On a voulu faire oublier ce mutin, ce poète polyglotte, anarchiste, honni et maudit.
ARMAND ROBIN
Armand Robin naquit à Plouguernével dans les Côtes-du-Nord le 19-1-1912 huitième enfant d'une famille modeste, il fut vacher, comme tous les enfants de sa région. Ce bretonnant de naissance décida d'apprendre les langues et en maîtrisa une vingtaine dont le persan, le roumain, le hongrois, le russe, le mongol, le gallois, l'arabe... Ce révolté qui se disait révolutionnaire fit des études des plus classiques : préparation des concours de l'E.N.S, puis de l'agrégation. Il sympathise très jeune avec le P.C mais un voyage en URSS effectué en 1935 l'éloigna définitivement de la grand-messe communiste. Plus tard, il payera cher cette rupture avec les communistes et son adhésion à la Fédération anarchiste.
S'il est un poète dont il est malaisé d'écrire la biographie c'est bien lui : voilà un homme qui écrit pour défaire sa vie, pour s'y soustraire. En 1940, il publie son premier recueil Ma Vie Sans Moi titre éloquent pour un poète qui écrivait : «J'ai choisi, pour me bâtir, d'être partout détruit ». Il traduit Goethe pour la Pléiade et se fait remarquer en 1942 par un roman Le Temps Qu'il Fait «grand poème où la prose cherche le vers» selon l'expression de Maurice Blanchot. Paulhan et Supervielle saluent son inspiration lyrique. Ce texte ne pouvait que plaire à un Supervielle : on y voit des animaux qui assistent le héros dans sa quête du savoir, on y voit des chevaux qui parlent... Il est presque un écrivain confirmé. En 1944, pour vivre, il passe ses nuits à écouter la radio et publie un bulletin d'écoute qu'il ronéotype lui-même. Tiré à quelques vingtaines d'exemplaires, parfois à cinquante, ce bulletin comptait des abonnés aussi illustres que le Canard Enchaîné, le comte de Paris, l’Élysée et le Vatican. Des années qu'il passe à écouter Radio Moscou, Radio Tirana, Radio Pékin et toutes les autres radios spécialistes de démagogie, de propagande et de ce qui s'appellera plus tard la langue de bois, sortira en 1953 un essai La Fausse Parole où il est le premier à analyser les mécanismes ensorcelants du surgissement du non-langage. On ne sait pourquoi à la Libération il est considéré comme indigne. Voici sa réaction à ceux qui lui jettent l'anathème :
«Paris ma grand' Ville
Trois millions de dénonciateurs
Sous l'oppresseur
Hitlérien
Trois millions de dénonciateurs
Sous l'oppresseur
Stalinien
Trois millions de dénonciateurs
Attendent tout oppresseur,
Lettre en main.
Et trois millions d'écrivains
Applaudissent: "C'est très bien !"
En 1945, il publie un autre recueil Les Poèmes Indésirables où on peut lire des pages d'une violence à la mesure du discrédit qu'on a voulu jeter sur lui. Robin ne peut se complaire dans le rôle de la victime, il préfère sortir ses griffes « Il n'y a plus de pensée, il n'y a plus que des clairons ; il n'y a plus de poète, il n'y a plus que des Aragon ». Plus rien ne fera taire ce poète qui rêvait d'amour et se voyait embarqué dans des altercations où il n'avait rien à faire. En 1946, il fait paraître une plaquette qui porte la mention suivante :«Armand Robin, inscrit sur la liste noire des écrivains français : Poèmes de Boris Pasternak, inscrit sur la liste noire des écrivains soviétiques. Édition mise en vente au profit des militants prolétariens victimes de la bourgeoisie communiste». Suivent d'autres recueils qui s'inspirent entre autres de la poésie arabe Poésie Non Traduite I et II (Gallimard). On voit le poète à Sèvres, à Lausanne d'où il revient avec une déception amoureuse, on le voit avec son ami Brassens. Personne ne présageait pas le drame, on commençait même à penser qu'il y avait de la place pour des anarchistes qui du reste étaient des excentriques, des originaux, des anticonformistes, des poètes qui n'ont jamais posé de bombes. En 1961, la France est un pays méconnaissable, capable du pire. Robin répétait à qui voulait l'entendre "Je suis un fellagha".
On ne sait pourquoi Robin est arrêté un jour au 7ème arrondissement, on sait encore moins pourquoi il décède quelques jours après (le 31 mars 1961) à l'infirmerie du dépôt. Mort mystérieuse retiendra l'histoire littéraire. Mort mystérieuse !!
Choix bibliographique :
Ma Vie sans moi NRF poésie/ Gallimard.
Omar Khayam Rubayat traduction d’Armand Robin poésie/ Gallimard.
Armand Robin naquit à Plouguernével dans les Côtes-du-Nord le 19-1-1912 huitième enfant d'une famille modeste, il fut vacher, comme tous les enfants de sa région. Ce bretonnant de naissance décida d'apprendre les langues et en maîtrisa une vingtaine dont le persan, le roumain, le hongrois, le russe, le mongol, le gallois, l'arabe... Ce révolté qui se disait révolutionnaire fit des études des plus classiques : préparation des concours de l'E.N.S, puis de l'agrégation. Il sympathise très jeune avec le P.C mais un voyage en URSS effectué en 1935 l'éloigna définitivement de la grand-messe communiste. Plus tard, il payera cher cette rupture avec les communistes et son adhésion à la Fédération anarchiste.
S'il est un poète dont il est malaisé d'écrire la biographie c'est bien lui : voilà un homme qui écrit pour défaire sa vie, pour s'y soustraire. En 1940, il publie son premier recueil Ma Vie Sans Moi titre éloquent pour un poète qui écrivait : «J'ai choisi, pour me bâtir, d'être partout détruit ». Il traduit Goethe pour la Pléiade et se fait remarquer en 1942 par un roman Le Temps Qu'il Fait «grand poème où la prose cherche le vers» selon l'expression de Maurice Blanchot. Paulhan et Supervielle saluent son inspiration lyrique. Ce texte ne pouvait que plaire à un Supervielle : on y voit des animaux qui assistent le héros dans sa quête du savoir, on y voit des chevaux qui parlent... Il est presque un écrivain confirmé. En 1944, pour vivre, il passe ses nuits à écouter la radio et publie un bulletin d'écoute qu'il ronéotype lui-même. Tiré à quelques vingtaines d'exemplaires, parfois à cinquante, ce bulletin comptait des abonnés aussi illustres que le Canard Enchaîné, le comte de Paris, l’Élysée et le Vatican. Des années qu'il passe à écouter Radio Moscou, Radio Tirana, Radio Pékin et toutes les autres radios spécialistes de démagogie, de propagande et de ce qui s'appellera plus tard la langue de bois, sortira en 1953 un essai La Fausse Parole où il est le premier à analyser les mécanismes ensorcelants du surgissement du non-langage. On ne sait pourquoi à la Libération il est considéré comme indigne. Voici sa réaction à ceux qui lui jettent l'anathème :
«Paris ma grand' Ville
Trois millions de dénonciateurs
Sous l'oppresseur
Hitlérien
Trois millions de dénonciateurs
Sous l'oppresseur
Stalinien
Trois millions de dénonciateurs
Attendent tout oppresseur,
Lettre en main.
Et trois millions d'écrivains
Applaudissent: "C'est très bien !"
En 1945, il publie un autre recueil Les Poèmes Indésirables où on peut lire des pages d'une violence à la mesure du discrédit qu'on a voulu jeter sur lui. Robin ne peut se complaire dans le rôle de la victime, il préfère sortir ses griffes « Il n'y a plus de pensée, il n'y a plus que des clairons ; il n'y a plus de poète, il n'y a plus que des Aragon ». Plus rien ne fera taire ce poète qui rêvait d'amour et se voyait embarqué dans des altercations où il n'avait rien à faire. En 1946, il fait paraître une plaquette qui porte la mention suivante :«Armand Robin, inscrit sur la liste noire des écrivains français : Poèmes de Boris Pasternak, inscrit sur la liste noire des écrivains soviétiques. Édition mise en vente au profit des militants prolétariens victimes de la bourgeoisie communiste». Suivent d'autres recueils qui s'inspirent entre autres de la poésie arabe Poésie Non Traduite I et II (Gallimard). On voit le poète à Sèvres, à Lausanne d'où il revient avec une déception amoureuse, on le voit avec son ami Brassens. Personne ne présageait pas le drame, on commençait même à penser qu'il y avait de la place pour des anarchistes qui du reste étaient des excentriques, des originaux, des anticonformistes, des poètes qui n'ont jamais posé de bombes. En 1961, la France est un pays méconnaissable, capable du pire. Robin répétait à qui voulait l'entendre "Je suis un fellagha".
On ne sait pourquoi Robin est arrêté un jour au 7ème arrondissement, on sait encore moins pourquoi il décède quelques jours après (le 31 mars 1961) à l'infirmerie du dépôt. Mort mystérieuse retiendra l'histoire littéraire. Mort mystérieuse !!
Choix bibliographique :
Ma Vie sans moi NRF poésie/ Gallimard.
Omar Khayam Rubayat traduction d’Armand Robin poésie/ Gallimard.