Child Hassam : Fifth avenue in winter 1919.
Ce qui
sera advint
I.m.
Rachid Hassin
Cinquième
avenue, il m’a salué. Il a pleuré. Il s’est penché sur la muraille en verre mais
il n’est point de saule à New York.
Il m’a
fait pleurer. Il a remis l’eau dans son fleuve. Nous avons pris un café. Puis
nous nous sommes séparés en quelques secondes.
Cela fait
vingt ans que je le connais
Il en a
toujours quarante
Il était
grand comme un chant côtier et triste
Il venait nous voir telle une épée de bière.
Puis repartait comme les fins d’une
Prière
Il jetait
sa poésie au « Christo »
et tout
Saint-Jean D’Acre se réveillait
Et
marchait dans l’eau
Lui,
c’était une semaine pour la terre et une journée pour les conquérants
Et
maintenant ma mère peut bien lancer un Ah
Les roses
et les chaînes sont pour ses mains. Et derrière le mur,
Seule sa
blessure souveraine l’a égratigné. Des amoureux
Viennent
et jettent des rendez-vous
Nous
avons hissé le bras tendu, nous avons étrenné les grappes et nous nous sommes
mêlés dans
les cris de la rue officinale. Nous avons
brisé les chants et nous nous sommes mêlés
dans les
yeux noirs. Nous nous sommes battus, nous avons été tués puis battus. Des
chevaliers
Viennent
et s’en vont
Et dans
chaque vide
Nous
verrons le silence du chanteur si bleu qu’il en est absent.
Cela fait
vingt ans
Qu’il
jette sa chair aux oiseaux et aux poissons dans toutes les directions
Et
maintenant ma mère peut bien lancer un Ah
Fils de
fellah né de la côte de la Palestine
Homme du
Sud
Triste
comme un moineau
Fort
D’une
voix claire
Il a de
grands pieds
Il a de
grandes paumes
Il était
pauvre comme un papillon
Il était
basané jusqu’à l’effondrement
Et il
était large d’épaules
Il voyait
plus loin que la porte de la prison
Il voyait
plus près que la thèse portant sur l’art
Il voyait
une nuée dans le casque d’un soldat
Il nous
voyait et voyait la carte de réfugié
Il était
simple dans le choix de ses cafés et de ses mots
Il aimait
le naï et la bière
Il n’a
retenu que les mots les plus simples
Il était
élémentaire comme l’eau
Simple
comme le repas des pauvres
Il était
un champ de pommes de terre et de maïs
Il
n’aimait pas l’école
Et il
aimait la prose et la poésie
Peut-être
que la plaine est prose
Peut-être
que le blé est poésie
Et les
samedis, il rendait visite à ses parents
Il se
reposait alors de l’encre divine
Et des
questions de la police
Il n’a
publié que les deux volumes de sa première poésie
Et il
nous a donné le reste
Il y a
dix ans, on aperçut ses pas à l’aéroport de Lod
Puis il
disparut
Et advint
ce qui sera
L’épi m’a
dénoncé
Et
l’hirondelle m’a offert
Aux yeux
des assassins
Pâle
comme le soleil à New York :
Par où le
cœur peut-il passer ? Y a-t-il dans la forêt de béton des plumes de
pigeon ?
Ma boîte
aux lettres est vide. Et l’aube ne darde pas
Ni
l’étoile ne brille dans cette cohue
Mon soir
est exigu, le corps de mon amour est en papier et personne vers mon
Soir ne
« souhaite être le fleuve et la nuée »
Par où le
cœur peut-il passer ? Qui ramassera le rêve tombé
Près de
l’opéra et de la banque ? Un torrent d’épingles emportera
Les
plaisirs que je porte.
Maintenant,
je ne rêve plus de rien
Je désire
désirer
Je ne
rêve que d’harmonie
Je désire
Ou
Je
m’achève
Non, ceci
n’est pas mon époque
Pâle
comme le soleil à New York
Donnez-moi
mon bras que je puisse étreindre
Et mes
vents que je puisse marcher
Et de
café en café, je cherche l’autre langue
Je
cherche la différence entre le feu et le souvenir
Je
cherche la qualité première de mes organes
Et
donnez-moi mon bras que je puisse étreindre
Et mes
vents que je puisse marcher
Et de
café en café,
Pourquoi
la poésie fuit-elle le cœur chaque fois que Jaffa s’éloigne ? Pourquoi
Jaffa
disparaît-elle lorsque je l’étreins ?
Non ceci
n’est pas mon époque
Et je
cherche la qualité première de mes organes
Et
donnez-moi mon bras que je puisse étreindre
Et mes
vents que je puisse marcher
… Et il
disparut à la Cinquième avenue, ou ce portail du Pôle
Nord. Et
de ses yeux, je ne garde que le souvenir de villes qui s’en viennent et s’en
vont
Et il se dissipa, se dissipa…
Puis nous
nous sommes rencontrés un an après à l’aéroport du Caire
Trente
minutes après, il me dit :
« Que
n’étais-je pas libre
Dans une
des prisons de Nazareth »
Il a
dormi une semaine. Il s’est réveillé pour deux jours. Il n’est pas allé à la
campagne avec le Nil.
Du café,
il n’a pas que la couleur
Il n’a
pas vu d’Egyptiens en Egypte
Et il n’a
interrogé que des livres sur la forme que prend la lutte des classes
Puis il
fut interpellé par la sempiternelle question, l’aliénation rocailleuse
« De
quel prophète mécréant te vient cette dimension ultime ?» ai-je demandé
Il a
pleuré pour une indolence dans mon regard. As-tu changé ?
Oui, j’ai
changé et ma vie ne s’est pas écoulée
En vain
Il s’est
penché sur le Nil, puis il demanda : « le Nil oublie-t-il ?»
« Non,
il n’oublie pas comme on le pensait », ai-je dit
Puis nous
nous sommes rappelé nos rythmes d’antan
Et les
flots d’hirondelles sur une paume frappant au mur
Et la
terre que nous portons dans notre sang comme des insectes
Et nous
nous sommes rappelés nos rythmes d’antan et la mort des amis.
Ceux qui
ont partagé nos jours puis se sont dispersés
Ne nous
ont pas aimés comme nous l’aurions voulu
Ils ne
nous ont pas aimés mais ils nous ont connus…
Il
délirait quand il était réveillé et se réveillait quand il pleurait
Il
marchait comme les tentes dans le lointain arabe
Ma vie
est partie en fumée
Et j’ai
perdu l’essentiel
Et il
disparut près du coucher du Nil
J’ai
préparé pour lui un autre thrène et un mémorial en palmes
O mon
suicide permanent
Arrête la
vie qu’on recommence à partir de n’importe quel départ
Et
flamboie comme les plantes de Galilée
Et
rougeoie comme un mort assassiné
Tiens-toi
debout à la crête du rêve et bats-toi
Car c’est
pour toi que sonnent encore les cloches
Et c’est
pour toi que sonne encore l’horloge
Et il se
dissipa encore une fois
Et les
branches m’ont trahi
Ce qui
sera advint
L’épi m’a
dénoncé
Puis les
hirondelles m’ont offert
Aux épées
des assassins
Et dans
son sarcophage officiel New York nous y invitait
Cinquième
avenue, il m’a salué. Il a pleuré. Il s’est penché sur la fontaine
En
ciment. Pas un saule à New York. Il m’a fait pleurer.
Il a
rendu à la maison son ombre. Nous nous sommes cachés dans l’écho. L’un de nous
Serait-il
mort ? Non. Ai-je un peu changé ? Non. Le voyage est-il
Encore le
voyage et le port au cœur ? Oui.
Il était
loin, loin et d’une absence infinie
Il a fumé
son verre…
Il s’est
dissipé
Comme une
gazelle qui se dissipe
Dans des
prairies qui se dissipent dans le brouillard
Il m’a
jeté son mégot au cœur et il s’est reposé
Il n’a
pas regardé l’heure
La lune
qui se tenait sous le dixième étage de Manhattan
Ne l’a
pas volé. Il s’est drapé dans son souvenir… la sonnerie secrète
L’a
enveloppé. Entre nos paumes de petits oiseaux passèrent ainsi qu’une mort
Familiale.
Ceci n’est pas mon époque. Un autre hiver est revenu. Les femmes
Aux
chevaux sont mortes dans un champ lointain. Le temps ne sort pas de moi
Dit-il.
Alors, j’ai échangé, avec mon cœur, des villes qui s’effondrent depuis le début de cette
Vie
jusqu’à la fin du rêve…
Resterons-nous
ainsi à passer vers le dehors par cette journée couleur d’orange
Pour ne
toucher que l’obscur dedans ?
D’où
est-ce que je viens ?
Un oiseau
a transpercé une lance
Je me
suis dit : il a découvert mon cœur
Resterons-nous
ainsi à passer vers le dedans par cette journée couleur d’orange
Pour ne
toucher que la police portuaire ?
Il délire
en dehors du souvenir : moi qui porte le fardeau de la terre
Et elles
se sont mises en marche. Au-dessus de ma voix, les oiseaux ont bâti un nid , ils m’ont traversé
Et se
sont envolés dans le lointain
Rien n’a
changé
Les
chansons m’ont expatrié, expatrié
Ceci
n’est pas mon époque
Ceci
n’est pas ma patrie
Ceci
n’est pas mon corps
Ce qui
sera advint
L’épi l’a
dénoncé
Et
l’hirondelle l’a offert
Aux vents
des assassins.
Traduction Jalel El Gharbi
6 commentaires:
Époustouflant!
A mon avis, on ne lira jamais une traduction plus accomplie que celle-ci! Comme si, dès le départ, ce poème était conçu définitivement dans ces deux versions (arabe et française), tel un Janus, ouvrant en arabe et fermant en français ou inversement.
Je pense aussi ici au lecteur modèle d'Umberto Eco qui, comblant les lacunes, les blancs que renferme le texte d’origine, parvient à le manipuler exemplairement en traduction. Et, entre une interprétation juste et une traduction juste, le texte est à son comble de réussite.
Phantastique, Jalel, d'enfin pouvoir lire cette merveille de poème en entier, dont je ne connaissais que les extraits dans notre livre "Des passantes et des passants...". Je ne peux certes en apprécier la traduction comme notre amie Jawhar, soit. Mais à mon niveau...
Magnifique Jalel !
C'est tellement fort et émouvant en français que je me fie tout à fait à ce que dit Jawhar. Je le ressens au plus profond.
Il y a longtemps que je souhaite cela aux poèmes de Mahmoud Darwich...
Baraque=béréka
"La baraka"=el barka
La baraka = el barka, cela pourrait-il venir (éthym.) des Barcides, famille des Barca = les chanceux ? Comme Hamilcar, Hasdrubal, Hannibal ou autres Magon ???
Cher Giulio, votre appréciation du poème est juste, très juste d’ailleurs car la version arabe est celle –ci en français et non pas une autre. Ce que Jalel El Gharbi apporte à Darwich, c’est la finition du texte d’origine dont on a infiniment besoin dans la deuxième langue. J’ai lu et relu ce poème en arabe plusieurs fois et je ne lui ai trouvé dans cette version française aucune faille. C’est une merveille !
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