Zeitung
vum Lëtzebuerger Vollek
Luxembourg
10/11.4.2014
Tunisie : la révolution est un long torrent
tumultueux I.
Le prix de la
liberté après trois années d’incurie
Cela fait bien trois ans que, en lisant certains
articles de journalistes de Tunisie ou d’ailleurs, je m’étonne de les voir se
référer à la révolution tunisienne comme étant un évènement ayant eu lieu en
janvier 2011. Même sur Wikipedia on
affirme que «Ben
Ali est chassé le 14 janvier 2011 par une révolution populaire». Il eût fallu en
fait écrire, respectivement lire, qu’il a été chassé par un soulèvement
populaire déclenché par l’auto-immolation par le feu du jeune chômeur Mohamed Bouazizi le 17 décembre
2010 et ayant abouti au renversement de Ben Ali...[1] C’est que, loin de vouloir ergoter sur les
mots, nous touchons ici à la définition d’un
phénomène politique fondamental: la
révolution. Une révolution n’est pas un
instant dans l’existence d’un peuple; elle n’est ni soulèvement, ni émeute, ni
insurrection ou autre manifestation plus ou moins violente de l’insatisfaction,
des frustrations et de la colère populaires.
Elle peut par contre en résulter, ou plutôt en prendre le chemin, si le
peuple a su pousser ses dirigeants de gré ou de force à l’entendre, soit en
s’inclinant, soit en partant.
Et même ça, ce n’est qu’à peine le commencement d’une
révolution. Tout reste à faire.
En effet, révolution signifie un retournement,
changement, bouleversement politique, sociétal, voire économique fondamental et
nécessite aussi bien d’énormes efforts qu’un changement des mentalités. Elle dure nécessairement de nombreuses années
et se voit accompagnée de remises en question fondamentales et de sacrifices,
ainsi que de combats entre les forces anciennes et nouvelles, mais aussi entre
ces dernières entre elles. La révolution
française (bourgeoise) a duré quatre-vingts ans entrecoupés de retours arrière
et de nombreux ratés. La révolution
soviétique a vécu trois quarts de siècle et s’est fourvoyée sans avoir été
menée à bon port. La révolution cubaine,
elle, n’est pas encore achevée après soixante ans. Plutôt que révolution, faudrait-il peut-être
employer le terme de processus révolutionnaire, et un telle transformation,
constamment menacée par ses propres erreurs et par les forces
contre-révolutionnaires souvent appuyées par des puissances étrangères, prend
un temps fou. Il ne s’agit cependant ici
que d’un bref rappel, car je n’ai aucunement l’intention de disserter sur les
révolutions en général ou d’analyser leurs différents parcours
historiques. Je ne dispose hélas, pour
ce faire, ni de l’espace rédactionnel nécessaire, ni des compétences
requises. D’autres que moi, infiniment
plus compétents et autorisés, l’ont déjà fait et traiteront encore à l’avenir
ce passionnant sujet.
Mon intention se borne à avertir ceux de mes amis
tunisiens qui parlent de leur révolution au passé, donc comme quelque chose
d’accompli, d’achevé, sur quoi il faudrait bâtir, qu’ils sont encore loin du
compte. Déjà qu’elle a failli leur
échapper à peine lancée, leur révolution, à cause des discordes entre la
multitude de factions et de partis progressistes, qui ont permis une
récupération islamiste ne visant qu’à remplacer la tyrannie Ben–Ali–Trabelsi
par une dictature théocratique. Nous
avons déjà vu comment l’ANC (Assemblée nationale constituante), ainsi que les
gouvernements dominés par les islamistes de Nahdha et associés, se sont avérés
incompétents, compromis avec les extrémistes salafistes qui les avaient
soutenus au début et ont dû jeter l’éponge fin 2013. Du même coup le peuple tunisien soulagé a
enfin appris, après deux ans et demi d’un calvaire liberticide et d’une
dégringolade économique désastreuse, la désignation du premier ministre laïc et
libre de coteries Mehdi Jomaâ[2]
ainsi que, en janvier 2014, la formation d’un gouvernement neutre. Problème: celui-ci est censé réussir la
quadrature du cercle, d’innombrables prodiges, des miracles à gogo et
l’impossible par-dessus le marché. En
effet, non seulement le nouveau gouvernement a été chargé officiellement de
l’organisation d’élections législatives avant fin 2014 – ce qui est pour
l’heure, entre nous soit dit, le moindre de ses soucis – mais encore doit-il
extraire le pays du gouffre où Nahdha l’a enfoncé, c'est-à-dire poursuivre la
révolution et tenter de la sauver.
Le 4 mars, l’AFP/Le Monde l’annonçaient, le prix de la
liberté et de trois années d’incurie: «Le premier ministre tunisien Mehdi Jomaâ
a mis en garde, lundi 3 mars au soir, contre une situation économique qui
risque de devenir "catastrophique (…) En toute franchise, la
situation est plus difficile que ce que nous ne le croyions", a-t-il
dit dans une interview à la chaîne publique Wataniya et à la télévision privée
Nessma, un mois après avoir pris ses fonctions. "Il va nous falloir faire des sacrifices (...) On
peut ignorer la réalité, mais la réalité ne nous ignorera pas ",
a-t-il insisté (...) et expliqué qu'il manquait 4 milliards de dinars
(1,8 milliard d'euros) dans le budget de l'État. "Nous ne savons
pas d'où les ramener, il faut que nous trouvions les ressources. Nous avons
l'intention de lancer une souscription pour financer les caisses de l'État,
mais ce n'est pas suffisant" (...) Et il faut examiner au cas par cas la
situation des compagnies publiques en difficulté, comme la compagnie aérienne
nationale Tunisair, qui demande une aide équivalant à "quatre fois son
chiffre d'affaires (...) Nous n'allons pas baisser les salaires, mais il
n'y aura pas de nouveaux recrutements dans la fonction publique (...) Soyons
sincères: pendant ces trois dernières années, depuis le commencement de la
révolution, nous n'avons pas travaillé. L'administration n'a pas travaillé, les
compagnies n'ont pas travaillé, nous n'avons pas respecté les lois. Ce n'était
pas ce que nous attendions de la révolution (...) Une autre révolution nous
attend, celle des mentalités... "».
L’homme
est décidemment plus lucide que la grande majorité des politiciens du pays et
ne limite pas sa conception de la révolution aux évènements de janvier
2011. Par ses mots «depuis le
commencement de la révolution» il démontre comprendre qu’elle est loin d’être
achevée. Mais le peuple, légitimement
impatient après tant de trahisons et d’impairs, lui laissera-t-il seulement le
loisir de la remettre sur les rails et de lui imprimer un nouvel élan? Obligé de prendre son bâton de pèlerin pour
aller emprunter à l’international les sommes qui manquent au pays et qu’il
faudra ensuite rembourser au prix d’immenses sacrifices, saura-t-il faire face
à la grogne populaire, à la faim des plus pauvres et aux velléités de retour
aux affaires des islamistes? N’oublions
pas que ceux-ci n’ont accepté de céder le pouvoir à ce gouvernement que pour
l’obliger à manger le fruit de leurs échecs et à profiter de la faiblesse de
mémoire du peuple pour se re-proclamer sauveurs du pays. Car le peuple n’aura, à défaut d’amélioration
sensible, que trop tendance à oublier (peut-être ne le lui dit-on pas assez)
que sa misère actuelle est surtout due aux islamistes qu’il a portés au pouvoir
et qui ont employé les capitaux dont ils disposaient surtout en frais
somptuaires et à se dédommager généreusement des injustices réelles ou
imaginaires subies sous Bourguiba et Ben Ali.
Pour gagner cette gageure Jomaâ n’aura même pas droit à ses cent jours
de grâce. En effet, l’insatisfaction est
générale et tourne déjà ici et là à l’émeute...
II M. Jomaâ, osez croire au miracle, et vous le
réaliserez !
Boubaker Ben Fraj écrivait déjà ce 23 mars, notamment que «Au cours des dernières semaines, les deux
gouvernorats du Sud-est: Médenine et Tataouine, connaissent une vague
protestataire presque ininterrompue. A ce jour, la situation y est tendue
et (...) proche (...) de l’exaspération (...) Dans les deux gouvernorats de
cette Tunisie méridionale, d’emblée peu favorisée par la nature, la
recrudescence des mouvements revendicatifs devenus endémiques se complique
encore par d’autres facteurs générateurs de tensions et d’instabilité: d’un
côté, l’impact immédiat des turpitudes qui déstabilisent la Libye voisine et de l’autre,
le fait que ces deux circonscriptions se soient transformées en terrain
de prédilection d’une intense contrebande transfrontalière, rattachée à des
réseaux mafieux ou terroristes, par des liens à peine voilés, d’intérêts
et de complicités. À Médenine et à Tataouine, comme dans plusieurs autres
gouvernorats: Gafsa, Sidi-Bouzid, Kasserine, Siliana, Jendouba, et maints
autres endroits de la Tunisie
intérieure, nul n’ignore que la colère de plus en plus vive de la population
est générée par un sentiment partagé de frustration, du fait d’un retard
certes relatif, mais très significatif, en matière de développement économique
et social, en comparaison avec les régions du littoral».
Quel défi pour
Mehdi Jomaâ[4]! Quand on pense que dans l’Italie toute proche la dramatique fracture entre le
nord et le sud et, pis encore, entre l'intérieur et les zones côtières, héritée
des régimes rétrogrades du Royaume des deux Siciles et des États Pontificaux, a
duré un siècle et demi après la proclamation de son unité, notre Zorro n’est
pas sorti de l’auberge. Car le
sous-développement du Meridione italien est encore loin d'être résorbé, surtout
dans certaines régions de l'intérieur des Pouilles, de la Basilicate , de Calabre et
de Sicile, où la manne touristique et le développement industriel sont
grandement absents. Et ce, malgré les
sommes fabuleuses qui y ont été engouffrées par les gouvernements successifs,
ainsi que par la
Communauté Européenne puis par l'UE. Bon, les causes n'en sont pas identiques à
celles de la Tunisie ,
mais furent et restent fort semblables.
Aussi serait-il illusoire de croire que ce problème puisse être
entièrement résolu par un, deux ou même trois gouvernements successifs.
Jomaâ a
pourtant relevé le gant. Mais il s'agit
d'un travail de très longue haleine qui devra mobiliser des générations de
gouvernants tunisiens. Cela reviendra à
mener sans trêve une lutte à outrance contre les maffias et le terrorisme, à
favoriser les investissements et la recherche minière, la modernisation
agricole, le développement industriel et la mise en oeuvre d’une véritable
solidarité nationale entre le nord et le sud et entre les côtes et
l'intérieur. Seule cette solidarité
permettra en effet aux populations défavorisées de supporter la longue durée
que prendra le développement de ces régions, même si on s'y met tout de suite,
et de ne pas tourner leur colère contre ce gouvernement, qui ne doit à aucun
moment oublier d’agir de manière aussi inventive que révolutionnaire.
Certes,
d’aucuns se demanderont dans quelle mesure ce «chevalier blanc», nourri aux
mamelles de l’industrie et du libéralisme mondialiste, est le mieux placé pour
mener à bien un processus révolutionnaire national. La réponse ne fait à mon avis aucun doute: pour l’heure probablement oui. En effet, avant de pouvoir procéder à un
changement sociétal sérieux, il faut développer l’industrie, rétablir la
confiance du peuple et de l’étranger (tourisme et investissements) envers les
dirigeants du pays, assainir les finances et réduire un chômage de 15,7 à
16,7% (~25% chez les jeunes, diplômés ou
non).
Une première mesure, déjà préparée et mise en route
sous le précédent gouvernement a consisté à se rapprocher de certains pays de
l’Union Européenne. Aussi, «la Tunisie et l’UE ont-elles signé le 3 mars un accord qui prévoyant
notamment une simplification des visas et une plus grande ouverture à
l'immigration régulière en échange de la lutte contre l'immigration
clandestine, à l'image de ce qui se fait déjà avec le Maroc.[5] Ce «partenariat
de mobilité», auquel participent dix pays membres de l'UE, dont la France , l'Allemagne, le
Royaume-Uni, l'Espagne et l'Italie, «vise à faciliter la circulation des
personnes entre l'UE et la
Tunisie (et) à promouvoir une gestion commune
et responsable des flux migratoires existants, notamment à travers la
simplification des procédures de l'octroi de visas», a indiqué la
commissaire européenne chargée des affaires intérieures (...) Il est également
prévu d'informer les citoyens tunisiens sur les offres d'emploi, d'étude et de
formation disponibles dans l'UE, et de faciliter la reconnaissance mutuelle des
qualifications professionnelles et universitaires. L'UE s'est engagée à
favoriser une meilleure intégration des ressortissants tunisiens en situation
régulière sur son territoire, ainsi que des migrants en situation régulière en
Tunisie».[6]
Par une autre décision tout aussi indispensable
qu’immédiate, Mehdi Jomaâ – comme s’il avait pressenti l’article susmentionné
de mon ami Boubaker Ben Fraj – s’attaque le 9 mars à la promotion du
développement dans les régions intérieures et décide, après sa rencontre avec
des hommes d’affaires et des investisseurs de la région de Médenine, de
constituer une équipe ministérielle qui se déplacera dans différentes régions
du pays pour repérer les difficultés, ainsi que pour trouver et mettre en
oeuvre les solutions adéquates. Il
incite de même l’administration à traiter avec le privé en tant que force vive
de l’économie et tremplin vers la croissance.[7]
Plus récemment, au cours l’ouverture des travaux du
28ème Forum sectoriel de la
FAO du 27 mars 2014, Mehdi Jomaâ a également annoncé une
batterie de mesures censées favoriser l'entreprenariat agricole. Ces mesures sont principalement destinées aux
jeunes agriculteurs dans le but d'augmenter l'attractivité du secteur agricole
en matière d'emploi. Parmi les nombreuses
mesures décidées: accorder
des prêts fonciers aux ingénieurs et aux jeunes à des conditions simplifiées et
fournir aux jeunes ingénieurs, enfants d'agriculteurs et jeunes investisseurs
du secteur agricole des parcelles de terrain agricole appartenant à l'État à
des prix préférentiels.[8]
Mais Jomaâ a-t-il quelques chances de réaliser
toutes ces améliorations dans un laps de temps assez bref? C'est-à-dire suffisamment pour que la
majorité des Tunisiens reconnaissent clairement des progrès sensibles et lui
renouvellent leur mandat ou l’accordent à un nouveau gouvernement
progressiste? Cela, seul les prochains
mois pourront nous l’apprendre. Aussi ne
pouvons-nous pour l’heure, amis lecteurs, que joindre nos souhaits aux
recommandations formulées par [9] M. Jomaâ, osez croire
au miracle, et vous le réaliserez!» de réinventer (excusez du peu!), en symbiose avec l’Europe, tout à
la fois la Démocratie ,
le New Deal et le Plan Marshall.
[1] Décédé le 4 janvier 2011.
[2] Né 1962 à Mahdia, petite ville côtière au sud
de Tunis, cet ingénieur diplômé de l’École nationale d’ingénieurs de Tunis avec
un DEA en mécanique, calcul et modélisation des structures s’est
essentiellement affirmé dans le civil. Mehdi Jomaâ effectue toute sa carrière
au sein d’Aérospace, filiale du groupe français Total, dont il devient en 2009
directeur général de la division aéronautique & défense et membre du comité
de direction supervisant six filiales en France, aux États-Unis, en Inde et en
Tunisie. Ce n’est qu’il y a moins d’un an (mars 2013), qu’il est appelé par le
premier ministre nahdhaoui, Ali Larayedh, à intégrer son gouvernement en tant
que ministre de l’Industrie assisté d’un secrétaire d’État chargé de l’Énergie
et des Mines, Nidhal Ouerfelli, autre laïc indépendant.
[4] Détails sur le parcours de Mehdi Jomaâ dans
la 1ère partie de cet article.
[5] Source Al Huffington Post Maghreb 3/6.3.2014.
[6] Source Le Monde 3.3.2014.
[7] Source Tunis Info 10.3.2014.
[8] Source Business News 27 mars 2014
[9] Ancien
diplomate (Consul Adjoint au Consulat à Strasbourg puis Consul au Consulat
Général à Paris et enfin Conseiller social de l'Ambassade à Paris.
8 commentaires:
Le 14 juillet 1789 c'est de la prise de la Bastille, dans la nuit du 4 au 5 août de la même année c'est l'abolition des privilèges. Ces deux événements qui se sont déroulés à 3 semaines d'intervalle, constituent les deux séquences fondamentales de l'histoire de la Révolution française.
Que s'est-il passé en France la veille du 4 août 1789?
Dans les campagnes, les paysans en armes attaquent les châteaux des seigneurs, détruisent et brûlent tout sur leur passage, en particulier les documents qui justifient les droits féodaux.
Que s'est-il passé la nuit du 4 août 1789?
L'Assemblée constituante est en train d'élaborer la future constitution ainsi que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen lorsqu'elle reçoit des récits inquiétants à propos des paysans. Pour apaiser l'insurrection et ramener le calme dans les provinces , l'assemblée comprend qu'il faut agir vite, abolir les abus de la féodalité. Une réforme profonde des lois s'impose. Et c'est la noblesse qui va faire spontanément - par soucis de justice ou par calcul pour sauvegarder ce qui était encore possible de l'être. Elle fait les propositions très ''généreuses'' en faveur ''du bon peuple'', c'est à dire contre elle même. En effet, dans l'enceinte de l'Assemblée et dans une ambiance théâtrale, l’enthousiasme et la surenchère progressent et prennent des proportions formidables : aristocrates et prélats tiennent à être les premiers fournisseurs de lois qui mettent fin aux usages ancestraux et sanglants de la féodalité. Michelet décrit ainsi cette folle nuit: '' C'était le 4 août, à huit heures du soir, heure solennelle où la féodalité, au bout d'un règne de mille ans, abdique, abjure, se maudit... ce n'était dans toute l'Assemblée qu'applaudissements , félicitations, expressions de bienveillance mutuelle. Les étrangers présents à la séance étaient muets d'étonnement; pour la première fois, ils avaient vu la France, toute sa richesse de cœur...''
A 2h du matin, après 6 h de discussions passionnées, le président de l'Assemblée constituante récapitule les acquis de la nuit, la liste des propositions est impressionnante. Un vote global a lieu. A l’unanimité, on proclame l’abolition de la féodalité et des particularismes des régions, notamment fiscal, militaire et judiciaire, mais aussi l’unification du territoire (jusqu’alors, chaque commune, paroisse, province avait ses propres privilèges). L'Assemblée constituante vient de signer l'arrêt de mort de l’Ancien Régime, une vraie Révolution est en marche.
(suite)
En Tunisie, la nouvelle Constitution permettra peut-être de préserver le pays des démons totalitaires qu'il a connus jusqu'ici. A-t-elle été suffisamment audacieuse, progressiste pour créer une ère nouvelle révolutionnaire porteuse de justice sociale, capable d'abattre les inégalités les plus insolentes entre les citoyens? Tout le monde s'accorde pour dire que c'est une nécessité sociale et démocratique et surtout une exigence éthique. La crise actuelle qui secoue la Tunisie est profonde, elle est économique mais aussi sociale et morale. Elle nécessite de la part des politiques, mais aussi de la ''féodalité'' (appelons ainsi la classe possédante qui sévit depuis l’ère de Ben Ali et qui est toujours en place, toujours aussi arrogante) des actes et des décisions audacieux, révolutionnaires . Il manque le maillon décisif : ''une nuit du 4 août''. Il est évident qu'il faut relancer l'économie mais il faut aussi ,et surtout, réformer la société de manière à assurer une redistribution juste et équilibrée des richesses (revoir totalement la fiscalité...). C'est la condition sine qua non pour éviter le risque de rupture politique et sociale. Aucun homme politique, de droite comme de gauche (sauf Belaïd), n'a eu l'audace de s'attaquer à la ''féodalité'', et celle-ci n'a toujours pas compris que sa situation est déstabilisatrice, donc précaire. Comment expliquer ce paradoxe suicidaire ? La grogne et la colère ''du bon peuple'' n'a pas dit son dernier mot et la défiance vis-à-vis des institutions n'est pas loin. Le premier ministre reconnait que la situation est explosive, c'est bien, c'est du réalisme. Il manque les décisions révolutionnaires, la fin des privilèges : le volontarisme.
Halagu : oui, il manque la nuit du 4 août, il manque surtout un gouvernement révolutionnaire. Les gouvernements qui ont succédé à la révolution ne sont pas des gouvernements révolutionnaires quand ils ne sont pas tout simplement contre-révolutionnaires (comme ceux de Nahdha)
Le pays est gouverné par des gens incapables de remettre en question les privilèges (aussi bien ceux de ce que vous appelez "la noblesse" en fait un ramassis de sangsues qui n'ont jamais payé un centime d'impôt que ceux des banques étrangères qui nous saignent à blanc.)
Halagu, je vais vous envoyer un courriel...
Amitiés
Salut Halagu, quel plaisir de te retrouver avec ta perspicacité et ton acribie habituelle. Cependant, tout se ressemblant mais rien n’étant identique, on peut certes regretter, que la Tunisie n’aie pas connu (ni puisse en l’état connaître) un vrai 4 août et que sa révolution que j’ai dite non-achevée ne le sera ni demain ni après-demain. De nombreuses étapes seront encore nécessaires, la première étant celle de la modernité. L’histoire a donné raison à Marx, qui posait le capitalisme bourgeois laïc (mais non nécessairement irréligieux) enrichi par l’accumulation de l’exploitation du travail, mais au bord de l’implosion, comme prémisse à une révolution du prolétariat (ouvrier et intellectuel). Ignorer cette prémisse a fait échouer à ce jour (depuis 1948) toutes les révolutions prolétaires. Or, en Tunisie, on est loin d’une société industrielle et commerçante bourgeoise. La première étape (pré-revolutionnaire) passe nécessairement par le redressement de l’économie nationale, ce qui exige tout à la fois du capitalisme, du nationalisme, du libéralisme accompagnés d’une lutte acharnée contre la corruption et les privilèges immérités.
Merci giulio, je suis très touché...
Je retiens cette formule:'' La première étape passe nécessairement par le libéralisme accompagné d’une lutte acharnée contre la corruption et les privilèges immérités.'' C'est possible si l’État le décide, s'il y a une volonté politique. La structure économique héritée d'un pouvoir personnel, qui s'est maintenu pendant un demi siècle, est une situation mitigée, entre féodalisme et capitalisme, c'est à dire une situation qui cumule les inconvénients de l'un et de l'autre système. Et dans les deux cas l’État est le défenseur des intérêts de la classe la plus forte, la classe économiquement et politiquement dominante. Pour le moment, cette dernière ne subissant aucune pression des autres classes de la société, n'éprouve aucun désir de céder une part de la richesse et du pouvoir. L'amélioration du niveau de vie des grandes masses (une nécessité dont dépend la démocratie) ne sera pas un cadeau de la bourgeoisie, elle ne pourra être qu'une conquête de la classe ouvrière (l'Histoire des pays occidentaux le prouve) ...
Dans l'état actuel, Le chef du gouvernement tunisien se trouve dans la situation d'un administrateur judiciaire qui gère au jour le jour une entreprise en cessation de paiements; sa présence permet, tant bien que mal, la poursuite de l'activité de l'entreprise, et peut-être le maintien de l'emploi. C'est du bricolage, imposé par la situation du pays depuis 2011, sans plus.
Le fait est, cher Halagu, que justice sociale et pragmatisme, même révolutionnaire, ne peuvent pas faire bon ménage dans une situation aussi embrouillée et économiquement déficiente. S'y ajoute le facteur religieux que d'aucuns voudraient imposer à l'état. Les problème, c'est que les islamistes grandis dans la contestation/opposition/emprisonnement/exil attachés prioritairement à défendre/imposer leur idéologie (relativement modérée), se sont révélés à tel point incapables de diriger le pays, que sa situation est aujourd'hui pire que sous Ben Ali.
Le grave problème du gouvernement provisoire, neutre et relativement progressiste actuel est aussi de ne pas se rendre impopulaire et par là repasser la main à Nahdha(qui en fera son beurre) après les prochaines élections. Or, comment réussir une révolution sans faire de mécontents. Quadrature du cercle, voire pire !
Quelle pourrait être la solution ?
J'ai lu, il y a un instant le résultat d'un sondage réalisé par un site web tunisien d'information. Il s'adressait donc à des tunisiens qui utilisent l'informatique(classe moyenne et aisée)pour s'informer.
A la question: ''Selon vous, quelle doit être la priorité du gouvernement de Mehdi Jomaa ?'', le résultat est le suivant:
1) Rétablir la sécurité - 400 votes
2) Préparer des élections libres et transparentes en 2014 - 219 votes
3) Lutter contre la pauvreté - 100 votes
4) Relancer le tourisme et l'économie - 222 votes
5) Améliorer l'image de la Tunisie à l'étranger - 52 votes
6) Aucun avis - 16 votes
Total des votants: 1010
On remarquera que le fait de ''Lutter contre la pauvreté'' occupe l'avant dernière place (une personne sur 10 pense que c'est une priorité)! Ce n'est donc pas un enjeu majeur.
Cher Halagu,
Les 222 qui ont voté pour la relance économique est touristique ne sont-ils pas à ajouter à ceux qui ont mis au premier plan la lutte contre la pauvreté ?
Amitiés
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