Giulio-Enrico Pisani
Luxembourg, 13 juillet 2013
Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek
Doïna de Watazzi
nouvelle donne : couleur et mouvement
Ce fut comme une vision, une
illumination soudaine, ces quelques tableaux à la superbe singularité, qui me
fascinèrent, lorsque – simplement curieux – j’entrai dans la Galerie Goerz , à Luxembourg
ville, rue des Bains.[1] Je ne me souviens pas d’avoir vu à ce jour
une peinture aussi inspirée et pouvant réunir sur une même toile autant de
matérialité et de spiritualité, d’immanence et de transcendance, de sensualité et
de géométrie, de passion et de tranquillité. Cela se passait il y a plus de neuf ans, et
j’essayai alors de vous communiquer dans ces colonnes mon enthousiasme pour le
travail de cette artiste exceptionnelle par son chatoyant dilettantisme. Débutant, donc dilettante moi-même, comme
correspondant de presse, j’ignore si je parvins à vous communiquer à l’époque un
peu de ce feu sacré de l’art pictural que les tableaux de Doïna de Watazzi
allumèrent en moi. Depuis cette année
2004, je vous ai présenté plusieurs centaines d’artistes peintres de tous pays,
célèbres ou peu connus, abstraits ou figuratifs, classiques, modernes et,
surtout, contemporains. Je ne me
souviens pas de tous leurs noms et, l’âge aidant, j’en oublierai encore bien
d’autres, mais certainement pas Doïna de Watazzi, dont le talent naturel autant
que les recherches tous azimuts, aboutissent plus qu’à leur tour à des
résultats époustouflants de maîtrise technique et de beauté pure.
Neuf ans. Une éternité.
Un long manque. Comme
l’impression – en tant que critique d’art néophyte, même pas véritable amateur
– d’avoir été chassé du paradis. Aussi, quelle
ne fut pas ma surprise, puis ma joie, lorsque je reçus il y a quelques jours
l’invitation au vernissage de son expo «La
couleur et le mouvement». Fin d’un
trop long silence. C’est en revoyant
l’artiste, que je compris comment et pourquoi, prise par les tourbillons de la
vie et les obligations familiales, mais, surtout, expérimentant sans trêve, peu
consciente de sa propre valeur et, par là, réticente à se faire valoir, elle
n’avait pratiquement plus exposé depuis.
Me voilà donc à replonger dans sa biographie, ce parcours de vie
passionnant et mouvementé qu’il me faut aussi vous redire, amis lecteurs, tant
il est essentiel à la compréhension de son art, placé sous l’étoile de la fée Diversité
fécondée par l’Europe et l’Afrique, l’Orient et l’Occident, donc parfait exemple
de cet Orcident cher au poète Jalel El Gharbi.[2]
Née dans les années soixante à
Timisoara, en Roumanie, Doïna expose déjà fillette (1970) à l’Ecole des Beaux
Arts d’Arad. En 1972, elle rejoint avec
sa soeur et sa mère, son père, médecin ophtalmologiste au Maroc (dans le cadre
de la coopération Maroc-Roumanie). En
1974, Doïna et sa soeur s’établissent en France, où elles poursuivent leurs
études. En 1977 Doïna épouse Alexis de
Watazzi à Paris et retourne avec lui en Afrique, au Maroc, où elle expose à
l’Espace El Mansour, mais aussi à Conakry, Guinée, au Centre Astaldi et à
Nouakchot, Mauritanie, au Centre Culturel Français. Le tout ponctué de retours en France, où
naîtra sa fille. En 1984 la famille de
Watazzi s’établit à Luxembourg, où elle s’agrandit de deux garçons. C’est en 1988 que la créativité de Doïna
semble littéralement exploser. Est-ce dû
à la fin de son errance? à la maternité? à la sécurité et à l’épanouissement
familial? à la paix d’un pays dont les turbulences que nous exagérons souvent
paraissent bien modestes à cette migrante qui en a vu de toutes les couleurs? À l’exception de 1989, 1998, 2001 et 2002,
elle présentera désormais deux à trois expositions par an, tout en enseignant
art et dessin à l’académie d’été, en secondant son mari dans la photographie,
la cartographie et l’édition et, last but not least, en élevant ses enfants.
Mais si Luxembourg a vu son épanouissement,
Doïna, n’en renie pas pour autant ses racines roumaines, l’atavisme artistique
byzantin traversé d’influences slaves, son enrichissement culturel et poétique
africain ou ses liens avec la
France. Cela
transparaît non seulement dans sa peinture – surtout huile sur soie ou sur
toile et travail à la feuille d’or – mais appert également à travers ses
expositions en 1988 à Breistroff la
Grande et à Hagondange (1er prix salon d’automne),
en 1992 à Metz, en 1996 de nouveau à Nouakchott et en 2003 à Golf de Preisch, encore
en France. Mais c’est bien à Luxembourg
que Doïna donne toute sa mesure: expositions au Cercle Munster (2x), au Centre
de mode «Poem», au Théâtre d’Esch sur Alzette, aux Centres Culturels de
Larochette, de Rumelange et de Steinfort, à l’Espace Couleurs Culturelles, au
Konschthaus beim Engel (3x), à la Galerie Goerz et à l’Ambassade de Roumanie. L’ambassadeur de Roumanie lui a d’ailleurs
décerné une distinction pour les icônes réalisées en l’Église St. Mathieu
(Pfaffenthal). Ces icônes sont donc en
exposition permanente, tout comme les oeuvres exposées chez Patrim Invest à
Metz.
Mais venons-en à sa présente
exposition. Située dans les vastes salles
du Centre de Conférences de l’Office Infrastructures et Logistique Luxembourg –
OIL,[3] au Kirchberg, elle
vous permet d’admirer une splendide collection d’huiles sur toile dont la
plupart s’éclate en d’inouïes polychromies. Aussi m’apparut-il que, autant ses tableaux d’il
y a neuf ans privilégiaient une sobriété des teintes, autant Doïna explose
aujourd’hui l’espace en gerbes de couleurs chatoyantes. Cependant pas toujours. Quelques rémanences – ou retours? Sait-on
jamais avec elle? – de ce temps, comme «Le
maître d’orchestre», chef d’oeuvre absolu du féerique architectural, ou
«Les piliers», d’un style
comparable, en plus hiératique, nous rappellent en effet que Doïna de Watazzi peint
à l’humeur, au coup de coeur, sans règle de style ou asservissement à un
quelconque courant. Pure coïncidence, si
au cours de ses envols créateurs picturaux il lui arrive de frôler Cézanne, van
Gogh ou Chagall et de poursuivre sur sa lancée au-delà de ce qu’osèrent ces
maîtres, du moins, à ma connaissance. Je
pense à des merveilles comme «L’illuminé»
ou «Les anges» qui font la
transition vers la «nouvelle?» Doïna et ses incendies chromatiques. Notamment ses tableaux «Le pan», «Licorne
et Amazone» et «Rêve de Venise»
en sont de somptueux exemples.
Ne ratez surtout pas cette trop
rare occasion d’aller admirer la peinture (en attendant ses sculptures, mais
ça, c’est une autre histoire et à chaque jour suffit son plaisir) de l’une des
plus talentueuses artistes peintres du pays, amis lecteurs. Encore peu connue, sans doute, mais – vous
pouvez me le croire – elle ne le sera plus longtemps. Son exposition est ouverte jusqu’au 31
juillet; l’entrée est libre, mais elle ne peut être visitée que sur
rendez-vous, en téléphonant à madame Sara Corti (4301.38254 ou 621.311.423),
soit à l’artiste elle-même (2625.9803 ou 621.366974).
[1] La Galerie Goerz ne se trouve plus Rue des Bans,
mais au 48a, rue Michel Rodange.
[2] Oeuvrant pour une utopie qu’il nomme Orcident
ou Occirient, Jalel El Gharbi est un universitaire tunisien fortement engagé
dans le dialogue des cultures. Il enseigne à l’université La Manouba-Tunis et est
aussi traducteur, poète, essayiste et, accessoirement, correspondant de notre
Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek.
[3] Centre de Conférences de l’Office
Infrastructures et Logistique Luxembourg – OIL, Bâtiment Jean Monnet, rue
Albert Wehrer, Luxembourg Kirchberg. Exposition Doïna de Watazzi jusqu’au
31 juillet
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