de la boue du réel.
Ce qui a sauvé la poétesse, c’est sans doute sa prodigieuse aptitude à l’allégorie. Ioana Craciunescu peuple son univers d’êtres mythiques puisés dans les horreurs du vécu transformant de la sorte l’horreur de vivre en vision fantasmagorique. Ce n’est certainement pas un hasard si le premier poème du recueil s’intitule « Hiver clinique » et le deuxième « Mille et une nuits ». Je conclus de la contiguïté de ces deux poèmes qu’il faut du merveilleux, que le merveilleux a des vertus thérapeutiques. C’est sans doute pourquoi la poésie de Ioana Craciunescu réussit à passer de l’hiver clinique aux Mille et une nuits. Elle réussit à rendre fabuleux un monde immonde et écoeurant. Elle réussit même a réinventer son autobiographie comme dans ce poème qui rappelle Jules Supervielle et qui, puisant dans la fable et dans la fantasmagorie, prend souffle au bord du vide, du silence et de l’indicible :
« Je ne peux rien te raconter sur moi !
(…)
…j’étais étang plein de brochets en
chaleur, rivière de truites harcelées…
De tout ça, je ne peux rien te dire »
Le projet de Ioana Craciunescu est de mettre en fable l’ineffable. Chez elle, « les cauchemars font la queue pour prendre leur douche ». La mise en fable ne vise pas à embellir la réalité ; elle est quête de ce contre quoi la laideur tenace ne peut rien. Quête du poétique. Pourtant ses « yeux / éboueurs malades de ce siècle, ne peuvent plus regarder ».
Je ne trouve pas les questions que j’avais préparées pour elle. Pour meubler le silence, elle parle d’un autre café. Nous changeons deux fois de café pour trouver sa bière préférée. Ailleurs, je lui relis ce poème intitulé « Jeudi » :
« Peut-être un soir qui sait lequel
je mettrai de la dentelle
je grimperai sur la margelle
dans le saut
je serai belle. »
Ce sont ces vers qui m’ont fait aimer sa poésie. Longtemps, j’ai cherché à la voir. Pour ces vers, j’ai alerté tout le monde autour de moi…J’ai écrit partout. Peut-être est-ce pour cela qu’au bout d’un moment, nous nous sommes dit cette impression de nous connaître depuis longtemps.
Nous nous promettons de nous revoir à Tunis, Bucarest, Luxembourg ou Paris. L’évoquant, je pense aussi à ces vers :
« et toi, qui lis à satiété
toi, l’éternel insatiable qui tentes
de me lire avec une faim féroce »
Et encore ces vers :
« Cet art signifie plus que l’amour !
Il dure davantage ».
Voilà « le poème comme moyen de transport en commun »
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