mardi 17 novembre 2009

Le mur de Nefta جدار نفطة



Du bon usage des murs
Jalel El Gharbi


Aux portes du désert, dans cette oasis où l’on vénère le savoir, l’érudition, la poésie et la grammaire, il y avait, jusqu’au début du vingtième siècle, un mur. Et il y avait dans ce mur, des fentes, des fêlures, des failles et des fissures qui faisaient une belle paronomase en [f]. Ces lézardes étaient assez profondes pour contenir des poèmes, des récits de voyage, des commentaires érudits ou des traités de grammaire. A Nefta, il n’y avait pas de bibliothèque publique. Il y avait juste les failles du mur. Tout lecteur qui trouvait un texte intéressant se devait de l’y déposer. Tout lecteur désireux de cheminer dans un texte intéressant pouvait venir l’emprunter aux failles du mur. Les étudiants qui revenaient de Tunis y déposaient les meilleurs cours qu’on donnait à l’Université : théologie érudite mais aussi pages de poésie, la plus permissive. Ceux qui revenaient du pèlerinage, prêtaient au mur des textes glanés au Caire ou à Damas. On ramenait aussi de belles pages de Fez la féerique. Et d’autres déposaient leur propre création. J’imagine un poème interminable où l’auteur languit d’amour pour une femme de son Nord. Poème interminable comme la constance d’une douleur ou d’un mur interminables. Il devait y avoir un enfer dans cette bibliothèque: traités d’amour érigeant les ébats érotiques en apologie de l’âme incarnée dans un corps angélique et des poèmes de cette tribu lointaine où on ne mourrait que d’amour. La leçon du mur est que le savoir est un don anonyme. La bibliothèque du mur n’est pas une institution. Aucun maître n’y trône. Et l’on n’est redevable qu’à son cheminement. Tel un palmier, le savoir n’a pas besoin de tuteur. Il suffit de longer le mur (l’arabe dit littéralement: «marcher et le mur», comme si le mur marchait, lui aussi). Et le mur longe l’oasis et le désert. Et il faut toute une vie pour «faire» ce mur. Lire, se lire: longer son mur. Mesurer l’étendue du désert qu’il cache, la profondeur de l’oasis qu’il protège.

8 commentaires:

Feuilly a dit…

Ce mur marque donc la limite entre la nature (le désert) et la culture (l’oasis). Rien d‘étonnant à ce qu’on glisse des poèmes dans ses failles. Il dit aussi qu’au-delà de lui, il n’y a pas de vie possible et que c’est dans le cercle qu’il délimite que se trouve l’essentiel pour l’homme. Une nouvelle fois on retrouve donc le thème de l’insularité, l’oasis formant une sorte d’îlot de culture dont le mur serait la falaise.

christiane a dit…

Ah, ça alors, c'est extraordinaire ! un mur murmurant...

Pier Paolo a dit…

Eh bien, voilà qui est magnifique. On érige des murs pour se séparer, se barricader, rester à l'écart de l'Autre. Et en ce cas, on a raison de dire qu'il faut faire tomber les murs.
Voilà un mur qui rassemble, qui réunit, qui élève. Un mur culturel, un mur qui enrichit. Vraiment paradoxal. En tout cas, celui-là, on n'aurait pas dû l'abattre.

ZAHRATEN a dit…

j'offre à tes lecteurs un poème de feu Mnaouer Smadah (1931-98), poète natif de la ville de Nefta..

نبئـت أنـك مـن ربـوع بـلادي
الطوق طوقك والشجون بــوادي
عيناك ألهمتـا خطــاب متيــم
قد ضـاق بالأسـرار والأصفــاد
وعلى جناحـك رف منـها خافـق
متواصـل الدقات مـلء فـؤادي
أنا من قصدت!فسل تجبك ثغورها
مـن كـل غصـن عابــق ميــاد
وسـل الصوادح وهـي تروي قصتي
وترجع المنـداح مــن إنشـادي
أنا من عنت، ,اناالمعنى بعدها
أحيــا بذكـراها على ميعـاد
حدث عن الخـضـراء وهي بعيـدة
سلمــت تدنـت رغم كـل بعـاد
واهدل فمـا كـان الحنين لغيرها
واسجع فما تـوحي فأنت الحادي
وصف النخيل أما يزال مـرددا
فيه اليمـام روائـع الأوراد؟
بسط الجريـد إلى السماء أكفـه
فأجابـت الأقدار في الأبعـــاد
حدث عن الزيتـون بان متـوجا
مثل العيـون عليه ذات سـواد
وعـن الـدوالي كـالمجــرة لمـع
مـــن كل نجــم لاح بالإسعــاد
وعـن الصحـاب وكل غاوية بنا
هلا ذكرنا بينهــم في النـادي
أنا من قصدت فلا تسل عن غيرنا
هات الرسالة يانـزيل الوادي
واحمل إليها خـافقـا من لوعة
بين الضلــوع وخــني لسهــادي
فبمستهل الدمـع أكتبـها لهـا
!فلربمــا حنــت إلى الأكبــاد

giulio a dit…

Hélas, mes amis tous, ce mur est du passé (jusqu'au début du 20ème siècle) Il est intéressant de te voir, cher Jalel, glisser au cours du texte du passé vers le présent... comme pour faire revivre ce mur, le rendre actuel.
Mais le passé
reste passé...
sauf à l'intérieur
de nous mêmes
encore un bout
de ce temps
beaucoup trop
bref, auquel
nul mur
ne résiste.

Autre version, plus souriante, du mur de Nefta: Internet (1 ou deux siècles de gagnés?)

Jalel El Gharbi a dit…

Un mot en toute hâte pour remercier Feuilly, Christiane, Pier Paolo, Zahraten, Giulio
Amicalement

Unknown a dit…

C'est tout simplement beau,
"Le Mur de Nefta" je ne manquerai pas de le faire lire ...

Jalel El Gharbi a dit…

Merci chère Sonia.
Amicalement