L’alouette et le pan de mur
Transylvanie. 2006. L’été est ombragé comme la forêt de Transylvanie. C’est dans ce pays qu’ont vu le jour Lorand Gaspar, Emil Cioran, Eugène Ionescu, Paul Celan, Constantin Brancusi, Tristan Tzara, Anna de Noailles…
Nous sommes dans les contrées où le monde latin jouxte le monde slave ; où l’Occident est mitoyen de l’Orient. Et il y a comme une exultation de ce voisinage visible historiquement dans l’ardeur de la confrontation entre les deux cultures. La fougue roumaine est perceptible dans la musique. Je pense à cette musique folklorique qui, tentant de restaurer le chant de l’alouette, le surpasse[1]. Transcender la mimesis en poïen, cela est l’affaire de l’art.
Les rhapsodies de Georges Enescu : contrairement à ma collègue roumaine, je ne sais laquelle des deux je préfère : la première, plus proche de l’entrain du folklore slave enjouée, allègre ou la seconde plus wagnérienne grande orchestration d’une douce mélancolie. Eau cristalline qu’importe ta source !
Il n’y a rien au monde qui puisse révéler l’idéal dans toute sa proximité, dans toute sa distance autant que la musique, cette épiphanie de l’idéal et de l’absence. Cela qui est loin est si près dit la musique. Comment translittérer George Enescu, son œuvre ? Il y a dans ses rhapsodies quelque chose d’essentiel ; il y a dans la deuxième rhapsodie une tristesse profonde qui n’est pas sans rappeler le « chajan » arabe ou la saudade portugaise.
Tristesse de l’alouette dont le chant est surpassé, ai-je pensé.
Ursus est une bière qui étanche bien la soif.
Hier, je suis allé voir Sibiu qui se prépare à devenir capitale culturelle de l’Europe. La ville se donne un coup de neuf pour mettre en évidence ses charmes anciens (les lucarnes de ses toits, yeux ouverts sur la cité, ses ruelles, les passerelles d’une maison à une autre). Une fois rénovée, la cité retrouvera tout le lustre d’antan. Mon passage à Sibiu est prématuré. La satisfaction qu’occasionne le voyage s’accompagne d’insatisfactions.
J’anticipe sur ce que Sibiu serait en 2007 et je vois une ville où il fait bon vivre. C’est en 2007 qu’il faut voir Sibiu.
Rasnov : L’on vient ici pour la citadelle, une de ces fortifications qui jalonnent la Transylvanie. La citadelle de Rasnov a un puits. Il a été creusé par des prisonniers Turcs. Creusant, ils ont écrit sur les parois du puits des versets coraniques. J’essaie de deviner quels versets ils ont pu graver sur les parois de leur existence. J’ai beau creuser dans ma mémoire, rien n’en jaillit. J’ai comme un vertige en pensant à l’allégorie du creusement. Vertige de la citation. Qui a chanté : « Les parois de ma vie sont lisses/Je m’y accroche et je glisse… » ? (Aznavour). Quand je relirai le Coran, j’essayerai de deviner à quels versets ces puisatiers exilés dans les entrailles de la terre ont pensé.
Puis, Bran : le château de Dracula. Je ne m’intéresse que très médiocrement au personnage de l’Irlandais Bram Stoker et de l’industrie cinématographique. Le tyran m’intéresse davantage. Il s’agit du prince de Valachie Vlad III l’Empaleur. Il aurait empalé 15 000 infidèles. Je retrouverai ses traces à Sighisoara. A Bran, dans son anglais arrogant, le guide explique que « malheureusement, Dracula n’avait pas bien fait son boulot, puisque des Turcs il y en a encore». Il ne se rendit pas compte de quelques moues de protestation silencieuse qui, çà et là, rappelait que le monde est aujourd’hui une réalité cosmopolite. A ce guide, je préfère la gentillesse de Carmen, diplômée de l’Université de Cluj et chercheur à Limoges.
De la terrasse du château, je ne suis attentif qu’à ce pan du mur séparant autrefois la Valachie de la Transylvanie. Etrange destinée des murs. A bien y réfléchir, c’est en littérature que les pans de murs survivent le mieux. La littérature aime les colorier. Cela va du jaune (Proust), au rose (Borges), au grisâtre (Zola). Laurent Fels parle, lui aussi, d’un « pan de mur gris ».
Une route en Transylvanie. Des meules de foin qui pensent à Breughel voisinent avec des villas somptueuses qui sentent fort l’euro et le dollar. L’argent des villes jouxte l’indigence rurale. Et la campagne vient proposer ses framboises, sa force de travail et ses dentelles à la ville, plus soucieuse de refaire ses fenêtres, d’aller au restaurant.
La Roumanie sort triomphante du socialisme après avoir abattu contre un mur écoeurant Ceausescu et son épouse. Aujourd’hui le pays est une véritable démocratie et l’essor économique est chose visible. Dans quelques années, les enfants ne viendront plus proposer des framboises aux touristes.
La route encore jusqu’à Sighisoara : sa forteresse, la magnificence de son horloge féerique. Ses tours. Ses ruelles. Le centre historique est classé patrimoine universel.
Transylvanie. 2006. L’été est ombragé comme la forêt de Transylvanie. C’est dans ce pays qu’ont vu le jour Lorand Gaspar, Emil Cioran, Eugène Ionescu, Paul Celan, Constantin Brancusi, Tristan Tzara, Anna de Noailles…
Nous sommes dans les contrées où le monde latin jouxte le monde slave ; où l’Occident est mitoyen de l’Orient. Et il y a comme une exultation de ce voisinage visible historiquement dans l’ardeur de la confrontation entre les deux cultures. La fougue roumaine est perceptible dans la musique. Je pense à cette musique folklorique qui, tentant de restaurer le chant de l’alouette, le surpasse[1]. Transcender la mimesis en poïen, cela est l’affaire de l’art.
Les rhapsodies de Georges Enescu : contrairement à ma collègue roumaine, je ne sais laquelle des deux je préfère : la première, plus proche de l’entrain du folklore slave enjouée, allègre ou la seconde plus wagnérienne grande orchestration d’une douce mélancolie. Eau cristalline qu’importe ta source !
Il n’y a rien au monde qui puisse révéler l’idéal dans toute sa proximité, dans toute sa distance autant que la musique, cette épiphanie de l’idéal et de l’absence. Cela qui est loin est si près dit la musique. Comment translittérer George Enescu, son œuvre ? Il y a dans ses rhapsodies quelque chose d’essentiel ; il y a dans la deuxième rhapsodie une tristesse profonde qui n’est pas sans rappeler le « chajan » arabe ou la saudade portugaise.
Tristesse de l’alouette dont le chant est surpassé, ai-je pensé.
Ursus est une bière qui étanche bien la soif.
Hier, je suis allé voir Sibiu qui se prépare à devenir capitale culturelle de l’Europe. La ville se donne un coup de neuf pour mettre en évidence ses charmes anciens (les lucarnes de ses toits, yeux ouverts sur la cité, ses ruelles, les passerelles d’une maison à une autre). Une fois rénovée, la cité retrouvera tout le lustre d’antan. Mon passage à Sibiu est prématuré. La satisfaction qu’occasionne le voyage s’accompagne d’insatisfactions.
J’anticipe sur ce que Sibiu serait en 2007 et je vois une ville où il fait bon vivre. C’est en 2007 qu’il faut voir Sibiu.
Rasnov : L’on vient ici pour la citadelle, une de ces fortifications qui jalonnent la Transylvanie. La citadelle de Rasnov a un puits. Il a été creusé par des prisonniers Turcs. Creusant, ils ont écrit sur les parois du puits des versets coraniques. J’essaie de deviner quels versets ils ont pu graver sur les parois de leur existence. J’ai beau creuser dans ma mémoire, rien n’en jaillit. J’ai comme un vertige en pensant à l’allégorie du creusement. Vertige de la citation. Qui a chanté : « Les parois de ma vie sont lisses/Je m’y accroche et je glisse… » ? (Aznavour). Quand je relirai le Coran, j’essayerai de deviner à quels versets ces puisatiers exilés dans les entrailles de la terre ont pensé.
Puis, Bran : le château de Dracula. Je ne m’intéresse que très médiocrement au personnage de l’Irlandais Bram Stoker et de l’industrie cinématographique. Le tyran m’intéresse davantage. Il s’agit du prince de Valachie Vlad III l’Empaleur. Il aurait empalé 15 000 infidèles. Je retrouverai ses traces à Sighisoara. A Bran, dans son anglais arrogant, le guide explique que « malheureusement, Dracula n’avait pas bien fait son boulot, puisque des Turcs il y en a encore». Il ne se rendit pas compte de quelques moues de protestation silencieuse qui, çà et là, rappelait que le monde est aujourd’hui une réalité cosmopolite. A ce guide, je préfère la gentillesse de Carmen, diplômée de l’Université de Cluj et chercheur à Limoges.
De la terrasse du château, je ne suis attentif qu’à ce pan du mur séparant autrefois la Valachie de la Transylvanie. Etrange destinée des murs. A bien y réfléchir, c’est en littérature que les pans de murs survivent le mieux. La littérature aime les colorier. Cela va du jaune (Proust), au rose (Borges), au grisâtre (Zola). Laurent Fels parle, lui aussi, d’un « pan de mur gris ».
Une route en Transylvanie. Des meules de foin qui pensent à Breughel voisinent avec des villas somptueuses qui sentent fort l’euro et le dollar. L’argent des villes jouxte l’indigence rurale. Et la campagne vient proposer ses framboises, sa force de travail et ses dentelles à la ville, plus soucieuse de refaire ses fenêtres, d’aller au restaurant.
La Roumanie sort triomphante du socialisme après avoir abattu contre un mur écoeurant Ceausescu et son épouse. Aujourd’hui le pays est une véritable démocratie et l’essor économique est chose visible. Dans quelques années, les enfants ne viendront plus proposer des framboises aux touristes.
La route encore jusqu’à Sighisoara : sa forteresse, la magnificence de son horloge féerique. Ses tours. Ses ruelles. Le centre historique est classé patrimoine universel.
A Sinaia, je mesure la splendeur du château de Peles, ancienne résidence des rois de Roumanie. On accède au château par un sentier bordé d’arbres et de marchands de souvenirs. Comme il fait bon sous l’ombre roumaine !
Klimt a passé sept ou huit ans ici. Je me dis en admirant ses œuvres que l’esprit a besoin d’opulence. Je m’arrête longuement devant les inscriptions arabes et persanes. J’en verrai d’autres dans la maison du compositeur Enescu.
(Une alouette qui ne chante pas aussi bien que dans la musique roumaine s’envole).
Dans les environs de Sinaia, il faut aller visiter la maison de George Enescu. Son emplacement, ses tapisseries persanes illustrant les Mille et Une Nuits, son calme sont un enchantement. La chambre monacale du maître et son dépouillement cistercien jurent avec l’opulence de ses partitions.
Le monastère de Sinaia respire le calme propice au recueillement. Je n’ai pas pu voir les icônes de ce monastère, pour cause de travaux. Je mets sur le compte de l’héritage socialiste l’accueil froid dans les monastères. Les moines assaillis par touristes et pèlerins ont du mal à rester affables.
Je mets sur le compte de l’héritage socialiste cette culture de la disette qui fait que les restaurants facturent les « extras » seuls : citron, pain… cela jure avec le caractère chaleureux de l’accueil.
Je mets sur le compte de l’héritage socialiste l’accueil que m’a réservé l’ambassade de Roumanie à Tunis : l’agressivité de la préposée, le dialogue de sourds avec l’attaché culturel qui me parle derrière son vitrage blindé. Une fois en Roumanie, je m’aperçois que j’avais payé pour un visa d’une semaine seulement or je devais rester dans le pays dix jours. Donc trois jours de clandestinité en Roumanie. Je n’aime pas cela !
Je n’en veux pas à la bureaucratie : elle ne peut prendre en charge les considérations poétiques ni même culturelles. Je suis en Roumanie pour participer au Congrès du CIEF, en marge du XI sommet de la Francophonie qui se tiendra ici.
A l’aéroport de Bucarest, l’agent de la police des frontières examine longuement mon passeport et ne voit pas qu’il a affaire à un « clandestin ». Le sourire de l’hôtesse de la TAROM efface tout.
[1] ciocîrlia" (alouette en roumain). Jalel El Gharbi
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