jeudi 3 janvier 2013

Giulio, Christiane et Charles Marx


 De Giulio à Christiane concernant son commentaire sur "En lisant Marc-Aurèle"

Étonnante Christiane, qui venez de clamer quasi mot pour mot et dans un tout autre contexte, mais dans le même sens, la double phrase du grand résistant Charles Marx, phrase dont je fis le refrain de mon poème ci-dessous ! Par quel hasard ou parallélisme de pensée ?

1941 – 2007 : 66 ans de Maquis

De dix-huit à vingt-six ans,
parfois trente-cinq,
guère d’avantage.
Refusent le sort, le droit,
la loi... du plus fort.
Refus de complicité,
de meurtre légal, racial,
idéologique.
Refus de service:
stigmatisés
bons à rien, qui
refusent d’être
de bons aryens.
Il ne faut pas les oublier.
Il ne faut pas les trahir.(1)

Levain du petit pays,
refuse de ne pas
se lever, quitte à en crever
Héros ? Que dalle !
Ecole buissonnière,
simplement. Il n’y en a
rien à foutre de mourir
debout ou autrement,
Afin de, ne pas vivre
couchés. Tout le monde
meurt tôt ou tard,
alors eux préfèrent
vivre debout. Pour
être couchés, il y a
toute l’éternité.
Il ne faut pas les oublier.
Il ne faut pas les trahir.

Viles villes, cités occupées,
qu’à ça ne tienne!
Tout peut s’oublier.
Oubliés les petits hommes
jaunes, oubliés ceux qui
jamais ne furent vivants. (2)
Oubliés les morts-vivants,
Oubliés les instigateurs,
Les indicateurs,
Les combinards,
Les profiteurs
Les sbires...  Reste
l’école buissonnière,
école de Justice, liberté,
la fraternité des monts, des
grottes, forêts, fourrés, des
Ardennes, de l’Ardèche,
de l’Allier, des Pyrénées.
Morts ou vifs aujourd’hui,
quelle importance ?
Ils sont notre liberté,
notre vie. Ceux-là,
il ne faut pas les oublier.
Il ne faut pas les trahir.

Nés bien plus tard,
hier des années,
demain des siècles,
nous leur devons d’être
dispensés de tuer
ou d’être tués légalement,
de dénoncer ou d’être
dénoncés légitimement, de
torturer ou d’être torturés
au nom du droit, du juge
accommodant, complice
Du plus fort, du SS,
du Feldgrau, du Reich
millénaire, parce que
l’on est juif
ou socialiste
ou anarchiste,
ou réfractaire,
ou communiste,
ou libre-penseur,
ou libre parleur,
ou tout simplement,
autrement.
Il ne faut pas les oublier.
Il ne faut pas les trahir.

Il veille,
souvent imberbe,
Luger chapardé
Dérisoire
au poing... sans rides
sans callosités,
sur le camarade qui dort
Sur la paille.
Grange abandonnée.
Veille avec ses camarades
au sabotage, oeuvre à
l’effondrement
de l’empire millénaire.
Ils veillent sur le sommeil
des citoyens ordinaires
du troisième millénaire,
afin que je vive, que tu
vives, qu’ils vivent,
que nous vivions
debout.
Il ne faut pas les oublier.
Il ne faut pas les trahir.

Arme volée à l’occupant
et rendue au ferrailleur,
car contrairement
aux tiques de la cité
aux idéologues Parabellum,
de Berlin à Paris, de Liège
à Heidelberg, ils veulent
croire à l’Europe
de la fraternité, eux,
au Luxembourg carrefour
de vie, au «vis in pacem
para pacem», (3) car ils ont
dix-huit à vingt-six ans,
parfois trente-cinq,
éternellement.
Il ne faut pas les oublier.
Il ne faut pas les trahir.

Six mille moururent
du petit Grand-duché, (4)
mais non Madeleine, Jos,
ou mille autres, ni Charles
Marx, trahi plus tard
par la paix et la mémoire
balayées sous le tapis
pas encore (vraiment)
d’orient, justement.
Vingt-et-unième siècle
Immortels, ceux
du maquis, cependant,
pour nous et pour
nos gosses surtout...
Il ne faut pas les oublier.
Il ne faut pas les trahir.


1)  Ces deux derniers vers formant refrain tout au long du poème sont bien du docteur Charles Marx et terminent à l’origine son article «Les maquis, l’Avant-garde de la Résistance», dans la brochure «Fir d’Freihét, D’Kommunistesch Partei Letzeburg 1940-1944». En voici un extrait: «... Dans les rangs des maquisards français et belges, de jeunes luxembourgeois (...) se sont distingués par leur élan et leur ardeur combative (...) ils se sont battus pour la liberté de leur pays avec le même courage et la même abnégation que leurs camarades des armées régulières. Et beaucoup d’entre eux ont payé de leur vie de n’avoir pas voulu devenir allemands. Il ne faut pas les oublier. Il ne faut pas les trahir.» Il va sans dire que cet article a tout entier inspiré mon «poème».

2) Dante Alighieri, Divine Commédie, l’Enfer : “Questi sciaurati, che mai non fur vivi...” que Louis Ratisbonne traduisit librement par «Ces lâches, toujours morts, même pendant leur vie...» sur www.pierdelune.com/dante1.htm

3) «Si tu veux la paix, prépare la paix». Dans ma phrase le «para pacem» s’oppose au «para bellum» du néfaste proverbe «Si tu veux la paix prépare la guerre» tiré des «Epitoma rei militaris» de P. F. Vegetius Renatus (IVe-Ve siècles de notre ère)

4) selon l’article «Luxemburg in den beiden Weltkriegen» de Georges Hausemer dans son «Luxemburger Lexikon» (Guy Binsfeld 2006) la 2e guerre mondiale aurait coûté au Grand-duché ~2% de sa population de l’époque, donc proportionnellement bien plus qu’aux alliés belligérants occidentaux: Grande Brétagne 0,7%, Belgique 1%, France 1,7%.


Ce poème de Giulio-Enrico Pisani a été lu par l’écrivaine et peintre Michèle Frank lors de la présentation de l'essai biographique « Charles Marx, un héros luxembourgeois… » de Giulio-Enrico Pisani au Centre des Arts Pluriels d'Ettelbruck/Luxembourg, le 12 novembre 2007.

7 commentaires:

christiane a dit…

Merci, Giulio. herbe vive que ce poème... De eux à nous, de nous à eux, de nous à nous... Oui, il ne faut pas oublier, ni les oublier, ni trahir et aller, debout, tant que nous pouvons... même à cloche-pied sur la marelle de la vie...
Plus tard, un ciel constellé des grandes herbes lumineuses des comètes...
Haut et bas, là-haut et ici-bas, la grande roue tourne mêlant les vivants et les morts puis devient le temps-même, là où toute fin devient origine...
Belle année d'encre, cher Giulio posée, fraternelle, près de celle de Jalel - et n'oublions pas... Marc-aurèle !

giulio a dit…

Oui, chère Christiane, il y a des pages d'histoire qui, tout comme la poésie, doivent rester sempervirentes. Et il ne faut jamais cesser de le rappeler épisodiquement, toujours et encore, ce qui risque, comme naguère en Europe, puis, après la 2e guerre mondiale, massivement en Amérique latine, d'être bientôt dans certains pays du Maghreb d'une actualité brûlante. L’histoire ne se répète jamais à l’identique, mais elle se répète, car si les causes ne sont jamais les mêmes, elles se ressemblent fort, lorsque les hommes sont, eux, criminellement oublieux. Et Marc Aurèle, justement, de nous le rappeler par les mots «Souviens-toi encore que tout un chacun ne vit qu’au présent, cet infiniment petit !»

christiane a dit…

Sempervirente... que c'est beau ce mot. Je ne le connaissais pas !
(lat. sempervirens, toujours vert...)... une forêt toujours verte... Comme il va bien cet adjectif avec l'histoire et la poésie et... l'espérance... malgré tout ce qui est la honte de l'humain... "Où est l'humain ?" Toujours l'espérer aux heures les plus noires de l'histoire...
Et belle année à tous les amis d'ici.

Jalel El Gharbi a dit…

Oui, Christiane, Giulio emploie souvent ce mot "sempervirent" par quoi il dit cette synonymie entre verdeur et verdure. J'ai été attentif à cet adjectif parce que j'y ai retrouvé le mot "viride" dont j'ai fait une entrée dans mon glossaire José Ensch. José employait ce mot dans le sens étymologique de vert (le mot en français s'est spécialisé pour désigner ce beau vert que l'on sait). Chez José cet adjectif lui venait sans doute de Rimbaud.

giulio a dit…

Oui, chers amis, l'adjectif sempervirent vient du semper et du virides latins, toujours et vert, mais moi j'y intègre de plus en mon fort intérieur ce mot, inexistant en français, sempervivant, qui devrait dériver du latin semper vivens, qui vit toujours. Toujours ? Enfin, façon de parler. Disons plutôt « Longtemps, longtemps, longtemps » du moins tant que l’homme n’aura pas disparu. Dans ce sens, les chansons des poètes continueront toujours à courir dans les rues et l’esprit de ceux qui permirent à l’humanité d’être plus humaine devra toujours fréquenter la mémoire des hommes.

coach a dit…

Merci pour ces vers, ils sont lourds de sens

Djawhar a dit…

Un très beau poème, cher Giulio, qui nous incite déjà à "ne pas oublier et à ne pas trahir" des hommes comme vous, tant vous êtes à l’image de ces Grands hommes qui donnent d’eux-mêmes sans compter.