vendredi 11 avril 2014

Où en est la Tunisie ? + un mot pour M Jomaa : M. Jomaâ, osez croire au miracle, et vous le réaliserez !, Giulio-Enrico Pisani

-->Giulio-Enrico Pisani

Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek



Luxembourg 10/11.4.2014



 



Tunisie : la révolution est un long torrent tumultueux  I.



Le prix de la liberté après trois années d’incurie


Cela fait bien trois ans que, en lisant certains articles de journalistes de Tunisie ou d’ailleurs, je m’étonne de les voir se référer à la révolution tunisienne comme étant un évènement ayant eu lieu en janvier 2011.  Même sur Wikipedia on affirme que «Ben Ali est chassé le 14 janvier 2011 par une révolution populaire».  Il eût fallu en fait écrire, respectivement lire, qu’il a été chassé par un soulèvement populaire déclenché par l’auto-immolation par le feu du jeune chômeur Mohamed Bouazizi le 17 décembre 2010 et ayant abouti au renversement de Ben Ali...[1]  C’est que, loin de vouloir ergoter sur les mots, nous touchons ici à la définition d’un phénomène politique fondamental: la révolution.  Une révolution n’est pas un instant dans l’existence d’un peuple; elle n’est ni soulèvement, ni émeute, ni insurrection ou autre manifestation plus ou moins violente de l’insatisfaction, des frustrations et de la colère populaires.  Elle peut par contre en résulter, ou plutôt en prendre le chemin, si le peuple a su pousser ses dirigeants de gré ou de force à l’entendre, soit en s’inclinant, soit en partant.  Et même ça, ce n’est qu’à peine le commencement d’une révolution.  Tout reste à faire.


En effet, révolution signifie un retournement, changement, bouleversement politique, sociétal, voire économique fondamental et nécessite aussi bien d’énormes efforts qu’un changement des mentalités.  Elle dure nécessairement de nombreuses années et se voit accompagnée de remises en question fondamentales et de sacrifices, ainsi que de combats entre les forces anciennes et nouvelles, mais aussi entre ces dernières entre elles.  La révolution française (bourgeoise) a duré quatre-vingts ans entrecoupés de retours arrière et de nombreux ratés.  La révolution soviétique a vécu trois quarts de siècle et s’est fourvoyée sans avoir été menée à bon port.  La révolution cubaine, elle, n’est pas encore achevée après soixante ans.  Plutôt que révolution, faudrait-il peut-être employer le terme de processus révolutionnaire, et un telle transformation, constamment menacée par ses propres erreurs et par les forces contre-révolutionnaires souvent appuyées par des puissances étrangères, prend un temps fou.  Il ne s’agit cependant ici que d’un bref rappel, car je n’ai aucunement l’intention de disserter sur les révolutions en général ou d’analyser leurs différents parcours historiques.  Je ne dispose hélas, pour ce faire, ni de l’espace rédactionnel nécessaire, ni des compétences requises.  D’autres que moi, infiniment plus compétents et autorisés, l’ont déjà fait et traiteront encore à l’avenir ce passionnant sujet.


Mon intention se borne à avertir ceux de mes amis tunisiens qui parlent de leur révolution au passé, donc comme quelque chose d’accompli, d’achevé, sur quoi il faudrait bâtir, qu’ils sont encore loin du compte.  Déjà qu’elle a failli leur échapper à peine lancée, leur révolution, à cause des discordes entre la multitude de factions et de partis progressistes, qui ont permis une récupération islamiste ne visant qu’à remplacer la tyrannie Ben–Ali–Trabelsi par une dictature théocratique.  Nous avons déjà vu comment l’ANC (Assemblée nationale constituante), ainsi que les gouvernements dominés par les islamistes de Nahdha et associés, se sont avérés incompétents, compromis avec les extrémistes salafistes qui les avaient soutenus au début et ont dû jeter l’éponge fin 2013.  Du même coup le peuple tunisien soulagé a enfin appris, après deux ans et demi d’un calvaire liberticide et d’une dégringolade économique désastreuse, la désignation du premier ministre laïc et libre de coteries Mehdi Jomaâ[2] ainsi que, en janvier 2014, la formation d’un gouvernement neutre.  Problème: celui-ci est censé réussir la quadrature du cercle, d’innombrables prodiges, des miracles à gogo et l’impossible par-dessus le marché.  En effet, non seulement le nouveau gouvernement a été chargé officiellement de l’organisation d’élections législatives avant fin 2014 – ce qui est pour l’heure, entre nous soit dit, le moindre de ses soucis – mais encore doit-il extraire le pays du gouffre où Nahdha l’a enfoncé, c'est-à-dire poursuivre la révolution et tenter de la sauver. 


Le 4 mars, l’AFP/Le Monde l’annonçaient, le prix de la liberté et de trois années d’incurie: «Le premier ministre tunisien Mehdi Jomaâ a mis en garde, lundi 3 mars au soir, contre une situation économique qui risque de devenir "catastrophique (…) En toute franchise, la situation est plus difficile que ce que nous ne le croyions", a-t-il dit dans une interview à la chaîne publique Wataniya et à la télévision privée Nessma, un mois après avoir pris ses fonctions. "Il va nous falloir faire des sacrifices (...) On peut ignorer la réalité, mais la réalité ne nous ignorera pas ", a-t-il insisté (...) et expliqué qu'il manquait 4 milliards de dinars (1,8 milliard d'euros) dans le budget de l'État. "Nous ne savons pas d'où les ramener, il faut que nous trouvions les ressources. Nous avons l'intention de lancer une souscription pour financer les caisses de l'État, mais ce n'est pas suffisant" (...) Et il faut examiner au cas par cas la situation des compagnies publiques en difficulté, comme la compagnie aérienne nationale Tunisair, qui demande une aide équivalant à "quatre fois son chiffre d'affaires (...) Nous n'allons pas baisser les salaires, mais il n'y aura pas de nouveaux recrutements dans la fonction publique (...) Soyons sincères: pendant ces trois dernières années, depuis le commencement de la révolution, nous n'avons pas travaillé. L'administration n'a pas travaillé, les compagnies n'ont pas travaillé, nous n'avons pas respecté les lois. Ce n'était pas ce que nous attendions de la révolution (...) Une autre révolution nous attend, celle des mentalités... "».

L’homme est décidemment plus lucide que la grande majorité des politiciens du pays et ne limite pas sa conception de la révolution aux évènements de janvier 2011.  Par ses mots «depuis le commencement de la révolution» il démontre comprendre qu’elle est loin d’être achevée.  Mais le peuple, légitimement impatient après tant de trahisons et d’impairs, lui laissera-t-il seulement le loisir de la remettre sur les rails et de lui imprimer un nouvel élan?  Obligé de prendre son bâton de pèlerin pour aller emprunter à l’international les sommes qui manquent au pays et qu’il faudra ensuite rembourser au prix d’immenses sacrifices, saura-t-il faire face à la grogne populaire, à la faim des plus pauvres et aux velléités de retour aux affaires des islamistes?  N’oublions pas que ceux-ci n’ont accepté de céder le pouvoir à ce gouvernement que pour l’obliger à manger le fruit de leurs échecs et à profiter de la faiblesse de mémoire du peuple pour se re-proclamer sauveurs du pays.  Car le peuple n’aura, à défaut d’amélioration sensible, que trop tendance à oublier (peut-être ne le lui dit-on pas assez) que sa misère actuelle est surtout due aux islamistes qu’il a portés au pouvoir et qui ont employé les capitaux dont ils disposaient surtout en frais somptuaires et à se dédommager généreusement des injustices réelles ou imaginaires subies sous Bourguiba et Ben Ali.  Pour gagner cette gageure Jomaâ n’aura même pas droit à ses cent jours de grâce.  En effet, l’insatisfaction est générale et tourne déjà ici et là à l’émeute...


                                                  [3]



II   M. Jomaâ, osez croire au miracle, et vous le réaliserez !

Boubaker Ben Fraj écrivait déjà ce 23 mars, notamment que «Au cours des dernières semaines, les deux gouvernorats du Sud-est: Médenine et Tataouine, connaissent une vague protestataire presque ininterrompue. A ce jour, la situation y  est tendue et (...) proche (...) de l’exaspération (...) Dans les deux gouvernorats de cette Tunisie méridionale, d’emblée peu favorisée par la nature, la recrudescence des mouvements revendicatifs devenus endémiques se complique encore par d’autres facteurs générateurs de tensions et d’instabilité: d’un côté, l’impact immédiat des turpitudes qui déstabilisent la Libye voisine et de l’autre, le fait que ces deux  circonscriptions se soient transformées en terrain de prédilection d’une intense contrebande transfrontalière, rattachée à des réseaux mafieux ou terroristes, par des liens à peine voilés, d’intérêts  et de complicités. À Médenine et à Tataouine, comme dans plusieurs autres gouvernorats: Gafsa, Sidi-Bouzid, Kasserine, Siliana, Jendouba, et maints autres endroits de la Tunisie intérieure, nul n’ignore que la colère de plus en plus vive de la population est générée par un sentiment partagé de frustration, du fait d’un retard certes relatif, mais très significatif, en matière de développement économique et social, en comparaison avec les régions du littoral».

Quel défi pour Mehdi Jomaâ[4]!  Quand on pense que dans l’Italie toute proche la dramatique fracture entre le nord et le sud et, pis encore, entre l'intérieur et les zones côtières, héritée des régimes rétrogrades du Royaume des deux Siciles et des États Pontificaux, a duré un siècle et demi après la proclamation de son unité, notre Zorro n’est pas sorti de l’auberge.  Car le sous-développement du Meridione italien est encore loin d'être résorbé, surtout dans certaines régions de l'intérieur des Pouilles, de la Basilicate, de Calabre et de Sicile, où la manne touristique et le développement industriel sont grandement absents.  Et ce, malgré les sommes fabuleuses qui y ont été engouffrées par les gouvernements successifs, ainsi que par la Communauté Européenne puis par l'UE.  Bon, les causes n'en sont pas identiques à celles de la Tunisie, mais furent et restent fort semblables.  Aussi serait-il illusoire de croire que ce problème puisse être entièrement résolu par un, deux ou même trois gouvernements successifs. 

Jomaâ a pourtant relevé le gant.  Mais il s'agit d'un travail de très longue haleine qui devra mobiliser des générations de gouvernants tunisiens.  Cela reviendra à mener sans trêve une lutte à outrance contre les maffias et le terrorisme, à favoriser les investissements et la recherche minière, la modernisation agricole, le développement industriel et la mise en oeuvre d’une véritable solidarité nationale entre le nord et le sud et entre les côtes et l'intérieur.  Seule cette solidarité permettra en effet aux populations défavorisées de supporter la longue durée que prendra le développement de ces régions, même si on s'y met tout de suite, et de ne pas tourner leur colère contre ce gouvernement, qui ne doit à aucun moment oublier d’agir de manière aussi inventive que révolutionnaire.

 Certes, d’aucuns se demanderont dans quelle mesure ce «chevalier blanc», nourri aux mamelles de l’industrie et du libéralisme mondialiste, est le mieux placé pour mener à bien un processus révolutionnaire national.  La réponse ne fait à mon avis aucun doute: pour l’heure probablement oui.  En effet, avant de pouvoir procéder à un changement sociétal sérieux, il faut développer l’industrie, rétablir la confiance du peuple et de l’étranger (tourisme et investissements) envers les dirigeants du pays, assainir les finances et réduire un chômage de 15,7 à 16,7%  (~25% chez les jeunes, diplômés ou non). 


Une première mesure, déjà préparée et mise en route sous le précédent gouvernement a consisté à se rapprocher de certains pays de l’Union Européenne.  Aussi, «la Tunisie et l’UE ont-elles signé le 3 mars un accord qui prévoyant notamment une simplification des visas et une plus grande ouverture à l'immigration régulière en échange de la lutte contre l'immigration clandestine, à l'image de ce qui se fait déjà avec le Maroc.[5]  Ce «partenariat de mobilité», auquel participent dix pays membres de l'UE, dont la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Espagne et l'Italie, «vise à faciliter la circulation des personnes entre l'UE et la Tunisie (et) à promouvoir une gestion commune et responsable des flux migratoires existants, notamment à travers la simplification des procédures de l'octroi de visas», a indiqué la commissaire européenne chargée des affaires intérieures (...) Il est également prévu d'informer les citoyens tunisiens sur les offres d'emploi, d'étude et de formation disponibles dans l'UE, et de faciliter la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles et universitaires. L'UE s'est engagée à favoriser une meilleure intégration des ressortissants tunisiens en situation régulière sur son territoire, ainsi que des migrants en situation régulière en Tunisie».[6]


Par une autre décision tout aussi indispensable qu’immédiate, Mehdi Jomaâ – comme s’il avait pressenti l’article susmentionné de mon ami Boubaker Ben Fraj – s’attaque le 9 mars à la promotion du développement dans les régions intérieures et décide, après sa rencontre avec des hommes d’affaires et des investisseurs de la région de Médenine, de constituer une équipe ministérielle qui se déplacera dans différentes régions du pays pour repérer les difficultés, ainsi que pour trouver et mettre en oeuvre les solutions adéquates.  Il incite de même l’administration à traiter avec le privé en tant que force vive de l’économie et tremplin vers la croissance.[7]


Plus récemment, au cours l’ouverture des travaux du 28ème Forum sectoriel de la FAO du 27 mars 2014, Mehdi Jomaâ a également annoncé une batterie de mesures censées favoriser l'entreprenariat agricole.  Ces mesures sont principalement destinées aux jeunes agriculteurs dans le but d'augmenter l'attractivité du secteur agricole en matière d'emploi.  Parmi les nombreuses mesures décidées: accorder des prêts fonciers aux ingénieurs et aux jeunes à des conditions simplifiées et fournir aux jeunes ingénieurs, enfants d'agriculteurs et jeunes investisseurs du secteur agricole des parcelles de terrain agricole appartenant à l'État à des prix préférentiels.[8]


Mais Jomaâ a-t-il quelques chances de réaliser toutes ces améliorations dans un laps de temps assez bref?  C'est-à-dire suffisamment pour que la majorité des Tunisiens reconnaissent clairement des progrès sensibles et lui renouvellent leur mandat ou l’accordent à un nouveau gouvernement progressiste?  Cela, seul les prochains mois pourront nous l’apprendre.  Aussi ne pouvons-nous pour l’heure, amis lecteurs, que joindre nos souhaits aux recommandations formulées par Farhat Othman[9] dans une lettre ouverte à son 1er ministre sous le titre emphatique: «M. Jomaâ, osez croire au miracle, et vous le réaliserez!».  Il ne lui recommande en effet rien de moins que de réinventer (excusez du peu!), en symbiose avec l’Europe, tout à la fois la Démocratie, le New Deal et le Plan Marshall.  






 








[1]  Décédé le 4 janvier 2011.
[2]  Né 1962 à Mahdia, petite ville côtière au sud de Tunis, cet ingénieur diplômé de l’École nationale d’ingénieurs de Tunis avec un DEA en mécanique, calcul et modélisation des structures s’est essentiellement affirmé dans le civil. Mehdi Jomaâ effectue toute sa carrière au sein d’Aérospace, filiale du groupe français Total, dont il devient en 2009 directeur général de la division aéronautique & défense et membre du comité de direction supervisant six filiales en France, aux États-Unis, en Inde et en Tunisie. Ce n’est qu’il y a moins d’un an (mars 2013), qu’il est appelé par le premier ministre nahdhaoui, Ali Larayedh, à intégrer son gouvernement en tant que ministre de l’Industrie assisté d’un secrétaire d’État chargé de l’Énergie et des Mines, Nidhal Ouerfelli, autre laïc indépendant.
[3]
[4]  Détails sur le parcours de Mehdi Jomaâ dans la 1ère partie de cet article.
[5]  Source Al Huffington Post Maghreb 3/6.3.2014.
[6]  Source Le Monde 3.3.2014.
[7]  Source Tunis Info 10.3.2014.
[8]  Source Business News 27 mars 2014
[9]  Ancien diplomate (Consul Adjoint au Consulat à Strasbourg puis Consul au Consulat Général à Paris et enfin Conseiller social de l'Ambassade à Paris.

8 commentaires:

Halagu a dit…

Le 14 juillet 1789 c'est de la prise de la Bastille, dans la nuit du 4 au 5 août de la même année c'est l'abolition des privilèges. Ces deux événements qui se sont déroulés à 3 semaines d'intervalle, constituent les deux séquences fondamentales de l'histoire de la Révolution française.
Que s'est-il passé en France la veille du 4 août 1789?
Dans les campagnes, les paysans en armes attaquent les châteaux des seigneurs, détruisent et brûlent tout sur leur passage, en particulier les documents qui justifient les droits féodaux.
Que s'est-il passé la nuit du 4 août 1789?
L'Assemblée constituante est en train d'élaborer la future constitution ainsi que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen lorsqu'elle reçoit des récits inquiétants à propos des paysans. Pour apaiser l'insurrection et ramener le calme dans les provinces , l'assemblée comprend qu'il faut agir vite, abolir les abus de la féodalité. Une réforme profonde des lois s'impose. Et c'est la noblesse qui va faire spontanément - par soucis de justice ou par calcul pour sauvegarder ce qui était encore possible de l'être. Elle fait les propositions très ''généreuses'' en faveur ''du bon peuple'', c'est à dire contre elle même. En effet, dans l'enceinte de l'Assemblée et dans une ambiance théâtrale, l’enthousiasme et la surenchère progressent et prennent des proportions formidables : aristocrates et prélats tiennent à être les premiers fournisseurs de lois qui mettent fin aux usages ancestraux et sanglants de la féodalité. Michelet décrit ainsi cette folle nuit: '' C'était le 4 août, à huit heures du soir, heure solennelle où la féodalité, au bout d'un règne de mille ans, abdique, abjure, se maudit... ce n'était dans toute l'Assemblée qu'applaudissements , félicitations, expressions de bienveillance mutuelle. Les étrangers présents à la séance étaient muets d'étonnement; pour la première fois, ils avaient vu la France, toute sa richesse de cœur...''
A 2h du matin, après 6 h de discussions passionnées, le président de l'Assemblée constituante récapitule les acquis de la nuit, la liste des propositions est impressionnante. Un vote global a lieu. A l’unanimité, on proclame l’abolition de la féodalité et des particularismes des régions, notamment fiscal, militaire et judiciaire, mais aussi l’unification du territoire (jusqu’alors, chaque commune, paroisse, province avait ses propres privilèges). L'Assemblée constituante vient de signer l'arrêt de mort de l’Ancien Régime, une vraie Révolution est en marche.

Halagu a dit…

(suite)
En Tunisie, la nouvelle Constitution permettra peut-être de préserver le pays des démons totalitaires qu'il a connus jusqu'ici. A-t-elle été suffisamment audacieuse, progressiste pour créer une ère nouvelle révolutionnaire porteuse de justice sociale, capable d'abattre les inégalités les plus insolentes entre les citoyens? Tout le monde s'accorde pour dire que c'est une nécessité sociale et démocratique et surtout une exigence éthique. La crise actuelle qui secoue la Tunisie est profonde, elle est économique mais aussi sociale et morale. Elle nécessite de la part des politiques, mais aussi de la ''féodalité'' (appelons ainsi la classe possédante qui sévit depuis l’ère de Ben Ali et qui est toujours en place, toujours aussi arrogante) des actes et des décisions audacieux, révolutionnaires . Il manque le maillon décisif : ''une nuit du 4 août''. Il est évident qu'il faut relancer l'économie mais il faut aussi ,et surtout, réformer la société de manière à assurer une redistribution juste et équilibrée des richesses (revoir totalement la fiscalité...). C'est la condition sine qua non pour éviter le risque de rupture politique et sociale. Aucun homme politique, de droite comme de gauche (sauf Belaïd), n'a eu l'audace de s'attaquer à la ''féodalité'', et celle-ci n'a toujours pas compris que sa situation est déstabilisatrice, donc précaire. Comment expliquer ce paradoxe suicidaire ? La grogne et la colère ''du bon peuple'' n'a pas dit son dernier mot et la défiance vis-à-vis des institutions n'est pas loin. Le premier ministre reconnait que la situation est explosive, c'est bien, c'est du réalisme. Il manque les décisions révolutionnaires, la fin des privilèges : le volontarisme.

Jalel El Gharbi a dit…

Halagu : oui, il manque la nuit du 4 août, il manque surtout un gouvernement révolutionnaire. Les gouvernements qui ont succédé à la révolution ne sont pas des gouvernements révolutionnaires quand ils ne sont pas tout simplement contre-révolutionnaires (comme ceux de Nahdha)
Le pays est gouverné par des gens incapables de remettre en question les privilèges (aussi bien ceux de ce que vous appelez "la noblesse" en fait un ramassis de sangsues qui n'ont jamais payé un centime d'impôt que ceux des banques étrangères qui nous saignent à blanc.)
Halagu, je vais vous envoyer un courriel...
Amitiés

giulio a dit…

Salut Halagu, quel plaisir de te retrouver avec ta perspicacité et ton acribie habituelle. Cependant, tout se ressemblant mais rien n’étant identique, on peut certes regretter, que la Tunisie n’aie pas connu (ni puisse en l’état connaître) un vrai 4 août et que sa révolution que j’ai dite non-achevée ne le sera ni demain ni après-demain. De nombreuses étapes seront encore nécessaires, la première étant celle de la modernité. L’histoire a donné raison à Marx, qui posait le capitalisme bourgeois laïc (mais non nécessairement irréligieux) enrichi par l’accumulation de l’exploitation du travail, mais au bord de l’implosion, comme prémisse à une révolution du prolétariat (ouvrier et intellectuel). Ignorer cette prémisse a fait échouer à ce jour (depuis 1948) toutes les révolutions prolétaires. Or, en Tunisie, on est loin d’une société industrielle et commerçante bourgeoise. La première étape (pré-revolutionnaire) passe nécessairement par le redressement de l’économie nationale, ce qui exige tout à la fois du capitalisme, du nationalisme, du libéralisme accompagnés d’une lutte acharnée contre la corruption et les privilèges immérités.

Halagu a dit…

Merci giulio, je suis très touché...
Je retiens cette formule:'' La première étape passe nécessairement par le libéralisme accompagné d’une lutte acharnée contre la corruption et les privilèges immérités.'' C'est possible si l’État le décide, s'il y a une volonté politique. La structure économique héritée d'un pouvoir personnel, qui s'est maintenu pendant un demi siècle, est une situation mitigée, entre féodalisme et capitalisme, c'est à dire une situation qui cumule les inconvénients de l'un et de l'autre système. Et dans les deux cas l’État est le défenseur des intérêts de la classe la plus forte, la classe économiquement et politiquement dominante. Pour le moment, cette dernière ne subissant aucune pression des autres classes de la société, n'éprouve aucun désir de céder une part de la richesse et du pouvoir. L'amélioration du niveau de vie des grandes masses (une nécessité dont dépend la démocratie) ne sera pas un cadeau de la bourgeoisie, elle ne pourra être qu'une conquête de la classe ouvrière (l'Histoire des pays occidentaux le prouve) ...

Dans l'état actuel, Le chef du gouvernement tunisien se trouve dans la situation d'un administrateur judiciaire qui gère au jour le jour une entreprise en cessation de paiements; sa présence permet, tant bien que mal, la poursuite de l'activité de l'entreprise, et peut-être le maintien de l'emploi. C'est du bricolage, imposé par la situation du pays depuis 2011, sans plus.

giulio a dit…

Le fait est, cher Halagu, que justice sociale et pragmatisme, même révolutionnaire, ne peuvent pas faire bon ménage dans une situation aussi embrouillée et économiquement déficiente. S'y ajoute le facteur religieux que d'aucuns voudraient imposer à l'état. Les problème, c'est que les islamistes grandis dans la contestation/opposition/emprisonnement/exil attachés prioritairement à défendre/imposer leur idéologie (relativement modérée), se sont révélés à tel point incapables de diriger le pays, que sa situation est aujourd'hui pire que sous Ben Ali.
Le grave problème du gouvernement provisoire, neutre et relativement progressiste actuel est aussi de ne pas se rendre impopulaire et par là repasser la main à Nahdha(qui en fera son beurre) après les prochaines élections. Or, comment réussir une révolution sans faire de mécontents. Quadrature du cercle, voire pire !
Quelle pourrait être la solution ?

Halagu a dit…

J'ai lu, il y a un instant le résultat d'un sondage réalisé par un site web tunisien d'information. Il s'adressait donc à des tunisiens qui utilisent l'informatique(classe moyenne et aisée)pour s'informer.
A la question: ''Selon vous, quelle doit être la priorité du gouvernement de Mehdi Jomaa ?'', le résultat est le suivant:

1) Rétablir la sécurité - 400 votes
2) Préparer des élections libres et transparentes en 2014 - 219 votes
3) Lutter contre la pauvreté - 100 votes
4) Relancer le tourisme et l'économie - 222 votes
5) Améliorer l'image de la Tunisie à l'étranger - 52 votes
6) Aucun avis - 16 votes

Total des votants: 1010

On remarquera que le fait de ''Lutter contre la pauvreté'' occupe l'avant dernière place (une personne sur 10 pense que c'est une priorité)! Ce n'est donc pas un enjeu majeur.

Jalel El Gharbi a dit…

Cher Halagu,
Les 222 qui ont voté pour la relance économique est touristique ne sont-ils pas à ajouter à ceux qui ont mis au premier plan la lutte contre la pauvreté ?
Amitiés