vendredi 27 avril 2012


Notre ami Giulio-Enrico Pisani vient de publier dans le Zeitung vum Lëtzbuerger Vollek sa lecture de la situation en Tunisie. En  voici la première partie.
Giulio-Enrico Pisani, Lux. 26 Avril 2012
Tunisie et droits de l’homme
I. Indifférence coupable 
Il est éminemment regrettable que le sang doive couler à flots, les bombes humaines, aériennes ou terrestres tout ravager, les assassinats et les destructions tout massacrer et jeter des marées humaines sur les chemins de l’exil ou vers de mortifères camps de concentration «humanitaires», pour que les mass media s’y intéressent.  Il en va par ailleurs de même pour ce qui est de l’échelle d’intérêt de nos politiciens occidentaux.  Seul comptent pour eux les ravages des incendies et non le travail de prévention et d’extinction du feu accompli par les souvent anonymes pompiers de la paix.  Trop d’urgences, mais aussi d’autopropagande et de futilités, les occupent en permanence, pour qu’une lutte citoyenne, peu bruyante et même pas sanglante de l’autre côté de la Méditerranée vaille qu’ils y consacrent quelques réflexions (et je ne parle même pas d’action).  Dans les discours politiques d’une Europe où les dirigeants prétendent avoir presque tout suffisamment réussi pour s’ériger en donneurs de leçons et décider de ce qui importe ou moins sur la scène internationale, la Tunisie n’occupe pas une bien grande place.  Et il en va par conséquent de même dans les mass média, qui ne lui concèdent que de rares espaces.  La Tunisie n’intéresse pour l’heure qu’une presse minoritaire et alternative.  Normal.  Comment concurrencerait-elle les hurlements accompagnant les hécatombes libyennes, les massacres syriens ou les sanglants coups d’état africains?  Comment provoquerait-elle des interventions internationales sensées et efficaces?
Selon nos politiciens myopes, il ne se passe pratiquement rien en Tunisie, rien en tout cas qui n’excède les faits divers de nos quartiers «chauds» de Londres ou de Paris, rien que l’on ne puisse régler avec les quelques bonnes paroles que, souvent,  l’on ne prononce même pas.  Même pas donc avec ces malheureuses bonnes paroles qui sont dans l’Union Européenne l’unique remède à la misère et à la colère de dizaines de millions de ses laissés-pour-compte.  Un gouvernement d’islamistes modérés?  Et alors!  Quel est le problème?  Même les États-uniens, pour la majorité desquels le mot laïc équivaut à une insulte, ont décidé d’en prendre leur parti.  Et quelle meilleure garantie aurait-on contre les islamistes intégristes, fanatiques, djihadistes?  Voyez la Turquie!  C’est tout à fait fréquentable, des islamistes modérés, surtout quand ceux parmi eux qui demandent l’aide financière étrangère se gargarisent avec leurs interlocuteurs de discours mielleux, modulent leurs airs rassurants en moderatissimo cantabile et affectent une tolérance de bon aloi... surtout vis-à-vis de leurs propres dérapages.
Il me semble plus que probable, que la Tunisie soit aujourd’hui sans doute le seul pays du "printemps arabe", où le respect des droits de l'homme a encore une petite chance d'être sauvé en dépit de la majorité islamiste au gouvernement constituant.   La charia a, semble-t-il, pu être évitée pour l’heure, grâce à une mobilisation massive de la société civile, fière et jalouse de ses droits et acquis, sauvegardés depuis l’ère Bourguiba en dépit de la dictature Ben-Ali-Trabelsienne.  Mais la question n’est pas tant de constater que seul la Tunisie a aujourd'hui dans le monde arabe la capacité de sauver sa démocratie, mais plutôt de savoir si elle a les moyens d’y parvenir, et comment?  Ainsi que bien d’autres amis de ce beau pays et de ses ressortissants, je suis en droit de me poser la question.  En effet, mon optimisme initial a cédé à un profond désarroi, lorsque j’ai constaté l’escalade des innombrables violations des droits de l'homme et de la femme par des groupes de plus en plus violents de salafistes djihadistes financés par les wahhabites du Golfe,  tolérés par un gouvernement qui ne les condamne même pas du bout des lèvres, mais les ignore en les minimisant systématiquement.  Même les autorités judiciaires et d’ailleurs le gouvernement ne les respectent pas toujours eux-mêmes, ces droits de l’homme dont ils devraient être les premiers garants.  
Je ne caricature pas, loin de là.  Ces violations sont en effet régulièrement rapportées par la presse du Maghreb, ainsi que par les nombreux amis et connaissances que je compte en Tunisie, violations dont le cri de colère ci-dessous d'un professeur d'université tunisien n'est qu'une pâle expression.  Je le cite: «Pour (et au lieu de)  faire face à la cherté de la vie et juguler le chômage, ils lâchent ces enragés de salafistes contre les étudiants, contre le corps médical, contre les Tunisiens de confession juive ou orthodoxe, contre les anciens ministres, contre les universitaires, contre les journalistes, contre les jeunes filles non voilées, contre les morts qui exhibent de belles tombes.  Arrêtez!»  
Notez, amis lecteurs, que j’ai lu des reproches plus graves encore, voire insultants.  Mais la place me fait défaut afin d’énumérer tous les blâmes et remontrances que la société civile libérale et de gauche adresse au gouvernement constituant dominé par le parti islamiste – autoproclamé modéré – Ennahda.  C’est apparemment une politique qu’il préfère à la tâche de veiller à la paix, à la concorde, au développement économique du pays et d’occuper à des travaux d’intérêt général un lumpenprolétariat où les prêcheurs salafistes recrutent leurs agents, sbires et nervis.  En fait, leurs menaces de mort contre les femmes affranchies, les journalistes, les avocats, les professeurs, les étudiants, les artistes, les homosexuels, les juifs, les chrétiens, les athées, en fait contre toute personne progressiste ou affirmant ses libres choix d’opinion et existentiels, sont monnaie courante et les voies de fait physiques ne sont pas rares.  
Or, ce gouvernement ne blâme, n'arrête ni poursuit pratiquement aucun des membres de ces bandes d’énergumènes.  En outre, toujours sous l'oeil tolérant des ministres d’Ennahda, les droits fondamentaux de la liberté d'expression orale, ainsi que ceux de la presse ont été bafoués par des arrêtés de justice dont (cette fois) toute la presse magrébine et française a parlé.  Mais – c’est un comble pour nos donneurs de leçons occidentaux – pas un mot de désapprobation des ministres européens, du Parlement européen ou du Conseil de l’Europe!  Abandonnés à eux-mêmes, les progressistes tunisiens sont donc obligés de faire face à une guerre larvée que leur infligent les islamistes «modérés» de leurs propres autorités activement secondés par leurs complices officieux salafistes, dont le but principal et avoué est de mettre fin à l’état de droit censé garantir les libertés individuelles et collectives.  Mais le clou de la perfidie, le comble de la roublardise et la meilleure trouvaille de ce gouvernement tunisien fut de créer, afin de donner le change aux naïfs politiciens occidentaux et surtout européens, un ministère des droits de l’homme.
Aussi est il particulièrement intéressant de citer ici quelques lignes du journaliste Seif Soudani du Courrier de l’Atlas, qui titrait le 29 mars 2012: «Tunisie. Une conception très particulière des Droits de l’Homme!» Puis: «Moncef Marzouki, un droit-de-l’hommiste à la tête de l’État, création d’un nouveau ministère des Droits de l’homme avec à sa tête le porte-parole du gouvernement, en Tunisie, plusieurs signaux positifs pouvaient laisser augurer d’une phase post révolutionnaire placée sous le signe des Droits humains. En pratique, il n’en est rien».  Cet article, que l’on peut lire sur de nombreux sites, dont http://reflexionsetidees.wordpress.com/.../je-reprends-larticle-tunisie-une-, explique notamment que le ministère des Droits de l’homme «... a vocation à étudier et dédommager les cas de victimes des balles et de la torture de l’ancienne dictature...», mais que «... sa vocation essentielle est aussi pédagogique, sur des questions telles que la défense des minorités, la préservation des libertés et la promotion de l’universalisme. Or, lors d’un entretien télévisé début février 2012, Samir Dilou, ministre des Droits de l’homme issu d’Ennahda, a notamment tenu des propos remarqués concernant l’homosexualité. Pour le ministre, «l'homosexualité n'est pas un droit humain, mais une perversion qui nécessite un traitement médical»».  
à suivre

8 commentaires:

Djawhar a dit…

Indifférence coupable, oui ! Heureusement que le peuple tunisien n’est pas dupe.
Merci cher Giulio de cette belle lecture qui fait quand même très pertinemment le tour (dans sa première partie déjà) de ce qu’on pourrait appeler "prudemment" les droits de l’homme en Tunisie après les élections du 23 octobre 2011. J’attends vivement votre deuxième partie.

NicoleA a dit…

Je suis de cette Europe et hélas c'est vrai que peu d'entre nous se soucient du sort de la Tunisie, que je suivais sur la page facebook de Jalel.Nous ne savons pas réellement où obtenir des informations sérieuses et en français quand on n'est pas arabophone . La France est occupée à éviter la montée du nationalisme et du racisme sous couvert du sourire faussement rassurant de madame le Pen qui n'a pas la grimace violente de son père en guise de sourire et qui ne va pas jusqu'au négationisme mais qui est tout aussi perverse et dangereuse, peut-être même plus dangereuse car elle a presque réussi à faire croire qu'elle était une femme de droite et non de cette extrême droite dont on sait jusqu'où elle peut aller! Vous devriez envoyer votre lmessage aux grands hebdomadaires dont le Nouvel Observateur qui a essayé de publier l'un ou l'autre article à propos de la Tunisie,mais bien trop peu à mon humble avis d'amie du peuple tunisien !Il existe sur le site du nçouvel Obs le Plus où les abonnés à facebook tweeter et autres réseaux sociaux peuvent publier un article , Jalel ou votre ami iulio Pisani avez la qualité d'information et la qualité littéraire pour y faire passer l'information ; Je vous joins le lien http://leplus.nouvelobs.com/je vous en prie utilisez cette possibilité offerte pour faire entendre votre voix !
Cordialement
Nicole
ps: je suis abonnée au journal et peux si nécessaire vous parrainer

giulio a dit…

Il y en a eu déjà bien d'autres, des "parties", de mes encouragements de mouche du coche, cher Djawhar, et il y en aura encore, du moins tant que les fleurs d'un printemps maltraité ne porteront pas les fruits de la liberté, la vraie. VENCEREMOS !

NicoleA a dit…

j'ai laissé un commentaire hier au soir et je ne le lis pas ici. Je ne pense pas avoir fait une fausse manoeuvre .

giulio a dit…

Dommage, Nicole ! Cela m'est déjà arrivé plus d'une fois, notamment avec Facebook. Mais rien n'est perdu, car contrairement au temps qui ne se recupère jamais, les mots, ces trous du silence, se réécrivent à loisir.

Jalel El Gharbi a dit…

Nicole, c'est curieux effectivement, mais il arrive des anomalies sur blogger. Voici votre commentaire chère Nicole tel que je l'ai reçu sur mon mail. Merci

Je suis de cette Europe et hélas c'est vrai que peu d'entre nous se soucient du sort de la Tunisie, que je suivais sur la page facebook de Jalel.Nous ne savons pas réellement où obtenir des informations sérieuses et en français quand on n'est pas arabophone . La France est occupée à éviter la montée du nationalisme et du racisme sous couvert du sourire faussement rassurant de madame le Pen qui n'a pas la grimace violente de son père en guise de sourire et qui ne va pas jusqu'au négationisme mais qui est tout aussi perverse et dangereuse, peut-être même plus dangereuse car elle a presque réussi à faire croire qu'elle était une femme de droite et non de cette extrême droite dont on sait jusqu'où elle peut aller! Vous devriez envoyer votre lmessage aux grands hebdomadaires dont le Nouvel Observateur qui a essayé de publier l'un ou l'autre article à propos de la Tunisie,mais bien trop peu à mon humble avis d'amie du peuple tunisien !Il existe sur le site du nçouvel Obs le Plus où les abonnés à facebook tweeter et autres réseaux sociaux peuvent publier un article , Jalel ou votre ami iulio Pisani avez la qualité d'information et la qualité littéraire pour y faire passer l'information ; Je vous joins le lien http://leplus.nouvelobs.com/je vous en prie utilisez cette possibilité offerte pour faire entendre votre voix !
Cordialement
Nicole
ps: je suis abonnée au journal et peux si nécessaire vous parrainer

giulio a dit…

Chère Nicole, il est vrai que du point de vue de la diffusion le Nouvel Obs serait très intéressant, mais sa rédaction de se contente certainement pas de reprendre des articles déjà publiés par le petit journal provincial qui me rémunère et qui seul peut décider de voir publier ses articles dans les pages de la concurrence.

NicoleA a dit…

@ Giulio :
Il ne s'agit pas d'un article publié das la verson imprimée du Nouvel Obs mais d'une site où tout le monde amateur et professionnel peuvent publier sur le net !
Et puis si vous écrivez des articles pourquoi ne pas en proposer aussi à la rédaction de L'opbs ? Qui ne risque rien n'a rien ! essuyer un refus n'est pas grâve mais qui sait si votre point de vue ne les intéresserait pas ? Forza Guilio et donnez leur la chance de pouvoir nous informer sur la Tunisie . (sourire) Bon week end!