Tabou ? الحرام
Le présent billet se propose surtout de soulever des questions, de susciter une réflexion. Mon point de départ est une question relevant de la traduction : comment traduire « tabou » en arabe ? La question revient à dire qu’est-ce qui est tabou dans cette culture et surtout ce qui définit l’interdiction ou le tabou musulman.
Le mot rapporté de Polynésie par James Cook a été arabisé et cela a donne tâbou, pluriel tabouhettes. Mais je ne pense pas que l'emprunt suffise.
Quelle est la nature du « tabou » dans la culture arabo-musulmane ? Quel est le sujet tabou par excellence ? Théologiquement, il y a un seul interdit : l’entité divineالذات الإلهية , c’est-à-dire l’essence de la divinité. C’est le seul sujet qui soit interdit parce qu’inconnaissable. La connaissance de Dieu, de l’identité divine, de son essence, de sa « nature » ne peut se faire que par les qualités de Dieu, c’est-à-dire ses noms. Dieu ne peut ni être représenté, ni même pensé. Il est nommé.
Et la sexualité ? Le pouvoir ? L’homosexualité ? L’inceste ? L’argent ?
Une première remarque, c’est qu’il s’agit d’interdits récents. Pour aller vite, ce sont des interdits qui remontent à la décadence. Tout laisse à penser qu’une société fragilisée multiplie les interdits. Les traités de sexologie sont légion dans la culture arabe et on entend aujourd’hui encore qu’il « n’est pas de sujet honteux en matière de religion ». Nous avons même une description détaillée de certains détails de la vie intime du prophète. Il serait donc intéressant de chercher à partir de quel moment le tabou s’est installé. Il est vrai que nous ne connaissons pas de représentation picturale, « d’images » ayant trait à la sexualité, à l’homosexualité. On peut avancer que pendant très longtemps l’interdit ne frappait pas les livres. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à lire le livre de Jahiz Les Animaux. On trouvera, par exemple des récits de zoophilie qu’il serait téméraire d’écrire aujourd’hui. Depuis quand les livres sont-ils entrés dans la zone de la censure ? Je remarquerai juste ceci : l’œuvre de Bachar a été publiée par Cheikh Tahar Ben Achour. Qu’est-ce qui fait que certaines universités (La Zeitouna, par exemple) était plus ouverte que d’autres ? D’où vient ce puritanisme exacerbé ? A quel besoin répond le wahabisme ?
L’homosexualité : il n’y a qu’à consulter le premier manuel de littérature arabe pour comprendre combien elle était répandue.
Le véritable tabou me semble être le statut des parents, notamment celui du père. On trouvera une évocation de l’inceste initial dans le Coran mais point de révolte contre le père.
Ni Œdipe Roi, ni Hamlet, ni les frères Karamazov ne sont pensables dans la culture arabo-musulmane. Le seul à s’être défié de la figure du père, c’est Maari. Dans le Coran, le père est une figure sacrée. Il ne vient même pas à l’esprit d’Ismaël de lui désobéir. Les frères de Joseph ne remettent à aucun instant leur père en question. C’est de leur frère qu’ils cherchent à se débarrasser mais jamais de leur père dont la responsabilité n’est à aucun moment invoquée.
Comment définir le tabou – j’entends celui qui est inhérent à la culture arabo-musulmane- celui frappant la figure paternelle.
Il m’est arrivé de proposer le terme الحرام HARAM. Non pas dans le sens de péché mais dans le sens de sacré « masjid haram », qui ne doit pas être profané « chahr haram », (plus vernaculairement, ce qu’on appelle dans un emploi dévoyé dans les pays du Golfe HORMA , femme qui ne peut être « abordée » parce que mariée. Le mot est ici péjoratif.)
La première caractéristique de ce qui ne doit pas être profané est d’être profane (ou tout au moins apte à être profané). Ainsi donc le propre du tabou musulman est de faire voisiner en lui sacré et profane. Dieu n’est pas un tabou (l’entité divine mise à part), le prophète non plus n’est pas un tabou, la sexualité n’est pas un tabou, l’argent n’est pas un tabou. Le tabou résulte de la contiguïté entre sacré et profane : la mère, le père.
Le présent billet se propose surtout de soulever des questions, de susciter une réflexion. Mon point de départ est une question relevant de la traduction : comment traduire « tabou » en arabe ? La question revient à dire qu’est-ce qui est tabou dans cette culture et surtout ce qui définit l’interdiction ou le tabou musulman.
Le mot rapporté de Polynésie par James Cook a été arabisé et cela a donne tâbou, pluriel tabouhettes. Mais je ne pense pas que l'emprunt suffise.
Quelle est la nature du « tabou » dans la culture arabo-musulmane ? Quel est le sujet tabou par excellence ? Théologiquement, il y a un seul interdit : l’entité divineالذات الإلهية , c’est-à-dire l’essence de la divinité. C’est le seul sujet qui soit interdit parce qu’inconnaissable. La connaissance de Dieu, de l’identité divine, de son essence, de sa « nature » ne peut se faire que par les qualités de Dieu, c’est-à-dire ses noms. Dieu ne peut ni être représenté, ni même pensé. Il est nommé.
Et la sexualité ? Le pouvoir ? L’homosexualité ? L’inceste ? L’argent ?
Une première remarque, c’est qu’il s’agit d’interdits récents. Pour aller vite, ce sont des interdits qui remontent à la décadence. Tout laisse à penser qu’une société fragilisée multiplie les interdits. Les traités de sexologie sont légion dans la culture arabe et on entend aujourd’hui encore qu’il « n’est pas de sujet honteux en matière de religion ». Nous avons même une description détaillée de certains détails de la vie intime du prophète. Il serait donc intéressant de chercher à partir de quel moment le tabou s’est installé. Il est vrai que nous ne connaissons pas de représentation picturale, « d’images » ayant trait à la sexualité, à l’homosexualité. On peut avancer que pendant très longtemps l’interdit ne frappait pas les livres. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à lire le livre de Jahiz Les Animaux. On trouvera, par exemple des récits de zoophilie qu’il serait téméraire d’écrire aujourd’hui. Depuis quand les livres sont-ils entrés dans la zone de la censure ? Je remarquerai juste ceci : l’œuvre de Bachar a été publiée par Cheikh Tahar Ben Achour. Qu’est-ce qui fait que certaines universités (La Zeitouna, par exemple) était plus ouverte que d’autres ? D’où vient ce puritanisme exacerbé ? A quel besoin répond le wahabisme ?
L’homosexualité : il n’y a qu’à consulter le premier manuel de littérature arabe pour comprendre combien elle était répandue.
Le véritable tabou me semble être le statut des parents, notamment celui du père. On trouvera une évocation de l’inceste initial dans le Coran mais point de révolte contre le père.
Ni Œdipe Roi, ni Hamlet, ni les frères Karamazov ne sont pensables dans la culture arabo-musulmane. Le seul à s’être défié de la figure du père, c’est Maari. Dans le Coran, le père est une figure sacrée. Il ne vient même pas à l’esprit d’Ismaël de lui désobéir. Les frères de Joseph ne remettent à aucun instant leur père en question. C’est de leur frère qu’ils cherchent à se débarrasser mais jamais de leur père dont la responsabilité n’est à aucun moment invoquée.
Comment définir le tabou – j’entends celui qui est inhérent à la culture arabo-musulmane- celui frappant la figure paternelle.
Il m’est arrivé de proposer le terme الحرام HARAM. Non pas dans le sens de péché mais dans le sens de sacré « masjid haram », qui ne doit pas être profané « chahr haram », (plus vernaculairement, ce qu’on appelle dans un emploi dévoyé dans les pays du Golfe HORMA , femme qui ne peut être « abordée » parce que mariée. Le mot est ici péjoratif.)
La première caractéristique de ce qui ne doit pas être profané est d’être profane (ou tout au moins apte à être profané). Ainsi donc le propre du tabou musulman est de faire voisiner en lui sacré et profane. Dieu n’est pas un tabou (l’entité divine mise à part), le prophète non plus n’est pas un tabou, la sexualité n’est pas un tabou, l’argent n’est pas un tabou. Le tabou résulte de la contiguïté entre sacré et profane : la mère, le père.
12 commentaires:
Très intéressant. Merci.
Pourquoi la mère et le père ? Ce sont les créateurs ?
Est-ce qu'ils sont sur le même pied d'égalité ?
@...عمشة في دار:
1) Pourquoi le père et la mère : tout simplement parce que c'est l'origine. Ce tabou rejoint celui qui frappe l'entité divine (l'origine de tout). Contrairement au Christianisme (culte de Noël et de Pâques), l'islam cherche à préserver le mystère de l'origine et de la disparition.
2) La première place revient à la mère, la figure sacrée par excellence.
Merci de votre passage.
Fascinante analyse.
1) Je ne comprends pas le 1er point. A la base, y-a-t-il une différence entre le christianisme et l'islam ? Je ne pense pas, les pratiques sont différentes, mais le message est le même. La vierge Marie n'est pas la mère sacrée ? (en plus elle est vierge !)
2)Le deuxième explique tout, du moins sur le plan sociologique. La mère est la figure sacrée par excellence, par rapport à la femme. La femme n'accède à ce statut sacré que quand elle devient mère, avant ça, ce n'est qu'une menace pour l'homme, il faut la canaliser, la cacher, la soumettre.
Je simplifie peut-être, mes connaissances dans le domaine de la pensée théologique sont limitées, mais le sujet est passionnant, et j'ai beaucoup aimé le post. Merci.
Etonnant qu'il n'y ait pas de traduction immédiate du mot "tabou", révélateur sans doute. Le père et la mère ont sans doute deux rôles très distincts, donc chacun une place différente et un pouvoir différent, non ? La mère a la première place, dites-vous, mais là, est-elle mère ou aussi femme ?
@ Lucie : Merci ma chère amie.
@ عمشة في Comme vous je suis fermement convaincu que la relgion est une mais culturellement, il s'agit de visions du monde différentes. Qu'il y ait deux visions du monde ne contrendit en rien l'unité du monde.
Merci.
@ Brigitte Giraud : Cela n'a rien d'étonnant qu'il n'y ait pas de traduction immédiate en arabe. En français, en anglais, en italien il n'y en a pas non plus. Tabou est un mot polynésien.
J'ai parlé de la mère et non de la femme. عمشة في دار explique bien qu'il y a deux statuts différents.
Merci pour votre passage.
Le Coran ne parle jamais de "tabou"
à proprement dit, l'homme libre en trouve l'essence, c'est vrai à travers le père et la mère, l'état cognitif que ses géniteurs lui ont offert. Ce qui est malheureux dans la religion, ce sont les traditions qu'on lui colle de façon "ignorante" et culturelle. Oui, en ce sens la culture "ethnologiquement" parlant fait du tort à la parole de tous les prophètes. Les on-dits, les voisins, les congénères attribuent "le tabou" au dépens des livres sacrés, tous les livres sacrés.
Arriver, entrer dans l'Islam sans le poids des traditions, en tant qu'occidental voire "catholique né" prouve cette évidence. Le tabou ne sera jamais le Haram, le tabou n'est pas divin, il est HUMAIN, uniquement et essentiellement humain. Tous les Dieux laissent l'homme libre face à lui même. TOUS.
Votre billet éveille en moi la conscience de cette liberté, je suis. Je suis face à Dieu et aux hommes. Le tabou ne signifie rien pour moi parce que j'essaie à chaque instant d'aimer et respecter mon prochain, qu'il soit blanc, noir, hétéro ou homosexuel. Le mal. Oui, le mal existe pas le tabou. Il suffit d'un peu de poésie, d'amour, de conscience de la vie et de la mort, de l adifférence de tous les autres pour réaliser que le tabou n'existe pas ou ne devrait pas exister.
Mais il est tard et je suis fatiguée et je lis vos mots de façon "passionnelle", une mauvaise addition qui donne un mauvais résultat.
Jalel, je vous salue.
Ne crois-tu pas, cher Jalel, que le meilleur moyen de trouver une traduction au mot TABOU est encore d’en définir la signification contemporaine, qui n’est plus vraiment celle des dictionnaires. Je pense qu’un TABOU est aujourd’hui un interdit social ou religieux dont la cause première, parfaitement justifiée pour des raisons de santé ou de survie de l’individu mais surtout de l’espèce, s’est partiellement ou entièrement perdue. Figé dans le temps par l’immobilisme de la tradition plus encore que par les religions elles-mêmes qui ont toutefois contribué à sa cristallisation par le précepte sacré, le TABOU devient absurde et arbitraire, quand il n’est pas réexaminé à la lumière des nouvelles conditions sociales et naturelles. Cette remise en question est d’ailleurs un gageure, quand les religions se sont emparées du TABOU pour en faire des prescriptions/commandements qui revêtent par là même un caractère sacré ou plutôt pseudo-sacré auquel les traditionalistes et intégristes s’accrochent, sans comprendre combien cette confusion nuit à l’essence et la crédibilité de la pensée religieuse.
Tu pourrais peut-être créer un mot composé dans le genre « interdit social dont la raison d’être n’a pas été actualisée » (ou réactualisée, pour ceux qui préfèrent ce mot qui est un pléonasme en soi). Une traduction simple, au prix bien sûr de la précision, pourrait être : « interdit fossile »
De toute manière, je pense qu’il ne devrait pas y avoir des TABOUS, seulement des interdits raisonnés et logiquement justifiés.
@ Lidia : Bien sûr que le Coran ne parle pas de tabou.
Je ne me réfère pas à l'ethnographie parce qu'il me semble qu'elle induit un regard extérieur. Mon entreprise est purement sémiotique (en ce sens que je cherche ce qui fait signe, c'est-à-dire sens).
J'ai bien noté que le mot HARAM n'est pas employé dans le sens de "PECHE", INTERDIT mais dans le sens de SACRE, A NE PAS PROFANER (chahr haram) (haram universitaire)
OUI : l'essentiel : cette liberté.
Merci de votre passage et de votre commentaire.
Bien à vous
@ Giulio : Justement la question s'est posée pour moi dans le contexte religieux. Je pense que l'emploi actuel du mot, tel que tu le définis, ne pose pas de problème : il y a un mot : MAHDHOUR محضور.
L'idée d'"interdi fossile" est une pure merveille. Merci cher ami.
Bonjour Jalel,
Suite à la lecture de votre billet et des commentaires j'en vient à la conclusion que le dernier tabou serait la désobéissance, à Dieu, à ses parents, à la société, etc. Qu'en pensez-vous?
@ Isabelle-henry :Bonjour Isabelle.
Je ne pense pas qu'en la matière on puisse penser par syllogisme. Ce sont des choses différentes. Je prétends par ailleurs que l'islam comprend que des hommes puissent pêcher (ou désobéir à Dieu). Un hadidh dit même que Dieu n'aurait pas crée à l'homme s'il ne savait pas qu'il désobéirait. Quant à la désobéissance sociale, je ne pense pas qu'elle ait un contenu relgieux.
Mais dans les faits, on a souvent chercher à faire induire de tels interdits.
Merci de votre passage.
Enregistrer un commentaire