Une vie qui ne serait qu’un long
fleuve tranquille ne semble pas interpeler l’auteur. Il lui faut la surprise
des cascades, le vertige des chutes et la fulgurance des torrents. Dans Ne
pars pas avant moi, Jean-Marie
Rouart revient sur les pages les plus
tumultueuses, les plus denses de sa vie : ce sont les amitiés qui
corrigent les inégalités héritées, le préjudice d’une scolarité juste passable
et qui ouvrent les horizons de l’infini qui n’est pas que littéraire. L’auteur
pense surtout à Jean d’Ormesson à qui cette autobiographie romancée – comme
toutes les autobiographies – doit son titre euphémique. L’éloge de l’amitié
(d’Ormesson, François Nourrissier, Lévi-Strauss…) est avant tout éloge de la
camaraderie, du chemin qui s’offre à deux sensibilités et qui console des déconvenues de l’amour. Oui, l’amitié
semble plus encline à la fidélité que l’amour souvent rongé par cette incurable
propension vers l’inconstance, comme l’était
l’amour de Solange. Ce livre insinue que la vie
coule trop paisiblement. Il passe de longs moments entre une rencontre et une
autre. Or, l’auteur veut plus d’orages, plus de coups de foudre et plus de ces ouvrages
dont la lecture vous marque pour la vie. Trop lente, la vie demande à être
réécrite, à être élaguée de ces moments où il ne se passe rien. Car ces moments
sans frémissements, sans ferveur font trop penser à l’antonyme de la vie. Mais
le paradoxe de la vie est qu’elle ne se nourrit pas seulement de réussites. Lisant
Jean-Marie Rouart, on se prend à penser que, par exemple, les amours
contrariées sont plus fructueuses, sans doute parce qu’elles réalisent ce vœu
du désir demeurant désir – pour paraphraser Char.
Voici une œuvre qui aspire à
confondre vie et écriture de la vie, à prêter à la lenteur du vécu la promptitude et la prestance
d’une belle plume.
Se référant à ces aveux, on pu
rapprocher Jean-Marie Rouart de Musset. Ne pars pas avant moi nous fait penser plutôt à un hédoniste préférant
à tout autre les plaisirs de l’intelligence. Cette intelligence qui aime à savourer
plaisirs et déplaisirs de l’amour comme pour signifier que sa première vertu
est de tout convertir en objet de réflexion. La réussite tient dans le récit de
cette conversion, dans le texte corrigeant les imperfections du vivre.
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