mardi 19 février 2013

intolérance et ignorance par Giulio-Enrico Pisani


Coran bleu, Kairouan, fin IXe. Musée du Bardo.
Voici l'extrait d'une réponse de Giulio-Enrico Pisani à un commentaire posté par  Digi le 9 février en  suite à mon post "L'étau se resserre autour des assassins", où il constate que libéralisme n'a rien à voir avec liberté et démontre d'autre part que religion et laïcité sont non seulement compatibles, mais aussi prescrites dans le Coran (paroles de l'Ange au Prophète) : « Pourquoi distinguer entre «les peuples» et les «religieux» ? Les peuples sont religieux, et surtout dans les pays musulmans les athées son une infime minorité. Mais les musulmans pensent aujourd'hui de plus en plus qu'on peut être croyant sans être rigoriste et sont de plus en plus jaloux de leur liberté individuelle. Ils sont de plus en plus laïcs, c'est-à-dire qu'ils tendent vers la liberté de pensée, d'expression et de culte. Cette soif de liberté n'a rien à voir avec le libéralisme économique qui, au contraire, coexiste parfaitement dans maints pays (notamment du Golfe) avec l'intégrisme religieux le plus sévère. Et de toute façon, les hautes hiérarchies de toutes les grandes religions se sont toujours fort bien  entendues avec les riches.
Le problème en Tunisie (mais ailleurs aussi) n'est pas entre laïcs (de gauche ou de droite, socialistes ou libéraux) et religieux, que sont la plus part d'entre eux, mais entre laïcs et islamistes. Ceux-ci ne sont en fait
pas plus religieux que la majorité des croyants et même de leurs ministres.
Mais ils ajoutent à la religion l'intolérance. Le problème est donc constitué par l'opposition entre les laïcs qui tolèrent les croyances et façon de vivre autrui et les islamistes qui veulent imposer aux autres leur façon de croire, penser, vivre et s'exprimer.
Je me permets en l'occurrence de vous signaler que ces intégristes d'inspiration wahhabite, salafiste ou autre, sont en rupture totale avec la parole de Dieu, dont ils n'ont sans doute jamais lu que ce qu'ils pouvaient arranger à leur sauce. Je cite : 
«sachez qu'à Notre Envoyé n'incombe que la communication explicite» (V,
92),


فَاعْلَمُواْ أَنَّمَا عَلَى رَسُولِنَا الْبَلاَغُ
الْمُبِينُ

«or Tu n'es là que pour donner l'alarme, et Dieu est répondant de toute
chose» (XI, 12),

إِنَّما أَنْتَ نَذِيرٌ وَاللَّهُ عَلى كُلِّ شَيْءٍ وَكِيلٌ
«à Toi la communication seule incombe, à Nous le compte...» (XIII, 40),

فإنما عليك البلاغ وعلينا الحساب

«s'ils se dérobent, seule T'incombe la communication explicite» (XVI, 82),

فَإِنْ تَوَلَّوْا فَإِنَّمَا عَلَيْكَ البلاغ الْمُبِينُ

«Nous ne T'avons envoyé que comme porteur de bonne nouvelle et donneur
d'alarme (XVII, 105)

وَمَا أَرْسَلْنَاك إلا  مُبَشِّرًا وَنَذِيرًا

«Lance donc le Rappel : tu n'es là que celui qui rappelle, tu n'es pas pour

eux celui qui régit» (LXXXVIII, 22-23).
فذكر إنما أنت مذكر لست عليهم بمسيطر

Cela démontre bien que l'Ange interdit au Prophète et à ses successeurs toute coercition en matière de religion, et que, de toute manière, ils n'ont pas à s'occuper d'affaires temporelles et que ces gens là n'ont rien à voir le véritable Islam. »

6 commentaires:

NicoleA a dit…

C 'est clair net et précis ! Et je suis entièrement d'accord !

Djawhar a dit…

Pour appuyer votre opinion qui me parait tout à fait exacte, je cite un exégète contemporain qui défend de voir dans le Coran un Livre de contradiction et d’intolérance, en venant par le commentaire du verset “Pas de contrainte en matière de religion” Lâ ikrâta fî d-dîni (verset 256 de la sourate La Vache) prendre position contre ceux qui prétendent traduire le Livre de Dieu en prônant la version qui travaille leur but, quel qu’il soit.
Voici ce qu’il en dit : "Je suis un croyant simple ; un seul Dieu, un seul Coran, un seul texte, un seul message. Je ne peux me résoudre à admettre que Dieu ait voulu révéler une chose et son contraire. Je suis un esprit simple ; un verset ne peut avoir qu’un sens,celui voulu par Dieu et non pas ceux voulus par les hommes."
"Les partisans de cette méthode radicale d’élimination éradiquent du Coran ce qui leur parait en
contradiction. Or, le Coran ne connaît point de contradiction : “Ne méditeront-ils pas le Coran ? S’il provenait d’un autre que Dieu ils y trouveraient de nombreuses contradictions.” S4.V82. ( C’est donc que tel ou tel verset ne contredit que leur propre logique interprétative et non point
la logique interne du Coran. Si un verset semble à nos yeux en démentir un autre c’est que, conséquemment, notre compréhension de l’un ou de l’autre, ou des deux, est incorrecte. Ainsi, les commentateurs du Coran ont-ils réussi par le concept de l’abrogation l’exploit d’introduire par hégémonie« intellectuelle » maintes contradictions dans le Coran qui selon sa propre affirmation en est dépourvu. Situation intellectuellement et moralement insupportable, une tentative de mise au pas du texte en fonction de nos opinions personnelles. »
Et de poursuivre : « Nous n’avons pas cherché à comprendre la signification des versets pour y conformer notre pensée, mais bien à y surimposer – litt. imposer par-dessus – ce que nous pensions. Nous ne lisons donc pas le Livre, mais le faisons parler en fonction de nos désirs intellectuels, de nos sensibilités, ou de nos besoins.Ce n’est point en l’occurrence Dieu qui nous dicte notre conduite, nos idées et concepts, mais nous, au final, qui avons su ainsi imprimer nos opinions et points de vue. Conséquemment, le Coran ne nous invite donc plus à la compréhension de la Parole de Dieu, mais
nous le contraignons par l’interprétation, l’exégèse, l’herméneutique, et autres synonymes savants de la même carence, à admettre de force, ce que nous nous pensons, et je pèse mes mots. »
Source des citations : http://oumma.com/Point-de-contrainte-en-religion

Djawhar a dit…

"Pour appuyer votre commentaire, cher Giulio...", je voulais dire.

giulio a dit…

J'apprécie le distinguo entre opinion et commentaire, chère Djawhar, mais voici une version bien plus érudite que la mienne, mise en ligne (FB - v. son mur) par Karim, où M. Renard se réfère notamment au grand théologien égyptien Ali Abderraziq :

Les "versets de la laïcité" dans le Coran - Michel RENARD - sur

http://islamique.canalblog.com/archives/2006/12/29/3143137.html

Il serait donc juste que tous les nahdhaouis et salafistes, qui tentent imposer leurs conceptions de la pratique religieuse à autrui, écopent au moins de la même peine qui a été prononcée contre Ghazi Beji et Jaber Mejri.

Halagu a dit…

Je suis de ton avis quand tu dis '' les islamistes, ne sont en fait pas plus religieux que la majorité des croyants et même de leurs ministres''. Cela me conforte dans l'idée que la définition des islamistes obéit à un polymorphisme arrangeant... Et en même temps, je suis convaincu que l'opposition n'est pas entre laïcs et islamistes, mais entre les défenseurs des droits de l'Homme (qui débouchent logiquement sur l'État de droit, la démocratie, la laïcité, la liberté de conscience) et les défenseurs de la législation coranique et prophétique. Les uns et les autres n'ont aucune chance de se rencontrer.
Tu as cité quelques versets du coran qui auraient pu couper l'herbe sous les pieds des détracteurs de la religion musulmane, s'il n'y avait pas des versets susceptibles, hélas, de justifier les actions viriles des rigoristes de l'islam. Pour atteindre le paradis, chacun exhibe sa boussole, mais aucun n'a une cartographie lisible...
La traduction des versets que tu cites souffre d'un manque -ou d'un excès- de précisions ou de nuances. Je ne suis ni un érudit ni un spécialiste de la traduction, mais je pense que celle-ci est incorrecte pour ne pas dire bricolée. Tous ces versets, sans exception, ne posent aucun cadre précis et limitatif à l'action du prophète comme semble l'indiquer la traduction ( on devait dire ''Tu es là pour donner l'alarme...'' au lieu de ''Tu n'es là que pour donner l'alarme...''). Est-ce la guerre des versets qui commande cette traduction ?
Pour échapper à une vie d'errance et une mort violente, il aurait fallu à Arius, le chrétien berbère de Libye, qu'il remplaçât '' le Christ n'est pas éternel'' par ''le christ est éternel''... Pour un mot, pour un seul mot on peut crever ou rester indemne... C'est fou!

giulio a dit…

Tu as raison de dire, terrible Halagu, que la laïcité n'est qu'un fragment du problème. Bien sûr qu'il faudrait viser les droits de l'homme et leur respect, car un gouvernement laïc peut être parfaitement crapuleux et, si des dégueulasses il y en a plein les religions, il n'y a aucune raison pour qu'il en soit autrement chez les agnostiques ou les athées (Hitler, Staline Pol Pot).
Quant aux multiples interprétations des hadiths, et notamment conc. ces "versets de la laïcité" un ami de la mosquée de Mamer, traducteur du coran, était plutôt sceptique et m'affirmant que tout un chacun pouvait faire dire au coran presque tout et son contraire. Cela reviendrait, ainsi que le dit justement Djahwar, à "une tentative de mise au pas du texte en fonction de nos opinions personnelles". Reste l'oeuvre d'Ali Abderraziq, qui n'est pas n'importe qui et qu'il serait intéressant d'étudier. Mais n'est-il pas un sommet isolé?
Ce qui est navrant dans tout cela, c'est qu'il n'y aucun moyen dogmatique efficace pour couper l'herbe sous les pieds des islamistes. Or, la raison, on sait bien que la plupart d'entre eux n'en on rien rien cirer.