Grâce à son ami Pierre Poublan, le poète Toussaint Médine Shangô a désormais un site dédié à son oeuvre. http://www.toussaint-medine-shango.com/
Pour saluer cet événement, je remets en ligne ce texte que je lui ai consacré. Que ceux qui ont déjà lu ce texte ne m'en veuillent pas trop.
Odyssée immobile de Toussaint Médine Shangô
Voici un ouvrage qui ne défrayera pas la chronique : il est trop poétique pour la prose ambiante. Même dans le champ poétique, les mièvreries l’emportent sur la profondeur. C’est une œuvre d’une grande teneur poétique, l’égal de Valéry. Il s’agit d’une trilogie du poète Toussaint Médine Shangô intitulée D’Abraham[1]. C’est « l’odyssée immobile » du poète, l’épopée d’un cheminement spirituel qui retrace aussi le parcours d’une vie qui a commencé près de l’Atlas dans le souffle océan du Maroc. Poète au nom œcuménique, Toussaint Médine Shangô[2] revendique trois traditions. Mais profondément musulman depuis 1973, Toussaint Médine a une connaissance parfaite de l’islam. Grand lecteur du Coran, des mystiques musulmans, surtout de Ibn Arabi.Le premier volet de la trilogie est consacré au judaïsme (celui de Meknès). Le deuxième au christianisme et le troisième à l’islam. « Je ne savais qui je serai, si doucement m’a pris l’islam/ Comme une terre fissurée de sécheresse/Ignore que déjà l’abreuve en profondeur/Une grâce invisible ».La grâce est ici synonyme de connaissance, de communion avec l’Etre unique pour l’amour duquel tout s’annihile. Il y a ce rêve de s’abîmer d’amour, de devenir néant pour tout (comme on dit pour rien). L’éloge du prophète, comme chez Al Boussiri, prend des dimensions cosmiques. Le chant célébrant le prophète Muhammad s’accompagne également d’une célébration du Coran. Ainsi, le poème se fait prière. A Médine où repose le prophète, le poète connaît un état d’extase mystique qui est peut-être l’essence même de sa démarche poétique. Ce qu’il y vit tient de l’épiphanie du divin mais aussi de la résurrection des images d’antan. La conscience de finitude que les lieux saints aiguisent s’accompagne d’un retour sur les sites de l’enfance. « J’ai souvenir de moi » se fait anaphore du poème dans une sorte de litanie qui égrène les souvenirs, dit la nostalgie et l’aspiration à un autre mode d’être qui serait la synthèse de la nostalgie, de l’amour et de la piété :« J’ai de moi souvenir : immobile et vivant/Dans la chambre des Livres/De moi j’ai souvenirHomme de grand chemin…/ Je regarde ma vie/Où tant d’ombre s’embrume…/J’ai souvenir de jours qui se fourvoient parmi/ La suborneuse profondeur, l’intermittence des enseignes/Homme de long périple, en moi-même épiant/Les replis de l’Enigme… »Allant vers Médine, le poète se rend dans la ville sainte mais aussi vers lui-même, vers Médine enfant dans les rues de Meknès où il a vécu jusqu’à l’âge de 30 ans. Mais à Médine, la ville où repose le prophète, le poète se trouve dans une contrée où source et embouchure se confondent, un pays où le mot seuil devient tout à la fois entrée et sortie. Là, le poète mesure la distance qui le sépare de lui-même et de Dieu. A Médine, le monde intelligible se fait sensible dans une entreprise qui fait penser à « une marche inconnue à franchir, vers un seuil invisible au plus haut de l’âme »L’univers de Toussaint Médine est celui de la jonction entre cognitif et ontologique. Il s’agit de faire du poème l’espace où le savoir est bien plus qu’une des dimensions de l’être. Il s’agit de ce savoir qui donne vue sur les limites, les siennes d’abord mais aussi celle de l’être. Il y a face au néant général qui se profile un tout, qui est d’abord l’Un. Un savoir singulier, celui que le Livre (celui qu’on se doit de majusculer) révèle : le Coran.« Le respir » (ce mot frappé d’apocope) du poème est dans ce souffle divin, celui du poème célébrant le Livre, la voie vers soi-même qui passe par la transcendance :« Je me vois sous l’or vert/De hauts micocouliers enivrés d’un Murmure:/Quel oiseau de désir aux paupières scellées/Gémit vers les faîtes graciles/Fléchis par une brise où l’âme du jasmin/Se livre à l’âme qui se grise/D’un léger et profond plaisir ?/Nulle fièvre, nulle mesure,/Nulle faille ici, nul miroir/Où se reflète un œil duplice ;/L’infini qui me tait son nom, de son odeur/Illumine ma transparence. »C’est à la faveur d’une quête du transcendant que le moi se révèle et qu’un « hortus deliciuarom » sacré, un Eden est possible.
[1] La trilogie D’Abraham comprend :
1) Menorah de l’Exil, préface de Pierre Poublan Barabacane 1995
2) Où se trouve le corps, les vautours se rassemblent, préface de Jean-Pierre Jossua. La Barbacane, 2004.
3) Au chevet de l’apôtre, préface de Abelaziz Kacem. La Barbacane, 2004.[2] Shangô est le dieu de la foudre au Bénin et dans le Vaudou haïtien.
Voici un ouvrage qui ne défrayera pas la chronique : il est trop poétique pour la prose ambiante. Même dans le champ poétique, les mièvreries l’emportent sur la profondeur. C’est une œuvre d’une grande teneur poétique, l’égal de Valéry. Il s’agit d’une trilogie du poète Toussaint Médine Shangô intitulée D’Abraham[1]. C’est « l’odyssée immobile » du poète, l’épopée d’un cheminement spirituel qui retrace aussi le parcours d’une vie qui a commencé près de l’Atlas dans le souffle océan du Maroc. Poète au nom œcuménique, Toussaint Médine Shangô[2] revendique trois traditions. Mais profondément musulman depuis 1973, Toussaint Médine a une connaissance parfaite de l’islam. Grand lecteur du Coran, des mystiques musulmans, surtout de Ibn Arabi.Le premier volet de la trilogie est consacré au judaïsme (celui de Meknès). Le deuxième au christianisme et le troisième à l’islam. « Je ne savais qui je serai, si doucement m’a pris l’islam/ Comme une terre fissurée de sécheresse/Ignore que déjà l’abreuve en profondeur/Une grâce invisible ».La grâce est ici synonyme de connaissance, de communion avec l’Etre unique pour l’amour duquel tout s’annihile. Il y a ce rêve de s’abîmer d’amour, de devenir néant pour tout (comme on dit pour rien). L’éloge du prophète, comme chez Al Boussiri, prend des dimensions cosmiques. Le chant célébrant le prophète Muhammad s’accompagne également d’une célébration du Coran. Ainsi, le poème se fait prière. A Médine où repose le prophète, le poète connaît un état d’extase mystique qui est peut-être l’essence même de sa démarche poétique. Ce qu’il y vit tient de l’épiphanie du divin mais aussi de la résurrection des images d’antan. La conscience de finitude que les lieux saints aiguisent s’accompagne d’un retour sur les sites de l’enfance. « J’ai souvenir de moi » se fait anaphore du poème dans une sorte de litanie qui égrène les souvenirs, dit la nostalgie et l’aspiration à un autre mode d’être qui serait la synthèse de la nostalgie, de l’amour et de la piété :« J’ai de moi souvenir : immobile et vivant/Dans la chambre des Livres/De moi j’ai souvenirHomme de grand chemin…/ Je regarde ma vie/Où tant d’ombre s’embrume…/J’ai souvenir de jours qui se fourvoient parmi/ La suborneuse profondeur, l’intermittence des enseignes/Homme de long périple, en moi-même épiant/Les replis de l’Enigme… »Allant vers Médine, le poète se rend dans la ville sainte mais aussi vers lui-même, vers Médine enfant dans les rues de Meknès où il a vécu jusqu’à l’âge de 30 ans. Mais à Médine, la ville où repose le prophète, le poète se trouve dans une contrée où source et embouchure se confondent, un pays où le mot seuil devient tout à la fois entrée et sortie. Là, le poète mesure la distance qui le sépare de lui-même et de Dieu. A Médine, le monde intelligible se fait sensible dans une entreprise qui fait penser à « une marche inconnue à franchir, vers un seuil invisible au plus haut de l’âme »L’univers de Toussaint Médine est celui de la jonction entre cognitif et ontologique. Il s’agit de faire du poème l’espace où le savoir est bien plus qu’une des dimensions de l’être. Il s’agit de ce savoir qui donne vue sur les limites, les siennes d’abord mais aussi celle de l’être. Il y a face au néant général qui se profile un tout, qui est d’abord l’Un. Un savoir singulier, celui que le Livre (celui qu’on se doit de majusculer) révèle : le Coran.« Le respir » (ce mot frappé d’apocope) du poème est dans ce souffle divin, celui du poème célébrant le Livre, la voie vers soi-même qui passe par la transcendance :« Je me vois sous l’or vert/De hauts micocouliers enivrés d’un Murmure:/Quel oiseau de désir aux paupières scellées/Gémit vers les faîtes graciles/Fléchis par une brise où l’âme du jasmin/Se livre à l’âme qui se grise/D’un léger et profond plaisir ?/Nulle fièvre, nulle mesure,/Nulle faille ici, nul miroir/Où se reflète un œil duplice ;/L’infini qui me tait son nom, de son odeur/Illumine ma transparence. »C’est à la faveur d’une quête du transcendant que le moi se révèle et qu’un « hortus deliciuarom » sacré, un Eden est possible.
[1] La trilogie D’Abraham comprend :
1) Menorah de l’Exil, préface de Pierre Poublan Barabacane 1995
2) Où se trouve le corps, les vautours se rassemblent, préface de Jean-Pierre Jossua. La Barbacane, 2004.
3) Au chevet de l’apôtre, préface de Abelaziz Kacem. La Barbacane, 2004.[2] Shangô est le dieu de la foudre au Bénin et dans le Vaudou haïtien.
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