lundi 20 décembre 2010

contre le mur. Anne Calife


Anne Calife près de Ramallah
Une Américaine avec plein de cheveux et de dents, m'offre du raisin. Elle habite Ramallah et veut tourner un documentaire sur la Palestine. Elle ne quitte pas sa caméra et porte, pourquoi, des mitaines en velours noir.
On entend déjà le raclement des machines. Un bulldozer jaune et noir racle la terre dans un bruit de chaînes. Deux oliviers gisent déracinées, racines encore noircies de terre. Les cadavres des arbres déclenchent des cris dans le groupe et une série d'appareils photos a surgi des sacs à dos. L'Américaine filme. Par précaution, je me recule.
A côté d’un immense cône de sable gris se trouve, ce que je veux toucher, voir, comprendre : le MUR… Je m’approche assez lentement, comme on approcherait un ennemi plus fort que soi. Si j'avais pu ramper, je l'aurais fait ; si j'avais pu l'insulter, je l'aurais fait aussi. Parce que lui, il s'en fout éperdument, tête dans le ciel avec au-dessus de sa tronche, les nuages qui s'étirent lentement.

Je l'ai touché, humé, reniflé. Il est immense, sans fin, éternel et silencieux. Un dragon fait de lames de béton. Je le contourne, l’examine : les planches mesurent un mètre de large, quarante bons centimètres de largeur, vingt mètres de haut. De toutes mes forces, je me suis adossée contre lui espérant percevoir une vibration ne serait-ce que minime. Il m’a semblé entendre le monstre de béton glousser du fond de ses fondations de fer. Beau travail. Du bon béton, bien frais, bien propre, bien charnu avec toutes les qualités de l’isolant parfait, qui ne laissera transpirer pas un son, pas un souffle ni une odeur.

17 commentaires:

laurence a dit…

L'horreur des murs et des clotures
il en existe par le monde,
une honte qui se multiplie
comme ci les cotes et les bras de mer et les océans n'étaient pas suffisants pour éloigner les gens...

gmc a dit…

sur arte est passé il y a peu -peut-etre sera-t-il rediffusé ces prochaines semaines - un très joli film israelien sur le problème du mur au travers de l'histoire d'une palestinienne et de son verger, il s'appelle "les citronniers", il devrait vous plaire.

Jalel El Gharbi a dit…

Oui Laurence. Ajoutez à cela les murs qui sont dans les esprits, les plus difficiles à abattre.
@GMC : Merci, j'en guetterai la rediffusion.
Amitiés

Emna Nhouchi a dit…

De la Grande Muraille de Chine au mur de la Haine érigé par Israel, passant par le Mur de Berlin, les murs ont renvoyé à travers toute l'histoire à ce qui ferme, à ce qui divise, à ce qui sépare.
Loin d'etre un symbole de protection et de défense, le mur est limite, négation de l'autre, refus du dialogue et de l'échange.
Sémantiquement parlant, certaines expressions figées de la langue traduisent ces connotations négatives du lexème"mur" comme par exemple: "aller dans le mur", "etre dans ses quatre murs", "coller au mur"...

giulio a dit…

Make bridges, not walls !

Aucun mur ne s'est jamais justifié.

Aucun mur n'a jamais servi à grand-chose, sinon à faire souffrir.

Aucun mur n'a jamais resisté à l'histoire.

Le conseil de gmc est excellent; j'ai vu "Les citronniers" : un petit chef-d'oeuvre.

Jalel El Gharbi a dit…

Une exception cepedant chère Emna , cher Giulio, ce mur objet de mon billet du 17 novembre 2009

Du bon usage des murs
Jalel El Gharbi


Aux portes du désert, dans cette oasis où l’on vénère le savoir, l’érudition, la poésie et la grammaire, il y avait, jusqu’au début du vingtième siècle, un mur. Et il y avait dans ce mur, des fentes, des fêlures, des failles et des fissures qui faisaient une belle paronomase en [f]. Ces lézardes étaient assez profondes pour contenir des poèmes, des récits de voyage, des commentaires érudits ou des traités de grammaire. A Nefta, il n’y avait pas de bibliothèque publique. Il y avait juste les failles du mur. Tout lecteur qui trouvait un texte intéressant se devait de l’y déposer. Tout lecteur désireux de cheminer dans un texte intéressant pouvait venir l’emprunter aux failles du mur. Les étudiants qui revenaient de Tunis y déposaient les meilleurs cours qu’on donnait à l’Université : théologie érudite mais aussi pages de poésie, la plus permissive. Ceux qui revenaient du pèlerinage, prêtaient au mur des textes glanés au Caire ou à Damas. On ramenait aussi de belles pages de Fez la féerique. Et d’autres déposaient leur propre création. J’imagine un poème interminable où l’auteur languit d’amour pour une femme de son Nord. Poème interminable comme la constance d’une douleur ou d’un mur interminables. Il devait y avoir un enfer dans cette bibliothèque: traités d’amour érigeant les ébats érotiques en apologie de l’âme incarnée dans un corps angélique et des poèmes de cette tribu lointaine où on ne mourrait que d’amour. La leçon du mur est que le savoir est un don anonyme. La bibliothèque du mur n’est pas une institution. Aucun maître n’y trône. Et l’on n’est redevable qu’à son cheminement. Tel un palmier, le savoir n’a pas besoin de tuteur. Il suffit de longer le mur (l’arabe dit littéralement: «marcher et le mur», comme si le mur marchait, lui aussi). Et le mur longe l’oasis et le désert. Et il faut toute une vie pour «faire» ce mur. Lire, se lire: longer son mur. Mesurer l’étendue du désert qu’il cache, la profondeur de l’oasis qu’il protège.

gmc a dit…

emma, vous avez oublié "faire le mur" ^^

giulio a dit…

Cher Jalel, je me souviens bien de ton billet et de ce splendide mur-bibliothèque.

Mais au fond, sa raison d'être est encore et toujours la même : se protéger (le danger étant toujours celui qui est perçu subjectivement comme tel par celui qui le dresse.

Ensuite on peut fleurir le mur, y placer des billets, y appuyer des rayonnages de bouquins (as-tu vu quelques parois dans ma bibliothèque ?), mais en fin de compte, le sable, le temps et l'histoire emporteront les "bons" murs, comme les "mauvais" ou en feront au mieux des souvenirs pour touristes morbides.

Jalel El Gharbi a dit…

au diable tous les murs alors !
amitiés

laurence a dit…

Amitiés

Jalel El Gharbi a dit…

Bonne année Laurence
Amicalement

Hafawa REBHI a dit…

Mur-Mur

Le monde est fou
Depuis qu'on ne prie plus le Ciel
Mais plutôt les murs et les pierres
Murs de séparation
Murs de lamentations
Murs de mondialisation
Murs de haine et de démence
Même la mer ou erraient
Jadis Didon et Poséidon
Est un mur infranchissable
Séparant les rives jumelles

Hafawa REBHI,
Kasserine, 25/05/2007

ps: bonne année à vous tous mes chers amis. Vive la poésie, vive la littérature, vive la vie :)

Jalel El Gharbi a dit…

Meilleurs voeux à vous aussi chère Hafawa Rebhi.
J'aurai une pensée pour vous dans un mois, j'irai revoir le mausolée Flavii.
Amitiés

Hafawa REBHI a dit…

Bienvenue alors Jalel dans les steppes bénies de Cilium :-)

Jalel El Gharbi a dit…

Merci chère Hafawa

Sophie a dit…

Les murs érigés, les murs portés en soi... Des remparts contre la présence de l'autre. A faire tomber avec toute la force que peut avoir la foi en l'humain, quand on est très nombreux à la partager.
Je vous souhaite bons et doux moments pour cette année qui commence, Jalel.

Jalel El Gharbi a dit…

Chère Sophie,
Meilleurs voeux : santé, bonheur et lectures.