dimanche 13 juin 2010

En français dans le texte محمود المسعدي


Mahmoud Messadi (1911-2004) est le plus illustre des écrivains tunisiens. Il se fit connaître par son exceptionnel maniement de la langue arabe mais il maîtrisait aussi la langue française. Ce que l’on sait moins, c’est que son chef-d’œuvre Le Barrage a d’abord été écrit en français. Ce sont une trentaine de feuillets dactylographiés et signés par l’auteur. Il s'agit d'un texte inédit qu’on a délibérément écarté des Œuvres complètes. Voici le premier feuillet du tapuscrit :
Le Barrage
Scène première
La scène représente n’importe quoi, pourvu que l’on se sente en montagne, dans un pays rocailleux, aride, à végétation en aiguille et à poussière nombreuse. La scène doit être en sèche ; on peut faire le ciel en jaune.
Les deux personnages doivent se débrouiller pour se trouver une attitude, une position, assis ou debout, dans un décor sans chaise ni fauteuil. Ils peuvent par exemple, s’asseoir sur leur matériel de campement que l’on voit entassé là, ou corrompre le metteur en scène.

Marphéo.
Nous voici installés dans le Rêve, Meïmouna.
(Elle veut parler)
Oui, oui…je sais. Tu vas dire : je déteste les idéales commodités ou encore : ce n’est guère un équilibre.
Meïmouna.
Non, Marphéo, non. Je ne voulais rien dire de tel. Je voulais dire seulement : comme des vers dans un fruit. Mais alors le fruit ne vaut plus rien.
Marphéo.
C’est une grande erreur, Meïmouma, le Rêve n’est guère comestible.
Meïmouna.
Peut-être. Oui, tu as raison. C’est nous qui sommes mangés. Le Rêve est un anthropophage.
Marphéo...

10 commentaires:

amel a dit…

Le rêve vêture de l'inconscient dévore les siens.Contenant qui renverse l'informe en sujet.
Les personnages prennent place dans le Rêve comme dans une mise en abyme. Le verbal reprend l'austérité de la végétation et le dit explicitement : "je déteste les idéales commodités..".
Cher Jalel j'avais lu Le barrage il y a trente ans, votre post me donne envie de le relire. Il doit se nicher quelque part dans la bibliothèque. Amitiés cher Jalel et toujours ce plaisir renouvelé de vous lire ici et sur papier.

El Gharbi a dit…

merci chère Amel.

Halagu a dit…

Il reste avant tout un grand écrivain au style quelque peu hermétique, mais surtout un grand ministre de l’éducation. Grâce à lui, ma génération a bénéficié d’un bilinguisme original, sans états d’âme, sans complexe, un bilinguisme qui se moque d’une partition schizophrène Orient-Occident, qui refuse l’alignement et affranchit des peurs et des préjugés. Pour Mahmoud Messadi la culture et le savoir n’ont pas de frontières et l’élargissement des horizons passe par la maitrise parfaite des langues. L’erreur pédagogique est, sans aucun doute, le saupoudrage…Messadi avait le courage politique de dire oui à la coexistence rassérénée des langues.

Gharbi a dit…

Parfaitement d'accord, Halagu. A l'époque, tout se passait comme si notre culture était d'abord une soif de culture.
J'ai comme l'impression que cet esprit n'a pas complétement disparu du pays.

giulio a dit…

Comment te reconnaître, cher Jalel, dans ces propos teintés de regret sur la persistance partielle de cet état d'esprit (culture = soif de culture)?

La culture n'est-elle pas essentiellement curiosité, découverte, soif de culture?
Une culture sans soif de culture, mieux, de cultures, ne serait-elle pas fossile ou, du moins, en voie de fossilisation?
.

Jalel El Gharbi a dit…

Je me suis peut-être mal exprimé, cher Giulio. Pour moi, la culture n'est que soif de culture. -le mot n'induit que le pluriel.
Mon regret vient de ce que cela est de moins en moins le cas
amicalement

Anonyme a dit…

A l’époque où je fréquentais encore les bancs du collège Sadiki, j’ai vu à deux reprises Messadi. Il était alors ministre de l’Education, il prenait place seul au fond de la classe pour assister tantôt aux cours de littérature arabe, tantôt aux cours d’enseignement religieux. Je me rappelle qu’a la fin il n'a pas caché son agacement sur le contenu de l’enseignement religieux et a critiqué vertement le professeur qui faisait chorus avec les professionnels du bourrage de crâne…et il est reparti, comme il est arrivé, sans aucun protocole. On devinait aisément que le contact direct avec les étudiants lui manquait et que les lambris dorés des ministères ne l’impressionnaient pas!

El Gharbi a dit…

@ Anonyme
Du temps où il était ministre, Ben Salah fit encore mieux : il se substitua -courtoisement- au professeur et donna une brillante explication de texte.
Merci de votre témoignage.

Michèle Pambrun-Paillard a dit…

Merci de tout ce que je découvre là.
Le bilinguisme original et décomplexé dont parle Halagu, fait rêver.

Jalel El Gharbi a dit…

Je pense que le seul regret que doit avoir le bilingue est celui de ne pas être polyglotte
Merci de votre commentaire chère Michèle