samedi 22 février 2014

Le vieil imam n'est plus


Premier thrène pour le vieil imam
Il a titubé, le vieil homme. Il s’est écroulé dans la plaine des asphodèles, tout près du pont des Andalous. Le vieil homme, qui trébuchait à chaque pas,  savait réciter d’une traite le poème de Rondi. 


Tu égrenais le nom des fruits, des villes et des livres. Quelqu’un a planté un olivier devant la maison de la boulangère aux yeux verts.


 Le vieil imam me l’a confié : rien n’égale le pouvoir de leurs formes, la perfection de leurs rondeurs ni l’éclat de leurs yeux.


Rien de plus vital ; rien de plus meurtrier.


A l’heure où la première fleur se met à luire, il s’est effondré, sans souffrir, comme savent le faire les feuilles. Il n’est plus, l’imam qui venait parfois frapper à ma porte.


Sur la table, il y avait Nimier, Chardonne, Morand et Blondin et j’avais l’âme pleine de bleus. 
Tu as cessé de lire et nous avons compté : il ne me reste plus que 30 ans de lectures.


La nuit s’installe peu à peu. Nous croyons avoir cheminé.


J’ai pensé à ce tableau de Charles de Groux, Le Repentir. Or, je n’ai pas de quoi me repentir. Toi non plus, vieil imam qui n’a pas assez vécu, toi qui te voyais encore enfant courant sur le vieux pont que plus personne n’emprunte... Le pont qui va jusqu'à Ronda.


Peut-être même que je n’attendrai pas les trente ans qui nous séparent.

6 commentaires:

giulio a dit…

Susublime, cher Jalel. Fera partie de ton prochain recueil ?

Jalel El Gharbi a dit…

Merci, cher Giulio. Tu sais que je ne publierai pas mon prochain recueil sans te demander ton avis.
Amitié

giiulio a dit…

Mon avis ? Tu me surestimes, comme d'habitude, cher Jalel. Tu ferais mieux de prendre celui d'un vrai poéticien, comme Laurent. Je n'en reste pas moins curieux et enchanté d'avance de le lire. As-tu déjà un éditeur sérieux en vue ?

Jalel El Gharbi a dit…

Cher Giulio,
Je vais te répondre par mail
amitié

christiane a dit…

L'homme, cultivé,sensible, épris de beauté a marché sur cette terre, lui a laissé son sillage lumineux puis est parti sur la pointe des pieds pour ne pas froisser les asphodèles.
Ce texte, cher Jalel, dit beaucoup de celui qui l'a écrit...

Jalel El Gharbi a dit…

Quel plaisir de vous retrouver, chère Christiane. Merci pour ce compliment si joliment tourné