mardi 25 novembre 2008

La vie est une science erronée, un chef-d'oeuvre illisible

Georges de La Tour : Marie Madeleine en pénitence.

Je trouve sur le blog du poète québecois Robbert Fortin un texte que je lui ai consacré. Voici le texte. Robbert Fortin est décédé en avril 2008. Son blog est figé, froid http://leclairdelarose.blogspot.com .


Les dés de chagrin:
Robbert Fortin (Canada): Les dés de chagrin.Hexagone 2006.
Dans ce recueil, Robbert Fortin procède à une impitoyable confrontation entre le réel et ses images, entre la conscience de vivre et le vivre même, qui relève toujours de l’inconscient. Dans cette confrontation, Fortin interroge toutes les modalités de l’être : du rêve au vivre ensemble. Aiguillonné par une lancinante conscience de finitude, le poète est attentif à tous les signes de l’être. Sa poésie dit l’impérieuse nécessité d’entretenir le feu de la vie. C’est sans doute pourquoi les références à l’élément igné abondent dans ce recueil. Or le feu, signifie aussi cela qui consume une vie car « il y a des limites où le feu abolit l’inspiration qu’il éclaire. » Tout se passe comme si l’hymne à la vie confinait au thrène dans cette synonymie entre « pleurer » et « chanter » que nous connaissons si bien depuis Maâri.Il y a quelque chose d’ineffable dont se nourrit cette poésie. Une blessure irrigue le poème, y irradie : « Pour émouvoir je te dis il faut laisser la poésie traquer une certaine beauté de la blessure ». Donc, « beauté de la blessure » dit Robbert Fortin. De quelle blessure s’agit-il ? De quelle plaie, de quelle lésion, de quelle meurtrissure ? ? Celle d’être répond le recueil çà et là. Et cela donne au recueil sa beauté insoutenable. Relisons : « Etant donné l’état du monde/l’éventrement des roses/Je voudrais me rapprocher/de ce qu’on voit d’un regard/qui veut habiter ses rêves/en puisant au poème/cet invisible son qui vient/de ce qu’il y a de plus pur en moi/et fait appel à ce qui recommence? »« Le temps d’apprendre à vivre il est déjà trop tard » écrit Aragon. Et en écho, l’on peut lire ici cet aphorisme si exact : « la vie n’est pas une science exacte ». En marge de ce poème, j’ai noté au crayon noir : « la vie est une science erronée » et me suis promis de faire l’éloge de l’erreur. Et aujourd’hui, j’ajoute : un chef-d’œuvre illisible.Pour Robbert Fortin, la poésie est pensive. Elle pense le monde, transitivement et pronominalement : ici la poésie pense la pensée même. Comme le font les philosophes et des poètes comme Char. Lisant Robbert Fortin, je pense à Heidegger autant qu’à Char que le poète aime citer et réécrire comme pour un dialogue entre les deux poésies. Au verset chardien « la lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil » fait écho ce verset de Robbert Fortin : « la blessure est la flèche la plus rapprochée de la nuit ».Fortin est une voix puissamment lumineuse. A lire.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Quand même Jalel, vous mettez nos petits coeurs à rude épreuve ! Les adieux de Gabriel Garcia Marquez et maintenant ce doux poète dont le blog s'est figé dans les glaces de la mort. Toute cette beauté, toute cette douleur, toute cette souffrance que votre âme romantique comprend si bien !(Qu'il est beau ce billet !)
En son honneur puisqu'il aimait char et pour vous faire un peu sourire ces quelques fragments de bonheur :
"Merci d'être, sans jamais te casser, iris,ma fleur de gravité. Tu élèves au bord des eaux des affections miraculeuses, tu ne pèses pas sur les mourants que tu veilles, tu éteins des plaies sur lesquelles le temps n'a pas d'action, tu ne conduis pas à une maison consternante, tu permets que toutes les fenêtres reflétées ne fassent qu'un seul visage de la passion, tu accompagnes le retour du jour sur les vertes avenues libres."
C'est beau n'est-ce pas ? C'est dans le recueil "Lettera amorosa"...
Jalel, la vie mérite d'être vécue parce que son cadeau c'est le désir.
Pour vous cet iris.

Anonyme a dit…

ô je remets vite une majuscule à ce grand poète majuscule, Char , bien sûr !!!!

Jalel El Gharbi a dit…

@ Christiane : si je regarde par la fenêtre de mon bureau, je vois que le jasmin est encore en fleurs. A côté, il y a même une violette qui s'est trompée de saison. Jasmin pensant que c'est encore l'été et violette pensant que c'est déjà le printemps sont pour vous, chère amie.

Anonyme a dit…

Très émue...

K! a dit…

Il nous faut toujours des gens pour nous rappeler l'important.Comment entendre ces voix dans le bruit? Grâce à des posts tel le votre entre autres. Mais il en faut toujours plus...
Amicalement
Merci.

Lucie a dit…

J'ai rencontré l'écriture de Fortin sur le tard, mais elle continue de me toucher. Au moins, il aura reçu (peut-être trop tard) les honneurs auxquels il avait droit. Chef-d'oeuvre illisible? Seulement si on refuse la force de l'émotion.

« à travers ce qu'il a d'insaisissable /
l'être n'a pour se guider /
que cette petite lumière qui traverse /
sa nuit quand le feu mord ses cendres »

Jalel El Gharbi a dit…

@ K : Je vous remercie pour ce compliment joliment tourné.
Amicalement vôtre.
@ Lucie : tout chef-d'oeuvre devient lisible à deux.
Merci d'être passé, chère Lucie

Anonyme a dit…
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