Dans son Journal, Albert Palma est bien plus qu’un diariste. Ou alors, le jour est pour lui une étendue entre deux textes, entre deux cheminements, entre deux questions. Le jour a pour lui la consistance des pleins et des déliés. Prenons un raccourci : Palma calligraphie la durée, comme pour lui donner l’épaisseur des choses lues.
Il y a chez ce poète des interminables questionnements quelques obsessions, quelques archétypes qui disent son parcours. Ce sont des choses simples, comme par exemple l’importance du corps, de ses rythmes en tant qu’objets inhérents à l’acte de penser. Nous sommes aussi nos corps et nos pensées ne peuvent se défaire du charnel, qui est tout sauf contingence. D’où la calligraphie, ou tout autre art. Peut-être parce que le « Kallos » de la calligraphie a besoin de chair. Toute beauté, même la plus picturale, même la plus sculpturale, même la plus scripturale est souffle. C’est-à-dire un autre nom de la chair quand elle est invisible. L’œuvre d’Albert Palma insinue qu’il faut des détours, par exemple : l’œuvre d’Henry Bauchau, une page de Hegel, le Japon, une œuvre de Bach pour atteindre une autre version du silence, une autre qualité des choses (appelons cela sublimation). Bien entendu, ce mouvement de détour est l’essence même du faire poétique. La poésie est affaire de détours, de chemins de traverse, de « raccourcis » permettant d’aller plus loin. Elle aime tourner autour, quasi intransitivement. Ici, c’est le corps qu’elle a choisi de sublimer. Je cherche à dire que pour Albert Palma, écrire, c’est cheminer le plus loin possible, pour parvenir à soi, dans cette proximité entre distance et proximité qui est la caractéristique des grandes oeuvres. Tout se passe comme si l’être n’était pas le fruit d’une donation (au sens où les phénoménologues emploient le terme) mais le fruit d’une quête. Il y a du désir dans l’air. Et le désir est désir d’altérité. Ou mieux encore, c’est un désir qui exige la complicité, entre autres, celle du détour mais aussi celle du partage, de la co-lecture, car le cheminement induit cette camaraderie de la route. C’est pour cela que l’on voit Albert Palma interroger ses amis, les lire, lire leurs lectures. Où a-t-il puisé cette humilité devant la connaissance ? On serait tenté d’attribuer cette attitude à l’influence de l’Orient. Or, il me semble que c’est en lui-même qu’Albert Palma s’est toujours ressourcé. Je ne parle pas d’une volonté triomphante, d’un surcroît de désirs qu’il aurait traduits ici, dans son Journal. Je parle plutôt de ces instants de fragilité, ceux où il éprouve que le corps est aussi ses défaillances, celles qui viennent à bout de « l’affreuse soif ». Le corps éprouvé est une voie vers la connaissance. Cela nous le savons depuis très longtemps. Ce que nous savons moins, c’est le rôle de la connaissance dans les instants où l’on est le plus frêle. Que peut le beau ? Albert Palma illustre l’utilité de l’art « J’ai bien failli ne plus croire en la poésie du monde » écrit-il après un scanner qui a failli l’assimiler à un gisant dit-il. Ce qui est signifié ici, c’est que la poésie est le souffle du monde. Dès lors, écrire, c’est traquer ce souffle au quotidien. Tel est le travail du diariste.
[1] Albert Palma : Le peuple de la main Henry Bauchau sur ma route. Editions Jean Pol Bayol. 2007. ISBN : 978-2-916913-04-9
Il y a chez ce poète des interminables questionnements quelques obsessions, quelques archétypes qui disent son parcours. Ce sont des choses simples, comme par exemple l’importance du corps, de ses rythmes en tant qu’objets inhérents à l’acte de penser. Nous sommes aussi nos corps et nos pensées ne peuvent se défaire du charnel, qui est tout sauf contingence. D’où la calligraphie, ou tout autre art. Peut-être parce que le « Kallos » de la calligraphie a besoin de chair. Toute beauté, même la plus picturale, même la plus sculpturale, même la plus scripturale est souffle. C’est-à-dire un autre nom de la chair quand elle est invisible. L’œuvre d’Albert Palma insinue qu’il faut des détours, par exemple : l’œuvre d’Henry Bauchau, une page de Hegel, le Japon, une œuvre de Bach pour atteindre une autre version du silence, une autre qualité des choses (appelons cela sublimation). Bien entendu, ce mouvement de détour est l’essence même du faire poétique. La poésie est affaire de détours, de chemins de traverse, de « raccourcis » permettant d’aller plus loin. Elle aime tourner autour, quasi intransitivement. Ici, c’est le corps qu’elle a choisi de sublimer. Je cherche à dire que pour Albert Palma, écrire, c’est cheminer le plus loin possible, pour parvenir à soi, dans cette proximité entre distance et proximité qui est la caractéristique des grandes oeuvres. Tout se passe comme si l’être n’était pas le fruit d’une donation (au sens où les phénoménologues emploient le terme) mais le fruit d’une quête. Il y a du désir dans l’air. Et le désir est désir d’altérité. Ou mieux encore, c’est un désir qui exige la complicité, entre autres, celle du détour mais aussi celle du partage, de la co-lecture, car le cheminement induit cette camaraderie de la route. C’est pour cela que l’on voit Albert Palma interroger ses amis, les lire, lire leurs lectures. Où a-t-il puisé cette humilité devant la connaissance ? On serait tenté d’attribuer cette attitude à l’influence de l’Orient. Or, il me semble que c’est en lui-même qu’Albert Palma s’est toujours ressourcé. Je ne parle pas d’une volonté triomphante, d’un surcroît de désirs qu’il aurait traduits ici, dans son Journal. Je parle plutôt de ces instants de fragilité, ceux où il éprouve que le corps est aussi ses défaillances, celles qui viennent à bout de « l’affreuse soif ». Le corps éprouvé est une voie vers la connaissance. Cela nous le savons depuis très longtemps. Ce que nous savons moins, c’est le rôle de la connaissance dans les instants où l’on est le plus frêle. Que peut le beau ? Albert Palma illustre l’utilité de l’art « J’ai bien failli ne plus croire en la poésie du monde » écrit-il après un scanner qui a failli l’assimiler à un gisant dit-il. Ce qui est signifié ici, c’est que la poésie est le souffle du monde. Dès lors, écrire, c’est traquer ce souffle au quotidien. Tel est le travail du diariste.
[1] Albert Palma : Le peuple de la main Henry Bauchau sur ma route. Editions Jean Pol Bayol. 2007. ISBN : 978-2-916913-04-9
4 commentaires:
"la poésie est le souffle du monde", je me rappelle avoir écrit ces mots à un ami il y a quelques mois déjà... décidément nous empruntons un même chemin cher Jalel. Ce blog, qui est bien plus, est une oasis, un lieu où l'on se ressource, où l'on reprend des forces, où l'on s'enrichit. Je viens de commander cet ouvrage d'Albert Palma (que je ne connaissais pas) ainsi que "l'esprit du geste" et "la voie du shintaïdo" aux éditions Albin Michel. Je m'intéresse depuis quelques années au "Zen", aux poètes qui vont avec, à cette autre façon de parcourir le monde et la vie, et voilà que votre article croise ma route :)
Votre "blog" est une mine Jalel, merci pour votre partage.
Amitié, nicolas
@ Nicolas Vasse : Venant d'un poète comme vous, ces mots me flattent. Ravi de partager ce cheminement avec vous.
jalel.elgharbi@@@gmail.com (mettre un seul @)
Amicalement
Cette écriture d'Albert Palma est liée semble-t-il à Henri Bauchau. Je ne le connais pas mais ce que vous m'en dîtes me donne envie de le lire.
Ce jour-là, je dessinais, j'écrivais. Sur La scène du musée Guimet, une troupe fabuleuse jouait Gengis Khan d'H.Bauchau.
Merveilleux partage.
A la fin, les comédiens ont salué le maître qui était assis au quatrième rang. Je suis partie en lui laissant mes dessins, tellement émue.
Ces écritures, Jalel, c'est de la vie, foisonnante, belle, sauvée. Ce sont des hommes, des femmes, qui offrent ce dire pour ne pas mourir.
En attendant de lire A.Palma, cadeau à vous et à vos lecteurs de ce Gengis Khan si différent d'Antigone, d'Oedipe, de l'enfant bleu, du boulevard périphérique.
"Oloune
- Vous me croyiez endormie, mais je voulais que vous appreniez à désobéir et à le payer. Quand vous reveniez triomphants, votre peau de loup sur la tête, je prenais ce bâton et je frappais. Je t'ai tiré bien des larmes...Ainsi vos coeurs se sont faits indomptables et tu es devenu Temoudjin...
Tu as reçu de moi l'instinct du sceptre, lui la vigueur de l'archer."
Voilà mes poètes ! désobéissez ! Soyez la belle victoire de la langue, de la royauté de l'esprit sur tout ce qui oppresse et décolore le langage...
@ Christiane : Merci chère amie. Bel appel à la désobéissance.
Amitiés
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