Dès 1963, la gauche marxiste léniniste tunisienne fonde le mouvement Perspectives, qui donnera par la suite Al Amel Ettounsi (L’ouvrier Tunisien), la répression ne s’est pas fait attendre.
L’on assiste aujourd’hui à une sorte de rétrospection générale. Littérairement, cela peut être illustré par le dernier ouvrage de Mohamed Salah Fliss Am Hamda Al Attel (littéralement oncle Hamda le portefaix) Après Mon combat pour les lumières (éditions Zellige. Paris 2009) de l’éminent juriste, universitaire et même ministre Mohamed Charfi (1936-2008), qui revient sur son parcours de militant de gauche, après les ouvrages de Gilbert Naccache dont on citera Cristal et plus récemment Qu’as-tu fait de ta jeunesse, itinéraire d’un opposant au régime de Boourguiba (1954-1979) (éditions du Cerf, 2009) et après « El Habs Katheb » mémoires de Fethi Ben Hadj Yahia, Mohamed Salah Fliss, figure connue de l’opposition en Tunisie, apporte son témoignage sur cette période de l’histoire du pays. C’est une nouvelle page dans la littérature carcérale en Tunisie. Né en 1946, Fliss s’engage très tôt dans l’action politique que connaît le pays au lendemain de son indépendance. En 1968, il est arrêté une première fois, puis en 1972, puis en 1974 pour être libéré en 1979. Ce fut l’époque où le pouvoir, trop frileux, cherchait à décimer la gauche. Et la gauche n’avait pas d’autres recours que de résister. Dans cette autobiographie, Fliss revient sur les années de détention qu’il a passées à Tunis, Kasserine et Bizerte à la prison de Borj Erroumi. Dans ce texte de haute tenue littéraire, l’auteur ne fait montre d’aucun ressentiment. Il ne s’agit nullement d’un règlement de comptes ni d’une délectation morose. Fliss n’a écrit ce texte que pour rendre hommage à son père, un docker qui s’est saigné aux quatre veines pour que ses enfants puissent suivre des études et pour qu’ils aient une éducation irréprochable. Ce père décède alors que Mohamed Salah est en prison. Contrairement aux usages en cours dans le pays, c’est à peine si l’administration pénitentiaire –plus exactement la DST- lui permet de se recueillir auprès de la dépouille paternelle. Il sera privé d’assister aux funérailles. Ce fut pour le détenu une douleur insoutenable et on le voit traiter de tous les noms les policiers civils qui l’escortent, puisant dans le même langage cru qu’ils utilisent avec les détenus politiques.Il est difficile de faire l’éloge de l’ère de Bourguiba après la lecture de ce récit. Tout y est : le régionalisme, la pratique de la torture, l’intolérance, le machiavélisme... Mais cela n’est rien en comparaison avec les erreurs politiques, la manière cavalière avec laquelle fut menée la bataille de Bizerte. Au cours de l’été 1963, la ville fut engagée dans un combat inégal auquel elle n’a pas été préparée. En fait, elle fut livrée à la vindicte de l’armée française , à ses parachutistes et l’on apprend à la lecture de ce récit qu’il y avait des Tunisiens dans cette armée. La rancœur bizertine remonte à cette époque. Elle semble même avoir nourri l’engagement politique de MS Fliss. Au cours de ce semblant de guerre – en fait de purs massacres- Fliss perd son frère. Tout se passe comme si l’engagement devait à chaque fois se solder par un deuil. Un itinéraire qui va de commotion en commotion. Ce qui semble sauver l’auteur, c’est l’amour pour les siens, pour sa ville et pour les livres.
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