Pluies
Soleil, soleil, soleil. Au Maghreb, il ne pleut guère en été. Soleil, soleil, soleil. Chems règne en dieu sans partage jusqu’à ce que les premières pluies d’automne viennent laver les meules de foin. La « laveuse de meules », comme on l’appelle du côté de Tunis, s’abat sur les régions septentrionales. Pluie, pluie, pluie, Matar, matar, matar comme dans le poème de Seyyeb ou alors : Still falls the rain, comme dans le poème d’Edith Sitwell ou encore comme dans le poème d’Emile Verhaeren :
La pluie
Longue comme des fils sans fin, la longue pluieInterminablement, à travers le jour gris,Ligne les carreaux verts avec ses longs fils gris,Infiniment, la pluie,La longue pluie,La pluie.
Chaque année, la laveuse de meules nous surprend, nous submerge, nous prend au dépourvu. Le lendemain, cela est dans les journaux : « Pluies bénéfiques sur le nord ».
Chez moi. Sur ma terrasse. Le mont Ichkeul ne relève plus du visible. Et ses eaux s’assombrissent. Et de lourds nuages venus de je ne sais où s’y mêlent. Et les éléments donnent libre cours aux affinités électives qu’ils entretiennent secrètement entre eux.
Still falls the rain
Pluie, pluie, pluie.
L’Atlas est un immense serpent assoiffé.
Ce sont surtout les villes qui en pâtissent : à Fez, à Alger ou à Bizerte, les rues ont d’étranges velléités vénitiennes sous la laveuse de meules.
Chaque année, la voirie révèle sa complicité avec les pluies.
Chaque année, une pensée pour Noé.
Pluie, pluie, pluie
Still falls the rain
Les premières pluies surprennent toujours. Nous en pâtissons sans que personne ne songe à s’en plaindre.
Still falls the rain.
Que de métamorphoses ! Que de destinées tragiques dans ces flots !
C’est un scarabée qui perd le nord et le sud !
C’est un nid de poule emporté par les flots !
C’est la terre devenant de la boue !
C’est la saison où les villes nous donnent leur boue dont nous ne savons que faire !
Les enfants aiment cette pluie torrentielle et toujours inattendue
Et nous faisons semblant de les gronder
Comme nous avons été grondés naguère.
Aujourd’hui, naguère est devenu jadis.
Et pluie, pluie, pluie
« Rendons grâce à Dieu » dit le paysan, dit la speakerine, dit l’ouvrière, dit l’enfant qui patauge dans les flaques d’eau, dit le commerçant, dit l’instituteur.
Et cela fait des siècles que nous craignons le déluge.
Pluie, pluie, pluie
Et l’orage continue.
Ce ne sont pas les pluies de mars, les dernières de l’année. Elles sont douces, elles. Elles n’ont rien de wagnérien, rien de verlainien. Ce sont des pluies d’inspiration impressionniste. Elles diluent le paysage dans une aquatique luminosité. Elles tempèrent l’ardeur solaire. Après, ce ne sera plus que soleil, soleil, soleil.
Les pluies de mars, tant souhaitées, ont des accointances avec la richesse, elles : elles l’entraînent. Elles promettent de bonnes récoltes : olives, oranges, figues et surtout des meules bien fournies que les laveuses de meule viendront dépoussiérer.
Pluie, pluie, pluie.
Cette année, il n’y aura pas de prière pour la pluie. Les riches cultivateurs n’égorgeront pas de moutons en sacrifice pour qu’il pleuve comme dans le poème de Seyyeb. Et les enfants ne sortiront pas avec cette mystérieuse effigie de « Mère Tangho» pour demander la clémence du ciel. Cette année, il a déjà bien plu. Les prières se renouvelleront en mars.
Matar, matar, matar
Soleil, soleil, soleil. Au Maghreb, il ne pleut guère en été. Soleil, soleil, soleil. Chems règne en dieu sans partage jusqu’à ce que les premières pluies d’automne viennent laver les meules de foin. La « laveuse de meules », comme on l’appelle du côté de Tunis, s’abat sur les régions septentrionales. Pluie, pluie, pluie, Matar, matar, matar comme dans le poème de Seyyeb ou alors : Still falls the rain, comme dans le poème d’Edith Sitwell ou encore comme dans le poème d’Emile Verhaeren :
La pluie
Longue comme des fils sans fin, la longue pluieInterminablement, à travers le jour gris,Ligne les carreaux verts avec ses longs fils gris,Infiniment, la pluie,La longue pluie,La pluie.
Chaque année, la laveuse de meules nous surprend, nous submerge, nous prend au dépourvu. Le lendemain, cela est dans les journaux : « Pluies bénéfiques sur le nord ».
Chez moi. Sur ma terrasse. Le mont Ichkeul ne relève plus du visible. Et ses eaux s’assombrissent. Et de lourds nuages venus de je ne sais où s’y mêlent. Et les éléments donnent libre cours aux affinités électives qu’ils entretiennent secrètement entre eux.
Still falls the rain
Pluie, pluie, pluie.
L’Atlas est un immense serpent assoiffé.
Ce sont surtout les villes qui en pâtissent : à Fez, à Alger ou à Bizerte, les rues ont d’étranges velléités vénitiennes sous la laveuse de meules.
Chaque année, la voirie révèle sa complicité avec les pluies.
Chaque année, une pensée pour Noé.
Pluie, pluie, pluie
Still falls the rain
Les premières pluies surprennent toujours. Nous en pâtissons sans que personne ne songe à s’en plaindre.
Still falls the rain.
Que de métamorphoses ! Que de destinées tragiques dans ces flots !
C’est un scarabée qui perd le nord et le sud !
C’est un nid de poule emporté par les flots !
C’est la terre devenant de la boue !
C’est la saison où les villes nous donnent leur boue dont nous ne savons que faire !
Les enfants aiment cette pluie torrentielle et toujours inattendue
Et nous faisons semblant de les gronder
Comme nous avons été grondés naguère.
Aujourd’hui, naguère est devenu jadis.
Et pluie, pluie, pluie
« Rendons grâce à Dieu » dit le paysan, dit la speakerine, dit l’ouvrière, dit l’enfant qui patauge dans les flaques d’eau, dit le commerçant, dit l’instituteur.
Et cela fait des siècles que nous craignons le déluge.
Pluie, pluie, pluie
Et l’orage continue.
Ce ne sont pas les pluies de mars, les dernières de l’année. Elles sont douces, elles. Elles n’ont rien de wagnérien, rien de verlainien. Ce sont des pluies d’inspiration impressionniste. Elles diluent le paysage dans une aquatique luminosité. Elles tempèrent l’ardeur solaire. Après, ce ne sera plus que soleil, soleil, soleil.
Les pluies de mars, tant souhaitées, ont des accointances avec la richesse, elles : elles l’entraînent. Elles promettent de bonnes récoltes : olives, oranges, figues et surtout des meules bien fournies que les laveuses de meule viendront dépoussiérer.
Pluie, pluie, pluie.
Cette année, il n’y aura pas de prière pour la pluie. Les riches cultivateurs n’égorgeront pas de moutons en sacrifice pour qu’il pleuve comme dans le poème de Seyyeb. Et les enfants ne sortiront pas avec cette mystérieuse effigie de « Mère Tangho» pour demander la clémence du ciel. Cette année, il a déjà bien plu. Les prières se renouvelleront en mars.
Matar, matar, matar
18 commentaires:
Jalel,
je crois que vous avez rarement écrit quelque chose d'aussi beau !
Ah, cette incantation: matar, matar, matar ! Elle va me rester en mémoire.
oui, j'ai moi aussi été emporté par ce texte splendide, bravo Monsieur Gharbi, et vivement les prochains ! :)
Au second plan de vos commentaires, et même de vos essais, on distinguait le poète derrière le lettrés, ici le lettré est passé derrière le poète…
Nos pluies sont pareilles aux vôtres, Jalel, la ruelle (carrughju) prend des allures d'oued infranchissable! L'eau dévale à tout va et emporte les talus déboisés. Mais après, après que la pluie a cessé, c'est une féerie de couleurs, de fraîcheur! La montagne prend des airs de coquette et aiguise ses reliefs.
Aujourd'hui, grand beau soleil. Mais matar est annoncée pour demain. Alerte orange claironnée à grand renfort de précautions à prendre et à tenir! Je suis les conseils des tortues, je sors avant la menace.
Belle journée à vous, Jalel.
Il pleut des signes d'amitié de toute poésie sur ce blog. Merci Christiane (qui avez encore oublié de signer), Merci Angèle Paoli pour ce beau nuage de proximité.
Merci Nicals Vasse et Andrea Maldeste.
Bien à vous
Alors, une goutte de pluie oubliée pour la signature oubliée !
christiane
je garde en tete l'éloge que vous faites de la pluie!
je pense que les amateurs de ce genre de spectacle non improvisé,atteingnent une sorte de transparence psychique,une paix intérieure et une sérinité....
sur cette rive de la méditérranée la pluie a une connotation positive,c'est elle qui abreuve "les sillons" pour justement donner la vie.
de nos jours les enfants ne brandissent plus ces poupées géantes "Mère tango";pourquoi une mére plutot q'un pére?c'est parceque la femme symbolise la fértilité?c'est elle qui enfante,elle est porteuse d'éspoir de vie de renouveau.
Hélas ces belles alllegories se trouvent en perdition.
l'imaginaire collectif au fil du temps avait cousu autour de la pluie beaucoup de dictons.on a souvent entendu nos grands- parents dire en attendant impatiemment la saison des pluies ou en regardant une pluie diluvienne :"s'il y en a trop, ou pas assez c'est signe de colére (divine).!
c'etait leur façon d'expliquer'les lourds nuages '..souvents très capricieuse...qui nous viennent de nul part.
@ Olfa : A propos de "Mère Tango" (Oum-ek Tango), je pense que c'est une survivance du culte rendu à la déesse Tanit (l'Astarté phénicienne, l'Ishtar Babylonienne) qui était très vénérée à Carthage et souvent sous le nom de OUM (qu'on retrouve sous la forme arabisée Oumek Tango signifiant mère).
Merci de votre passage
merci pour cette ouverture sur l'histoire, Tanit était la déesse phénicienne de la fértilité,la naissance et la croissance.
vous avez pu voir ce lien pourtant si difficile à percevoir entre la déesse et "mère tango".
il ya toujours ce pont qui relie les cultures et les civilisations,mais rare ceux qui le voient.
merci pour cette richesse.
Matar matar
le soleil aveugle
« la veille où Grenade fût prise »
matar matar
sur les roses de l'Alhambra
sang et larmes
@ Merci Olfa.
@ Michel : L'association de Seyyeb et d'Aragon me réjouit.
Merci de votre passage.
Sur la rive d'en face ,( en provence ) la pluie tombait dru aussi ces derniers temps , mais je me souviens de cet orage que nous avons essuyé en octobre l'an passé à Tunis et des rues transformées en rivières, les gens sur les toits des bus et les voitures emportées par les flots dans le plein centre de la ville .C'était impressionnant !
je trouve ce texte exaltant ! et si généreux ...
oui , merci Jalel ...
"Il pleut, petite servante, il pleut jusqu'au fond du ciel, jusqu'au fond des campagnes de feuilles et de fleurs harassées. Et derrière la pluie, au bout du monde, chante le coucou. Tu souris un peu, tu touches du fin des doigts les sous minces des pourboires. Et moi j'écoute à travers le long frémissement de l'averse les deux notes creuses descendre, éveiller dans le cœur qui s'ensommeille le miracle d'un jeune cœur perdu."
Gustave Roud, Air de la solitude
@ NicoleA : oui, ces pluies qui marquent la fin de l'été sont impressionnantes.
@ Helenablue : merci chère amie de votre passage
@ Katch : Merci pour la citation.
C'est bien bon de vous laisser ainsi aller au ruissellement d'une pluie douce .Avec nostalgie , l'odeur de la terre me parvient et j'entends les cris joyeux de ces enfants barbouillés de farine et d'oeuf pour oumk tango !
@ Soulef : Associées au souvenir, les odeurs sont encore plus agréables. Elles deviennent mode de survie du passé. Je vous remercie de votre passage.
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