mardi 11 octobre 2011

Inédit de Mahmoud Messadi 2.

Meïmouna.
J’entends des voix, Marphéo.
Marphéo.
J’entends des voix aussi.
Les deux à la fois (riant).
Nous sommes Jeanne d’Arc.
Troisième voix.
De la plaine aux monts
Mirage troue la terre en fenêtre.
Réel reste dessous avec sa sécheresse.
Prends garde de toucher à la Déesse.
Le secret du charbon mélangé au salpêtre
C’est elle qui l’apprit aux démons.
De la plaine à la montagne
Si tu la provoques, bloc
Tonnera la roche Roch
Meïmouna.
Qu’est-ce que  la roche Roque, Marphéo ?
Marphéo.
Demande-le à la voix.
Meïmouna.
Qu’est-ce que la roche Roque, ô voix ?
Voix.
D’abord, corrige l’orthographe. C.H.
Meïmouna.
C’est fait . La roche Roch.
Voix (mélodieuses)
C’est corne de Taureau
C’est défense d’éléphant
Et ce n’est ni bien beau
Ni bien blanc.
C’est une déesse.
(Peu à peu les voix prennent corps comme des songes d’été, fantômes transparents ; ils dansent une ronde d’une grâce infinie).
C’est la déesse
de Sécheresse
dont Dastaouch
est le pays
si sec
(Les fantômes disparaissent).

21 commentaires:

Mahdia a dit…

Quel terrible dialogue !
Non cette pièce est d’un tout autre ordre. C’est hallucinant combien cette esthétique est fabuleuse, autrement que dans ses références mythologiques.
Ce respect de la terre ("Prends garde de toucher à la Déesse/Le secret du charbon mélangé au salpêtre/C’est elle qui l’apprit aux démons …"), cette présence prodigieuse des mots aux mots(correction de roch), cette poésie d’une modernité exagérée, voilà ce que je lis a priori dans cette deuxième (ici) scène.
Je crains qu’on ne se soit pas encore rendu compte de la richesse de cette langue (avant l’idée, avant la philosophie) qui crée sa propre patrie du langage d’abord, sa propre mythologie, et cela dépasse à mon sens ce qu’on appelle le style d’un écrivain.
Ce n’est pas étonnant que Taha Hussein en resta pantois, pour reprendre votre mot, Jalel.

Mahdia a dit…

Pardon, je devais dire "Taha houssein en restât pantois".

giulio a dit…

Paraphrase : « Non, Mahdia, c'est plutôt au déni des normes et des obstacles, au refus de l'impotence et de la soumission que je t'appelle! » t'eût sans répondu Messadi. En outre, j'ai lu dans Jeune Afrique
que Le Barrage resta incompris de Taha Hussein.

www.jeuneafrique.com/Article/LIN19124mahmoidaass0/

Mahdia a dit…

OK,chère Giulio. Tant pis pour ces oubliés de la grammaire qui deviennent en quelque sorte des imperfections. Encore faut-il que vous soyez toujours là pour les contourner subtilement.

Mais comme il est étrange et beau ( le bizarre est toujours beau dit Baudelaire ) ce cheminement vers un caractère messadien de l’écriture ! Vous ne remarquez pas que nous devenions un peu ses personnages. Dois-je vous appeler Marphéo ?

Oui, il paraît que Taha Hussein en resta ébahi.
Il faut reconnaître que celui-ci qui a fait aussi la Sorbonne,ne s'attendait pas à ce qu'il sorte du Maghreb une personnalité créatrice de la taille de Bernard Chaw par exemple. A cette époque , et même aujourd'hui, l'Orient , représenté dans/par l'Egypte surtout, a toujours sous-estimé, en matière d'écriture précisément, l'intelligentsia maghrébine.

M.a.h.d.i.a a dit…

Bernard Shaw avec son "S" qui ne peut être remplacé par un "C"!

giulio a dit…

Quant à être votre Marphéo, je veux bien, si mon écriture avait sur vous, au-delà d'un effet soporifique, également celui de susciter le rêve. Je pense au rêve « où nous pourrions habiter éternellement (je vous cite), Mahdia, Jalel, Christiane, Giulio et les autres (j’extrapole), le rêve céleste, car il n’y a ni guerre ni de haine dans le rêve. Le rêve est l’habitacle des poètes et des surdoués du regard (je vous re-cite). Il y a un autre hic, Mahdia. Je crains vous soez trop réaliste, pragmatique et moderne pour faire une Maimuna acceptable, et vos rêves vous les abordez cuirassée, refusez de vous en laisser envoûter, bien décidée à en émerger indemne. Vous vous-vous opposerez sans doute aux murs (comme moi), mais non pas au barrage. Ou bien ?

À part ça, n’abuse pas de l’adjectif messadien, qui pourrait également se référer à l’écrivain- journaliste-historien-essayiste-philosophe et théiste-iconoclaste Gerald Messadié.

Quant à Bernard Chaw, il existe, chère Mahdia, du moins sur facebook, sauf qu'il semble être plutôt ma...laisien que ma…ghrébin ou irlandais.

giulio a dit…

@ Mahdia : sorry, je me suis emmelé les pinceaux... et les paragraphes. Voilà la version correcte de mon papillon :

Bernard Chaw, il existe, chère Mahdia, du moins sur facebook, sauf qu'il semble être plutôt ma...lais que ma…ghrébin ou irlandais.

Quant à être votre Marphéo, je veux bien, si mon écriture avait sur vous, au-delà d'un effet soporifique, également celui de susciter le rêve. Je pense au rêve « où nous pourrions habiter éternellement (je vous cite), Mahdia, Jalel, Christiane, Giulio et les autres (j’extrapole), le rêve céleste, car il n’y a ni guerre ni haine dans le rêve. Le rêve est l’habitacle des poètes et des surdoués du regard (je vous re-cite). Il y a un autre hic, Mahdia. Je crains vous soyez trop réaliste, pragmatique et moderne pour faire une Maimuna acceptable, et vos rêves vous les abordez cuirassée, refusez de vous en laisser envoûter, bien décidée à en émerger indemne. Vous vous-vous opposerez sans doute aux murs (comme moi), mais non pas au barrage. Ou bien ?

À part ça, n’abusez pas de l’adjectif messadien, qui pourrait également se référer à l’écrivain- journaliste-historien-essayiste-philosophe et théiste-iconoclaste Gerald Messadié.

Mahdia a dit…

@ Giulio: Cuirassée ? Vous me faites penser aux amazones des temps païens que je préfère à celles sophistiquées et trop top du cinéma. Mais je ne suis pas une femme guerrière, j’aime trop la paix, et mon unique guerre est celle de la plume. J’aime au contraire, j’adore me battre avec mes mots. Mais ce que j’aime le plus c’est bâtir. Je rêve de construire, non je préfère le verbe « bâtir » (j’aime les verbes courts) un toit gigantesque en moi pour préserver les prairies de mes rêves de la grêle et du mauvais temps des temps qui courent et nous sapent la bonne graine puis, si ca marche , partager cette toile invraisemblable avec ceux qui craignent pour leur rêves et cultiver ainsi un monde meilleur.
Cuirassés, je le souhaite pourtant à mes rêves pourqu’on ne les abat jamais. Celui auquel Messadi nous convie dans cette pièce est un rêve imbattable. Qu’en dites-vous ? En arabe, le sens du terme barrage est d’une dimension inimaginable.

giulio a dit…

@ Mahdia : ... inimaginable... C'est ça mon problème. Toute ma vie je me suis interessé à tant de choses, d'êtres, de mondes, que jamais je n'ai eu, ni ai, ni aurai le loisir de les comprendre complètement. C'est le problème de l'éternel dilettante. Qui trop embrasse mal étreint, dit le proverbe. C'est vrai. Aussi, j'essaie d'imaginer, deviner, sentir avec l'intuition. Mais pour ce qui est de l'esprit, de la culture et de la langue arabe, je ne puis m'en remettre qu'à Jalel et à vous, à vos lumières et à votre indulgence

Halagu a dit…

Dans le premier commentaire j'ai noté cette phrase: "...Ce respect de la terre ("Prends garde de toucher à la Déesse/Le secret du charbon mélangé au salpêtre/C’est elle qui l’apprit aux démons …"). Le mélange de salpêtre et du charbon étant un mélange explosif (c'est la poudre à canon) je n'ai pas compris sa relation avec le respect de la terre. L'écriture de Monsieur Messadi est bien compliquée!

giulio a dit…

@ Halagu : la terre, c'est la déesse mère. "toucher" ne voudrait-il pas dire ici creuser? blesser? Ce n'est en effet pas Marpheo qui parle, le bâtisseur, le "progressiste". C'est une des voix, émettant doutes, scrupules, avertissements, qui représente peut-être la société pastorale (même pas encore agricole)archaïque (pasteurs-cueilleurs qui a succédé aux chasseurs-cueilleurs), pour qui la terre mère doit être honorée pour ses dons spontanés, mais non exploitée, creusée...

Je ne sais pas, c'est une théorie, mais c'est difficile de connaître le message de Messadi (s'il y en a un) sans en savoir plus, donc seulement au vu de ces tout petits extraits. J'aimerais bien savoir ce qu'en pensent Jalel et Mahdia, qui connaissent toute la pièce.

Jalel El Gharbi a dit…

Oui, Giulio, cela me semble vraisemblable, toucher serait synonyme de porter atteinte, blesser. Si on blesse la terre, elle finit par se venger. Le salpêtre serait le châtiment qui attend quiconque ne respecte pas la terre. Il est difficile de trouver une autre lecture.

Halagu a dit…

Quand Messadi était ministre de l’éducation (un excellent ministre), il prenait un grand plaisir à assister aux cours dispensés à notre collège. Il arrivait seul à pieds et se mettait au fond de la classe. Le visage anguleux fermé et austère, il écoutait avec attention et à la fin du cours il provoquait une discussion avec les élèves. Un jour, à la fin de notre cours d’éducation religieuse - qui manifestement l’ennuyait et nous aussi- il nous a parlé des fameux versets sataniques. C’était la première fois qu’on entendait parler de ce sujet qui devait, quelques années plus tard, faire la une des médias. Le cours de notre professeur d’arabe semblait l’intéresser beaucoup plus et c’était la seule occasion où je l’ai vu détendu et il nous a même gratifiés d’un sourire bien timide. Il est vrai que ce professeur était fraichement agrégé en langue arabe de la Sorbonne (Messadi est aussi diplômé de la Sorbonne et agrégé en langue arabe), il était très jeune, très ouvert et très captivant.
Quelques années plus tard, j’ai essayé de lire Le Barrage mais, le trouvant hermétique, je l’ai définitivement abandonné. J'ai probablement tort.

Jalel El Gharbi a dit…

Halagu : J'ai entendu parler de ces visites que Messadi rendait dans les lycées. Ben Salah a fait la même chose et j'ai lu une explication de texte qu'il a improvisée dans un lycée : magistrale.

giulio a dit…

@ Hulagu : sur le blog de Jalel j'ai retrouvé son article (En français dans le texte) du 13.6.2010 sur Messadi et notamment un post(d'anonyme)+ réponse (de Jalel) qui me rappelle étrangement votre équivalent actuel. Sauf que l'explication magistrale de Ben Salah semble avoir été notée par un étudiant particulièrement zélé? rapide? pratiquant la sténo? Ou bien l'intervention orale de Ben Salah se basait-elle déjà sur un texte préalablement composé?

@ Jalel : n'aurais-tu pas la possibilité de mettre ce texte en ligne ? Sans devoir le recopier ou retaper manuellement bien sûr. Peut-être pourrions-nous le retrouver sur le Net, si tu nous donnes quelques mots clefs.

Jalel El Gharbi a dit…

Cher Giulio, tu parles du texte sur mon blog ?

giulio a dit…

bien sûr, cher Jalel!

Halagu a dit…

J'ai relu l'article du 13 juin 2010, et je me rends compte que la toile pousse au radotage. C'est une manie qui va en augmentant avec l'âge et l’accueil indulgent et complice du radotage des autres. Heureusement que mon jeune ami Giulio était là pour me révéler gentiment un bégaiement inévitable dans un monde où le débit élocutoire tend vers l’infini. Je vais me réfugier avec joie derrière ces délicieux vers du 18e siècle de Jean-Henri marchand :

Libre de soins je fais usage
De mes jours de tranquillité,
Pour faire éclore un Radotage
Souvent utile à ma santé.
Un lecteur indulgent et sage
Me saisira du bon côté,
Et verra sans causticité
Que j’ai joui de l’avantage
De me livrer à la gayté
Et de radoter avant l’âge
Où l’on obtient l’impunité.

Jalel El Gharbi a dit…

Halagu, je crois que c'est moi qui me répète. Peut-être que je ferais mieux de fermer ce blog.
Amitiés

gmc a dit…

comme tout texte un tant soit peu attractif, il a des couleurs polysémiques (en français, du moins):
.....

sincèrement, c'est mieux quand c'est dit en vers, aussi j'efface mes commentaires stupides^^, laissons donc la magie du poète à son charme

giulio a dit…

Garde-tois en bien, cher Jalel !
Voudrais-tu vraiment nous laisser tous orphelins de ce point de rencontre ? De ce lieu de pensée ? De cet Occirient virtuel ?
Et qu'importe une rare lacune ou un infime dérapage ? L'orgueil de la perfection ne sied pas au sage soufi.