vendredi 28 mai 2010

Giulio-Enrico Pisani présente Salah al Hamdani


Dans le dernier numéro de la Zeitung Vum Lëtzebuerger Vollek, notre ami l'écrivain Giulio-Enrico Pisani présente le poète irakien Salah al Hamdani :


Salah al Hamdani ou...
« L’exilé (qui) se couche seul entre les lignes de l’histoire »

Grâce à l’interview que Brigitte Giraud (1), écrivaine et artiste bordelaise, a mis en ligne, j’ai découvert le poète, acteur et dramaturge irakien Salah al Hamdani. Vous en faire partager les points forts et les commenter de mon mieux c’est bien sûr tout un. Quant à l’original, écoutez & voyez-le donc sur http://paradisbancale.over-blog.com/article-une-rencontre-avec-salah-al-hamdani-ma-video-49744167-comments.html ! Encore un de ces poètes et écrivains au génie passerelle entre sud et nord, orient et occident ! Un de plus, en fait, parmi ces esprits qui, attachés à leurs racines, à leur argile, comme dit Salah, savent pourtant voir et « empathiser » bien au-delà de leur pré carré. Je vous en ai déjà présentés quelques-uns dans ces colonnes, des Jalel El Gharbi, Amin Maalouf, Tahar Bekri, Abdellatif Laâbi, Mahmoud Darwich, Laurent Mignon, Hamid Skif, Boualem Sansal, Jean Ziegler et autres Tawfiq Zayyad, ces hommes dont se nourrit l’espoir.
Né en 1951 à Bagdad, Salah s’oppose à la dictature et aux guerres de Saddam Hussein, est exilé 30 années durant en France et s’oppose toujours... à l’occupation anglo-américaine de l’Irak. À l’instar de son « ancêtre »( ?) (2) Abu Firas al Hamdani, il commence à écrire en prison... politique. Il a 20 ans. Aujourd’hui, acteur et metteur en scène, il a joué dans plusieurs films, dont « Bagdad on/off » de Saad Salman, dont il a coécrit les dialogues et a interprété divers rôles au théâtre, dont L’épopée de Gilgamesh au Théâtre National de Chaillot et Kofor Shama, tournée européenne avec la troupe El Hakawatti de Jérusalem. (3) Il écrit et publie en arabe et en français de nombreux récits, nouvelles et poèmes. Certains de ses textes furent même publiés en arabe dans des journaux interdits en Irak à l’époque de Saddam.
« Je suis d’une famille modeste et nombreuse du centre de Bagdad », nous dit Salah, « et je me rappelle toujours mon père... Il disait : “Si tu sors et si tu n’as même pas dix centimes, ce n’est pas la peine de revenir à la maison.” C’est-à-dire qu’on est un enfant embarqué directement dans la vie ; on ne sait pas quoi faire. Alors il y a l’angoisse de l’enfant qui ne sait comment rentrer. Il n’avait pas de violence, mais c’était un lâche. J’ai commencé à travailler pratiquement à l’âge de sept ans. Avec insistance, je pleurais, je disais à mon père que je voulais aller à l’école... Puis je suis allé à l’école... »
Et voici quelques extraits des réponses de Salah al Hamdani à Brigitte Giraud, qui nous le présente comme « le Poète entre deux rives » et précise qu’elle a filmé l’entrevue au théâtre « La Boîte à jouer » de Bordeaux le 24 mars 2010. C’était juste avant le spectacle “Au large de douleur”, mis en scène par François Mauget du Théâtre des Tafurs d’après le livre de Salah, dans le cadre de « Demandez l’impossible - Le Printemps des poètes ».
Lorsque Brigitte lui demande : « Qui est-tu vraiment, Salah : écrivain, poète, certes, mais « au large de quelle douleur ? » (4), pense-t-il seulement à son poème « …Tant de jours / où Bagdad glisse dans un raz de douleur / qui recouvre / d’éloignement / les remous du deuil./ Et aujourd’hui, / l’Euphrate berceau des voiliers / dans les mains d’un pirate./ Tant de nuits / à écouter les gémissements des palmiers / comme un parjure à toutes les souffrances./ Il est tant de blessures à te dire encore : / Je veux que la vie soit aux habitants de Mésopotamie / ce que leur bourreau est à la tombe… », qui sera dit dans quelques instants ? Qui sait ? Quoiqu’il en soit, il sourit et précise modestement :
C’est important pour un écrivain de venir écouter les autres dans son propre texte. On a un autre écho. J’ai (...) quelques ouvrages parce que je ne peux pas tout amener, donc c’est à moi de trimballer mes livres, un vendeur de tapis, quoi ! Je suis un ancien exilé du régime de Saddam Hussein ; en fait c’est ça. (...) on parle des exilés d’aujourd’hui, des gens qui fuient l’Irak parce qu’il y a des problèmes catastrophiques, mais des vrais exilés de Saddam, on n’en parle plus, comme si on n’était plus des victimes. Pourtant on a souffert avec ce régime.
Dans ta chair, tu as souffert ?
J’ai été torturé, j’ai été condamné.
Ce qui fait que lorsque tu es venu en France, tu t’es plus ou moins sauvé, il fallait sauver ta peau ?
Oui, un exilé, sa tête est mise à prix, c’est pour ça qu’il est exilé. Il n’est pas immigré (...) l’exilé a un projet politique pour son pays, c’est pour cela aussi qu’il est exilé et qu’il reste une menace. (Plus tard, à deux pas de là, les spectateurs d’« Au large de douleur » entendront : « L’exilé se couche seul / entre les lignes de l’histoire / tandis que les larmes de sa bien-aimée / elles aussi / montrent la noyade du fleuve. »)
Et depuis la France, tu as une façon de résister, d’entrer en résistance ?
Oui, j’ai été engagé jusqu’à aujourd’hui. Je me suis engagé dans des partis politiques contre le régime, j’étais responsable de la Ligue des artistes irakiens démocratiques en France (...) Je suis à visage découvert, je n’ai pas de cagoule, et donc c’est une menace à la fois sur ma vie et sur ma famille en Irak. C’est un risque à prendre à un moment donné et que j’ai pris, bien évidemment. J’ai milité, j’affichais la nuit pour dénoncer le régime, là où on sait que se trouvaient les services de renseignements de Saddam Hussein. C’est une bataille de toutes les nuits (...), de toutes les saisons. Il y a des militants en France qui militent contre les fachos, contre les ambassadeurs, ou des ministères.
Mais ici, on risque moins ?
Non, ils peuvent nous tuer, ce n’est pas caché. Ils ne se cachent pas (...) les fachos. Je me rappelle qu’un jour, devant l’ambassade de l’Irak, un policier français a été tué et après, Saddam a payé...
Mais comment est-ce qu’ils voyagent en Irak, tes livres ?
Ils ne les connaissent pas.
Même sous le manteau ?
A une certaine époque, mes textes passaient en arabe, pas en français, bien entendu. Certaines radios libres, dans le nord de l’Irak, (...) Kurdes, passaient mes textes, et les gens les écoutaient... Après trente ans, arrivé à Bagdad, je n’ai rien reconnu. (...) J’arrive. Il y a une maison. Je suis je ne sais où. En trente ans, les gens ont vécu, ils ont fait le deuil aussi, ils ont fait le deuil de toi, tu n’existes plus. Donc tu réveilles toute cette histoire ancienne et du coup toute la douleur remonte. Dans ce livre, “Le retour à Bagdad”, j’explique comment la porte s’ouvre, et les gens sont venus courir vers moi comme si une flamme était dans leur vêtement. C’était ça. On attrape l’autre, on a tellement d’amour à lui donner, on ne sait plus quoi faire, on le mord, on l’embrasse, on lui tire les cheveux, on ne sait pas... Quand après trente ans d’exil, il y a la rencontre avec la mère, elle ne sait pas quoi faire, cette pauvre femme, moi non plus d’ailleurs. Donc les larmes, cette lamentation, les pleurs... On pleure pendant une demi-journée. Après, tu te dis, bon, qu’il faut arrêter, que la vie continue... »
(Un très beau poème de Salah, « Seul le vieux tapis fleurissait le sol » évoque ce moment d’égarement et de bonheur : « La maison avait changé d’adresse / ma photo avait changé de place / la table avait été pliée derrière la porte / la chaise de mon père, aussi,/ seul le vieux tapis fleurissait le sol // Je t’ai trouvée enfin / dans un jardin nu / avec ton grand châle noir / l’esprit en dérive / enfilée dans tes prières / l’âge cousu sur le visage // J’ai cru serrer un palmier agonisant / Puis dans mes bras,/ j’ai reconnu ma mère. »).
Le rapport avec la terre est très fort, non ?
Oui, bien entendu, l’Irak est un rapport direct avec l’argile. L’Irak est une terre d’argile, une terre fertile. La Mésopotamie... bien entendu, c’est une relation avec la terre...
L’entrevue prend fin, car la rencontre avec le public commence. Brigitte nous avoue : « Moi, j’aurais aimé prendre dans ma boîte à images et à mots, ce qu’il dit de sa rencontre de lecture avec Albert Camus, qui est à l’origine du choix de sa terre d’exil. “Un pays qui avait porté un tel homme ne pouvait pas être mauvais. C’était là, en France, où je devais aller.” » Camus ? Et pourquoi pas ? Quand je pense qu’il y en a pour comparer son « ancêtre » Abu Firas à Edgar Poe !
***
1) Brigitte Giraud a publié aux Éditions Le Bord de l’eau « L’anorexie, un mystère galvaudé » ; chez Pleine Page « La Nuit se sauve par la fenêtre » et « Des ortolans et puis rien » ; chez l’Harmattan « L’éternité, bien sûr » et anime plein de choses, dont le blog paradisbancale.over-blog.com
2) Ancêtre ? Qui sait ? Parent en poésie de prison comme Villon, de Viau Marot, Chénier, Apollinaire, Pellico, en tout cas. Peut-être aussi de nation, car né à Mossoul (Iraq) en 932 et mort à Homs (Syrie) en 968, Abu Firas al Hamdani est un poète de la grande famille des Hamdanides (Haute Mésopotamie). Capturé par les Byzantins lors d’une bataille, il écrivit notamment les « Rûmiyyât », son recueil de poèmes le plus connu.
3) La troupe El Hakawatti est attachée au Palestinian National Theatre (PNT), association non lucrative oeuvrant pour la vie culturelle de Jérusalem avec des programmes artistiques, pédagogiques et ludiques, qui reflètent les aspirations du peuple palestinien.
4) Allusion à l’ouvrage « Au Large de douleur » de Salah al Hamdani, L’Harmattan, Paris, 2000, dont est inspiré le spectacle et sont extraits ces vers. Autres publications en français : voir encadré !
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Gorges bédouines, Le Cherche Midi, Paris, 1979
Les Hauts Matins, L’Escalier blanc, Paris, 1981
Mémoire d’eau, Caractères, Paris, 1983
Traces, Editions Spéciales, Paris, 1985
Au-dessus de la Table, un Ciel, L’Harmattan, Paris, 1988 et 2001
Le Doute, Caractères, Paris, 1992
Mémoire de braise, L’Harmattan, Paris, 1993
L’Arrogance des jours, L’Harmattan, Paris, 1997 *
Ce qu’il reste de lumière, L’Harmattan, Paris, 1999
Au large de Douleur, L’Harmattan, Paris, 2000
J’ai vu, L’Harmattan, Paris, 2001
Le cimetière des oiseaux La traversée, L’Aube, France, 2003
Le Cimetière des oiseaux (récits), suivi de Bagdad mon amour (poèmes),
Éditions de l’Aube, 2003, avec la collaboration d’Isabelle Lagny.
Le retour à Bagdad, Les points sur les i, 2006
Bagdad à ciel ouvert, L’Idée bleue / “Les Écrits des Forges”, 2006
Bagdad mon amour, Les Ecrits des Forges - FIP (2008)
Le balayeur du désert, Editions Bruno Doucey (2010)
Giulio-Enrico Pisani

4 commentaires:

Evel a dit…

Je viens de passer commande de deux recueils – au gré des disponibilités des achats par correspondance…–. Merci de votre article, de vos articles Giulio. Evel

giulio a dit…

Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage,
et joyeux de voir que vous à votre tour,
abordez, chère Evelyne ces si proches rivages,
qui ne sont étrangers ni au poète ni à l'amour.
.

brigitte giraud a dit…

Merci à toi, jalel, davoir fait trace du bel article de Giulio. Belle chaîne fraternelle tissée de poésie. Je suis dans ce ravissement. Tout n'est pas foutu !

Jalel El Gharbi a dit…

@ Brigitte Giraud : Merci.
Amicalement