Un nouveau récit autobiographique vient enrichir la littérature carcérale en Tunisie. Il s’agit de l’excellente autobiographie de Mohamed Salah Fliss « ‘Am Hamda Al ‘Attel عم حمدة العتال», un texte poignant, à la langue savoureuse.
Aucune haine, mais de la clairvoyance. Aucun ressentiment, mais de la poésie. Aucune mièvrerie, mais de la fermeté. Voici un extrait traduit pour vous. L’auteur est en prison à Borj Roumi dans les années 1970, on lui apprend le décès de son père :
L’espace n’était plus celui d’une prison pas plus que le temps n’était celui de l’arrestation. La trame n’était plus celle d’un prisonnier politique sous un régime dont la marge de tolérance est réduite à zéro… Je n’étais plus rien que celui-là qui a perdu son père et j’étais séparé de lui par des murs d’intolérance, des barbelés de réjouissance à me voir dans la peine ainsi que d’autres vilenies émanant d’esprits obtus et sectaires…
Mes trois compagnons cherchent à me faire parler ; je me suis enfermé dans le silence, perdu dans d’autres mondes où ils ne pouvaient m’atteindre. Renfermé sur moi-même, je déniais leur présence.
Le regretté Docteur [Ayed] n’eut de cesse de me provoquer et d’exiger que je parle de peur de me voir sombrer dans un sérieux traumatisme. N’y étant pas parvenu, il se mit à me gifler fébrilement et à me crier de répondre à des questions que je n’avais pas entendues moi qui tenais bon dans mon silence renfermé.
Le regretté Nourredine Ben Khedhr ne put s’empêcher d’éclater en sanglots et de crier : « Voilà que je pleure à ta place ». On l’entendait pleurer, alors que j’étais silencieux et que je n’avais pas versé une seule larme comme si la scène n’était pas d’abord la mienne et comme si le drame n’était pas précisément le mien. Nourredine me serra chaleureusement dans ses bras et de toute la force de la fraternité, il m’invita à pleurer. Mais toutes mes larmes avaient disparu au loin, emportant ma perception de l’espace et du temps ainsi que ma conscience de la présence de ceux qui étaient venus pour me soutenir et que j’avais délaissés subrepticement me rendant très loin, au plus profond…
L’espace n’était plus celui d’une prison pas plus que le temps n’était celui de l’arrestation. La trame n’était plus celle d’un prisonnier politique sous un régime dont la marge de tolérance est réduite à zéro… Je n’étais plus rien que celui-là qui a perdu son père et j’étais séparé de lui par des murs d’intolérance, des barbelés de réjouissance à me voir dans la peine ainsi que d’autres vilenies émanant d’esprits obtus et sectaires…
Mes trois compagnons cherchent à me faire parler ; je me suis enfermé dans le silence, perdu dans d’autres mondes où ils ne pouvaient m’atteindre. Renfermé sur moi-même, je déniais leur présence.
Le regretté Docteur [Ayed] n’eut de cesse de me provoquer et d’exiger que je parle de peur de me voir sombrer dans un sérieux traumatisme. N’y étant pas parvenu, il se mit à me gifler fébrilement et à me crier de répondre à des questions que je n’avais pas entendues moi qui tenais bon dans mon silence renfermé.
Le regretté Nourredine Ben Khedhr ne put s’empêcher d’éclater en sanglots et de crier : « Voilà que je pleure à ta place ». On l’entendait pleurer, alors que j’étais silencieux et que je n’avais pas versé une seule larme comme si la scène n’était pas d’abord la mienne et comme si le drame n’était pas précisément le mien. Nourredine me serra chaleureusement dans ses bras et de toute la force de la fraternité, il m’invita à pleurer. Mais toutes mes larmes avaient disparu au loin, emportant ma perception de l’espace et du temps ainsi que ma conscience de la présence de ceux qui étaient venus pour me soutenir et que j’avais délaissés subrepticement me rendant très loin, au plus profond…
4 commentaires:
"La littérature carcérale"... Ces mots font mal. Les mots qui nous viennent des geôles sont des souffles brûlants, inclassables, écrits avec du sang...
Oui, chère Christiane. C'est une littérature où chaque mot est une condamnation de cette horreur tout aussi primitive que diabolique qu'est la prison.
Amicalement
Cela fait froid dans le dos, en effet... Impressionnant,ce silence dans lequel le narrateur s'enferme, s'isolant au sein même de la prison, s'imposant d'autres barbelés, refusant tout contact avec les autres détenus, ses frères (dernier port d'attache pourtant avec l'humanité). Deux fois coupé du monde il ne parvient même pas à pleurer, ce qui lui aurait permis de réintégrer la communauté des hommes.
@ Feuilly : oui, impressionnant. On a surtout l'impression que ce devait être un silence assourdissant
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